Fiche de lecture, Introduction à la seconde édition de la Critique de la raison pure de Kant
Note d’avant-propos : J’utilise la Critique de la Raison Pure aux édition Quadrige, traduction Tremesaygues Pacaud, 1944. Les titres de chaque partie ne sont pas tirés de l’ouvrage sauf pour la sixième partie « problème de la raison pure ». Aussi ne figure pas de troisième partie au motif qu’elle n’existe pas dans cette traduction et certains passages ont été mutualisés par les traducteurs entre l’introduction de la première et de la seconde édition de la CRP. De plus, la fiche de lecture suit le déroulé par paragraphe du texte et ainsi chaque paragraphe représente un paragraphe du texte. Certaines notes personnelles ou pense-bête sont misent entre parenthèses.
1. Connaissance pure / Connaissance Empirique
C’est avec l’expérience que tout commence concernant la connaissance. En effet, Dans le premier paragraphe de l’introduction à la seconde édition de la Critique de la raison pure, Kant reprend la théorie humienne et plus généralement empiriste de la connaissance. En effet, notre pouvoir de connaitre est éveillé par « des objets qui frappent nos sens ». Ainsi, de manière chronologique, toute connaissance débute avec l’expérience.
Cependant, si toute connaissance commence avec l’expérience cela ne veut pas dire qu’elle « dérive toute de l’expérience ». En effet, il y a donc deux sources de connaissance possible : la connaissance empirique, dans le champ de l’expérience et la connaissance pure qui ne dérive pas de l’expérience, donc la précède. Kant sépare donc tout de suite deux facultés : ce qui nous permet d’avoir des impressions sensibles (plus tard : la sensibilité sur le mode de l’intuition) et le pouvoir de connaitre (plus tard l’entendement sur le mode des concepts).
Ainsi, il faut donc distinguer les connaissances, opérer une critique (littéralement discerner) entre les connaissances empiriques dites « a posteriori » et les connaissances pures dites « a priori ». C’est tout l’enjeux de la Critique de la raison pure.
Dans le 4ème paragraphe, Kant précise le sens « d’a priori ». Il prend l’exemple d’une maison qui s’écroule si l’on en retire les murs. En effet on pouvait savoir avant d’en faire l’expérience qu’elle allait s’écrouler, cependant cette connaissance n’est pas « a priori » puisqu’elle suppose la connaissance de la chute des corps qui elle dérive de l’expérience.
Ainsi, une connaissance a priori est bien « absolument indépendante de toutes expérience ». Cependant, au sein des connaissance a priori, il y a un second niveau, celui des connaissances pures a priori : qui ne dérivent pas de l’expérience et dont leurs concepts ne sont pas non plus tirés de l’expérience (voir exemple du changement p.32 Tremesaygues Pacaud).
2. Sur l’existence de connaissance a priori
Dans le 6ème paragraphe, Kant va donner les critères qui vont nous permettre d’affirmer qu’une connaissance est pure a priori. Le premier critère est celui de la nécessité : Si une chose ne peut jamais être autrement alors celle-ci est une condition de l’expérience, elle est donc strictement nécessaire et a priori de l’expérience. Le second critère est celui de l’universalité. En effet, si une chose s’applique à toutes expériences possibles alors celle-ci en est une condition et donc a priori. C’est ainsi que Kant affirme : « nécessité et stricte universalité sont donc les marques sures d’une connaissance a priori ». Il faut néanmoins étudier ces principes de façon séparé car l’erreur peut arriver si on les confond.
Maintenant qu’on a ces critères, on peut étudier nos connaissances actuelles pour savoir si une connaissance pure a priori donc nécessaire et universelle existe. C’est ici que Kant montre son désaccord avec la théorie de la connaissance de Hume. En effet, celui-ci explique que toute cause est une « association fréquente » que nous faisons entre « ce qui précède et d’une habitude qui en résulte. ». Ainsi, toute connaissance serait contingente et donc incertaine. C’est inadmissible pour Kant : comment expliquer « la certitude de l’expérience » ? De plus, si l’on retire peu à peu les concepts d’une chose, on peut retrouver des sources a priori : l’espace qu’elle occupait. De plus on ne peut pas nier qu’il existe des choses qui soient a priori puisqu’on peut penser une chose comme substance. Il existe donc bien des connaissances pures a priori et on pouvait le voir plus simplement en étudiant les règles de la mathématique qui sont universelles et nécessaires (à nuancer selon l’état de nos connaissances actuelles ex : géométrie non euclidienne etc…).
Attention cependant à distinguer les connaissances pures a priori des connaissances qui sortent du champ de l’expérience. En effet celles-ci donne « l’apparence d’étendre nos jugements » et donc notre connaissance mais elle ne sont en réalité pas des connaissances car incertaines. Ce sont des croyances.
La science de ces connaissances hors de l’expériences s’appelle la métaphysique. Malgré ça, il semble que notre raison préfère s’occuper de ces connaissances incertaines car nous les jugeons supérieures aux autres connaissances. Nous préférons nous tromper. Ainsi, Kant liste les 3 principaux « problèmes inévitables de la raison pure » qui sont : Dieu, l’immortalité et la liberté. Ainsi si la métaphysique est « dogmatique » (elle ne s’occupe pas de savoir ce qu’elle peut connaitre) la science elle doit être critique pour savoir précisément ce qui peut être l’objet d’une connaissance sure.
Kant explique ensuite pourquoi la question de la certitude des fondements de la métaphysique n’a jamais été abordée. En effet, l’attitude « naturelle », rationnelle serait de poser justement des bases sures pour construire une « édifice » de certitudes. Mais alors pourquoi cela n’a pas été fait ? Déjà, la mathématique est certaine, donc il est facile d’étendre ce jugement aux autres sciences et donc à la métaphysique. Deuxièmement, si la métaphysique est en dehors du champ de l’expérience, elle ne peut pas être contredite par elle et donc il est plus difficile (si ce n’est impossible) de se rendre compte d’une erreur et ainsi les recherches sont continuées. Ainsi, l’expérience est à la connaissance ce que l’air est à l’oiseau, cela ralenti l’avancé mais c’est aussi ce qui la permet. De plus, Kant remarque qu’une grande partie de ce que nous considérons comme nos connaissances n’est en réalité qu’une clarification de ce que nous connaissons déjà : nous confondons la forme d’apparence nouvelle du jugement avec son contenu qui n’étend en rien nos connaissances. Il y a donc des jugements qui étendent nos connaissances et des jugements qui éclaircissent celle qu’on a déjà. Il faut donc bien faire la distinction entre ces deux modes de connaissances, d’où le chapitre IV.
4. Distinction entre jugements analytiques et jugements synthétiques
Un jugement est composé d’un sujet et d’un prédicat et le lien entre les deux n’est « possible que de deux manières ». Le jugement peut être analytique c’est-à-dire que le prédicat est contenu dans le sujet (ex : un chat miaule) ou il peut être synthétique c’est-à-dire que le prédicat est extérieur au sujet (ex : un chat noir). Les jugements analytiques sont aussi appelés explicatifs, ils « décompose par l’analyse en ses concepts partiels » le sujet mais n’y ajoute rien qui ne soit pas déjà pensé dans le sujet. Les jugements synthétiques sont dits extensifs car ils étendent le concept avec un prédicat qui n’est pas contenu dans le sujet. (ex : distinction corps étendu jugement analytique et corps pesant jugement synthétique).
Kant tire de cette distinction 2 affirmations : la première est que les jugements analytiques n’étendent pas nos connaissances (ce qui signifie que les jugements synthétiques eux les étendent). La seconde est qu’il faut, pour étendre nos connaissances, que le lien entre le sujet et le prédicat soit justifié c’est-à-dire montrer que le prédicat ne soit pas contenu dans le sujet mais qu’il lui appartient.
Pour ce qui est des jugements empiriques, le lien est facile à justifier : c’est l’expérience. « L’expérience est donc cet X qui est en dehors du concept A et sur lequel se fonde la possibilité de la synthèse du prédicat B de la pesanteur avec le concept A ».
Mais si les jugements synthétiques sont a priori de l’expérience, comment peut-on fonder le lien puisqu’on a plus l’expérience ? Il faut cependant trouver ce lien car c’est sur ces jugements synthétiques a priori que « repose la fin toute entière de notre connaissance ». En effet même si les jugements analytiques sont important pour avoir une connaissance claire, ordonné, il faut des jugements analytiques pour « une acquisition nouvelle » de connaissance.
Il faut donc « découvrir le principe de la possibilité de jugements synthétiques a priori » et établir un « système » qui permettra d’ordonner nos connaissances et de les baser sur des principes surs qui garantissent la progression de la science. C’est donc l’objectif de la Critique de la raison pure. C’est de répondre à la question : comment des jugements synthétiques a priori sont possible ?
5. Les jugements synthétiques a priori dans les différentes sciences
Kant montre ensuite comment pour chaque science, un jugement synthétique a priori est possible. Il commence par la mathématique, puis par les sciences physiques et enfin par la métaphysique. Concernant la mathématique, il affirme « Les jugements mathématiques sont tous synthétiques ». Cependant, cette idée va à l’encontre de ce que tous les « analystes de la raison humaine » ont affirmés. En effet, selon eux les jugements mathématiques reposent sur le principe de contradiction (une proposition est soit vraie soit fausse mais jamais les deux à la fois). Ainsi la majorité de ces jugements seraient analytiques puisqu’ils seraient en eux même vrai ou faux et donc leur donner le prédicat de vérité n’est qu’un jugement analytique. Or cela n’étend pas nos connaissances. Il semble aisé d’accepter le point de vue que nous venons de voir cependant Kant se positionne contre en affirmant que tous les jugements de la mathématique sont synthétiques.
Pour affirmer cela il faut déjà admettre que tous les jugements mathématiques sont a priori.
Ensuite, pour montrer que certains jugements mathématiques sont bien synthétiques, Kant prend l’exemple de la somme de 5 et 7. En effet, à première vue cela semble être un jugement analytique, cela donnera plus de poids a son argument s’il a raison. Cependant, si on regarde de plus près, le résultat (12) n’est ni contenu dans le concept de 5, ni dans le concept de 7 et pas non plus dans le concept de somme. Ainsi, donner le prédicat ‘cela vaut 12’ au concept de 5+7 est bien un jugement synthétique. Il est important de préciser que nous sommes certains du résultat grâce à l’intuition. (ex d’ajout de point ou avec les doigts de la main). Ainsi, Kant généralise : « la proposition arithmétique est toujours synthétique » p.41.
Mais cela ne vaut pas que pour l’arithmétique, c’est aussi le cas pour la géométrie avec l’exemple de la droite, qu’elle soit la plus courte distance entre deux points n’est pas contenu dans son concept et cela est valable par la synthèse permise par l’intuition.
Il existe cependant des jugements analytiques au sein de la mathématique (ex : a=a ou a+b > a) mais sont eux aussi valable que parce qu’ils le sont pour l’intuition et ne sont pas des principes en mathématique.
Concernant la physique, elle « a pour principes des jugements synthétiques a priori ». En effet ses principes sont nécessaires donc a priori et pour l’exemple « dans tous les changements du monde corporel la quantité de matière reste la même » le concept de matière n’est pas contenu dans le concept de changement. Kant généralise cela a tous les principes de la science physique.
Concernant la métaphysique enfin, celle-ci ne contient pas de jugements analytiques et se contente de jugement synthétique a priori afin d’étendre notre connaissance a priori. Cependant, la métaphysique quitte complètement le champ de l’expérience (il n’y a pas d’intuition ici contrairement aux sciences mathématiques et physiques). En effet, les concepts dont elle s’occupe ne sont pas contenus dans l’expérience (ex : le monde, le moi, Dieu, la liberté, l’immortalité…) et ainsi contrairement aux mathématiques et à la physique qui fondent leurs certitudes sur l’intuition, la métaphysique elle ne le peut pas.
6. « Problème général de la raison pure »
Kant verbalise enfin le problème que nous avions relevé plus tôt : « comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? ». C’est ce qu’il appelle le « problème de la raison pure ».
Il récapitule ensuite ce que ses prédécesseurs ont pu penser avant lui. En effet, si la métaphysique est en « ruine », c’est précisément parce que le problème de la raison pure n’a jamais été formulé. Hume s’en est rapproché mais sa théorie condamne toute science a priori et donc aussi la mathématique et la physique. Or on sait que la mathématique par exemple est certaine (encore une fois à nuancer avec l’état actuel de nos connaissances). Il faut donc répondre au problème de la raison pure pour sauver les sciences.
Kant va donc répondre à deux questions : « Comment la mathématique pure est-elle possible ? Comment la physique pure est-elle possible ? ». L’enjeux étant de permettre l’usage de la raison pure dans « l’établissement et le développement de toutes les sciences ».
Ainsi, la Critique de la raison pure a pour but de démontrer la possibilité de la mathématique et de la physique et de confirmer les doutes au sujet de la possibilité de la métaphysique.
Cependant, la métaphysique est un « piège inévitable de la raison humaine » comme on l’a vu plus tôt. Ainsi, Kant dit de la métaphysique qu’elle est une « disposition naturelle » de la raison humaine ce qui explique pourquoi de tout temps il y a eu une métaphysique. Ainsi la question est donc plutôt de savoir « comment la métaphysique est-elle possible en tant que disposition naturelle ? » et ainsi cela nous enjoint à dresser un système de la raison humaine pour comprendre son fonctionnement et sa nature.
Mais cela ne se limite pas à cela, si en effet la métaphysique est une disposition naturelle, il faut aussi étudier si on peut l’étendre et ainsi en faire une science ou alors lui poser des « bornes déterminés et sures ». Il y a donc une seconde question qui se pose « comment la métaphysique est-elle possible en tant que science ? ».
Il y a donc deux façons d’utiliser sa raison, la critique qui mène à la science et le dogmatisme mène à l’incertitude et ainsi au « scepticisme » (impossibilité d’une connaissance certaine).
Aussi, puisque la métaphysique est entièrement au-delà de l’expérience, les problèmes qu’elles se pose sortent entièrement de l’intérieur de la raison. Aussi, l’objectif de sa critique est simple à atteindre : poser les limites de ce que la raison peut atteindre en métaphysique.
Il faut cependant ne pas considérer les avancés présumés que la métaphysique à fait jusque-là. En effet, celle-ci ont été faites de manière dogmatique et donc, toutes ces conclusions sont incertaines. Il faut donc reprendre depuis le début pour avoir une science « dont on peut couper les pousses mais non arracher les racines » p.45 et ainsi assurer la « croissance » de la science.
7. Division au sein de la science de la raison pure (philosophie transcendantale)
En conséquence de ce qu’on a vu plus tôt, Kant nous montre la nécessité d’un système de la raison pure. Cette science s’appelle « critique de la raison pure », elle définit les limites et les sources de la raison pure. Elle est une « science négative » au sens ou elle n’étend pas nos connaissances mais elle les clarifie et empêche les erreurs. C’est une « philosophie transcendantale » car elle s’intéresse au mode, pour se rapporter aux objets, de notre conscience. Sans pouvoir cependant commencer par elle, c’est l’objectif final. Mais il faut déjà avoir une analyse globale qui permet de voir les principes de la synthèse a priori. Celle-ci doit « fournir la pierre de touche qui décide de la valeur ou de la non-valeur de toutes les connaissances a priori ». Ce but est atteignable car celui-ci est contenu en nous au sens ou le fonctionnement de notre entendement est interne a lui-même et donc connaissable.
La critique de la raison pure doit « esquisser » les principes de fonctionnement de la science de la raison pure. Ainsi, ce n’est pas un système complet et donc ce n’est pas une philosophie transcendantale. La Critique se contentera dénombrer les concepts primitifs de la connaissance pure. Le but de la Critique de la raison pure n’est donc que d’esquisser les premiers principes surs de ce qui deviendra une philosophie transcendantale ensuite.
C’est donc bien « l’idée d’une science transcendantale ».
Dans cette science transcendantale et dans ses principes ne doivent figurer aucuns concepts empiriques : « c’est pourquoi la philosophie transcendantale est une philosophie de la raison pure simplement spéculative ».
Kant opère ensuite une division que le système de la raison pure devra contenir et qui va constituer le sommaire de la Critique de la raison pure. Il faut dans un premier temps une théorie des éléments qui ira de la page 53 à 485 et une théorie de la méthode qui va de la page 485 à 571. Après cela il précise deux facultés qui permettent la connaissance : « la sensibilité et l’entendement ». La sensibilité est une faculté passive qui nous donne les objets et l’entendement est une faculté active qui nous permet de les penser. Ainsi, les conditions de possibilité de toute expérience possible sont contenues dans la sensibilité et ainsi la sensibilité fait partie de la philosophie transcendantale. L’étude de la sensibilité constitue la première partie de la théorie des éléments car de manière chronologique, les objets nous sont donnés avant que nous puissions les penser d’où le plan choisit par Kant.
Charra Elliot étudiant 2ème année de licence de Philosophie à l'UGA