Vulgarisation sur YouTube… Pour qui ? Pourquoi ? Retour sur le talk de La Casemate avec Melvak
Publié par Kimberly Bonnel, le 1 juin 2021 1.9k
Le samedi 22 mai 2021, La Casemate organisait un talk, un peu spécial, en direct sur YouTube. La présence de Simon Rondeau, alias Melvak, a été l’occasion de parler de son expérience de vidéaste vulgarisateur.
Melvak s’est lancé sur YouTube il y a 5 ans déjà, à peine sorti du lycée, pour parler de ce qui le passionne : le monde marin. Étudiant en licence de biologie à l’Université du Mans, puis en master d’océanographie et d’écologie marine à la Sorbonne, il s’est formé au discours de vulgarisation et à la technique vidéo en autodidacte. Aujourd'hui il est auto-entrepreneur vidéaste et travaille en collaboration avec différents CCSTI et laboratoires pour lesquels il produit des vidéos. Il occupe également un poste au pôle culture scientifique de l’Université du Mans.
Pourquoi (ne pas) choisir YouTube ?
Plongé dans l’univers de YouTube depuis petit et grand consommateur de vidéos de vulgarisation, Melvak n’a pas hésité à se lancer sur cette plateforme. YouTube, il en connaît bien les codes. Les touches d’humour agrémentent facilement ses vidéos, tout comme les références à la pop culture et à la communauté internet. En plus de rendre des sujets complexes plus attrayants, ces éléments favorisent la mémorisation. Et ça, les vidéastes l’ont bien compris.
Les chaînes de vulgarisation ont fait leur place sur la plateforme, depuis une bonne dizaine d’années déjà. Elles ont gagné en notoriété et en légitimité pour être considérées comme de véritables ressources pédagogiques aujourd’hui. Le Ministère de la Culture, publiait lui-même, en 2018, une liste de 350 chaînes culturelles et scientifiques francophones. Les institutions (musées, centres de recherches, universités etc.) tissent de plus en plus de liens avec ces vidéastes, ou se lancent elles-mêmes sur YouTube, à l’image de Zeste de science créée par le CNRS.
Si YouTube apparaît comme un terrain de grande liberté, par rapport à la télévision par exemple, la plateforme est aussi très concurrentielle et il faut pouvoir y faire sa place. D’autant plus que ce sont, en grande partie, les algorithmes de YouTube et ses conditions d’utilisation qui dictent notre sort. Les vidéos de vulgarisation ne sont pas particulièrement mises en avant par l'algorithme et il est parfois compliqué de rendre un contenu visible auprès de ses abonné·es, malgré les systèmes de notifications (le fameux “activez la cloche”), comme en témoigne Melvak, qui peine parfois à notifier ses abonné·es.
De plus, aujourd’hui, la majorité des vidéos de vulgarisation ont un rendu bien plus professionnel qu’au démarrage, époque où le “bricolage” pouvait être la norme. La prise d’image, de son et le montage sont souvent très travaillés, rendant l’audience moins tolérante à une technique approximative. La durée moyenne des vidéos s’est également allongée avec le temps. De capsules de 5 min, elles sont passées à des véritables vidéos d’investigation de 20 minutes, parfois 30 minutes, comme peuvent le faire Léo Grasset de la chaîne Dirty Biology ou Benjamin Brillaud, de la chaîne Nota Bene.
On observe, finalement, une professionnalisation des vidéastes, qui rend la tâche d’autant plus difficile quand on souhaite se lancer dans l’aventure.
Vidéaste, une activité prometteuse ?
Alors, est-ce que ça vaut encore le coup de se lancer sur YouTube ?
Tout dépend de son ambition. Faire de YouTube une activité rémunératrice, voire principale, reste difficile. Comme l'identifiait déjà Tania Louis, en 2016, dans une étude sur la situation socioprofessionnelle des vidéastes de vulgarisation, rares sont celles·ceux n’ayant pas d'autre activité professionnelle ou ne suivant pas de cursus universitaire en parallèle.
Les revenus générés par la monétisation d’une vidéo YouTube, c’est-à-dire par le nombre de vues, sont peu lucratifs. Melvak donne un exemple personnel : pour 15 000 vues, il reçoit environ 30 euros. Sur cette vidéo, il a peut être passé 70h de travail, entre les recherches, le tournage et le montage. Et, comme il le dit, “30 divisé par 70, y’a plus sexy comme salaire”.
Les vidéastes font ainsi appel aux dons, via des plateformes comme Tipee, qui sont un véritable coup de pouce, mais qui restent très incertains, conditionnés par le bon vouloir de leur audience. Certain·es mettent en place des partenariats pour des placements de produits ou du sponsoring (comme avec le géant Nord VPN par exemple). Néanmoins, établir un partenariat demande d’avoir une audience suffisante et de respecter une certaine régularité pour satisfaire la structure partenaire.
C’est finalement sur la multiplicité des revenus qu’il vaut mieux parier, pour s’assurer une situation plus sécurisante. Mais c’est une équation compliquée.
Pour Melvak, ce sont surtout les collaborations avec des institutions de culture scientifique et des laboratoires qui l’ont propulsé vers le haut. Il a, notamment, effectué une résidence auprès d’Océanopolis, Centre National de Culture Scientifique dédié à l’océan, grâce à laquelle il a pu produire cette vidéo à plus grand budget. Mais cette collaboration lui a surtout permis de rencontrer d’autres acteur·rices de la culture scientifique, d'échanger et apprendre de leurs pratiques respectives. Enthousiaste, il confie que “c’est ce qui [lui] a vraiment donné envie de continuer”.
Melvak a choisi d’envisager YouTube comme un support de visibilité, un moyen de développer son réseau de manière générale, pour être capable de saisir de nouvelles opportunités.
Une tendance à la diversification chez les vidéastes ?
De nombreux·euses vulgarisateur·rices ayant démarré comme vidéastes, ont petit à petit diversifié leur activité en dehors d’internet : participation à des conférences, à des émissions télévisées, ou encore publication d’ouvrages (à l’image de Bruce Benaman de la chaîne E-penser). Sortir de YouTube peut permettre de toucher une audience différente, de développer des sujets plus en profondeur. Car, “tout n’a peut-être pas sa place sur YouTube”, comme le relève Melvak.
Mais les vidéastes se sont aussi diversifé·es sur internet. Le monde de la vulgarisation ayant investi les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, Tik Tok) ou encore Twitch, ils·elles sont souvent présent·es sur plusieurs plateformes à la fois. On peut voir de plus en plus de vidéastes proposer à leur audience de se retrouver en direct sur Twitch ou Discord, suite à la publication d’une nouvelle vidéo. En switchant, sur d’autres plateformes, les vidéastes se permettent de nouveaux formats, parfois plus courts, plus percutants, comme Dr Nozman sur Tik Tok, ou au contraire, plus longs et plus interactifs, comme c’est en général le cas sur Twitch.
Melvak souhaite ainsi développer un contenu plus polyvalent en proposant, par exemple, des mini formats de ses vidéos sur les réseaux sociaux. Et, surtout, ne plus être identifié seulement comme vidéaste, pour continuer d’enrichir son activité de vulgarisateur.
Un autre phénomène important de la vulgarisation sur YouTube est le regroupement des vulagrisateur·rices en collectifs, comme le Café des sciences, et notamment VideoSciences, ou encore La Guilde des Vidéastes, rassemblement professionnel ayant pour but de protéger/encadrer l’activité. Se rapprocher d’autres vidéastes présente un réel intérêt : bénéficier de l’expérience d’autres personnes, partager ses ressentis, échanger sur des aspects techniques, sur l’utilisation de la plateforme etc. Comme en témoigne Melvak, pour qui ces collectifs ont été d’une grande aide, : “Youtube est une aventure humaine incroyable.” Et puis, les regroupements permettent parfois de générer des collaborations entre vidéastes et ainsi enrichir leur chaînes d’un nouveau point de vue, d’une nouvelle visibilité.
En somme, se diversifier et se rassembler, c’est sûrement le meilleur moyen d’entrer dans le monde de la vulgarisation et de s’y pérenniser.
Retrouvez la rediffusion du talk avec Melvak
N’hésitez pas à suivre l’actualité de la chaîne YouTube de Melvak, qui nous prépare, entre autres, une vidéo sur le Glaucus atlanticus, petite beauté des eaux tempérées et tropicales.
Quelques ressources sur le sujet :
- un article de Julie Polge publié par The Conversation sur les liens entre vulgarisateur·rices YouTube et institutions
- une analyse de la situation professionnelle des vidéastes vulgarisateurs par Tania Louis
- la captation d’une table ronde sur la situation professionnelle des vidéastes vulgarisateur·rices organisée par Tania Louis
- un article de Yasmina Harbi de l'Université Paris-Est sur l'intérêt des vidéos de vulgarisation sur YouTube
- un article Grand Labo sur les vidéos de science en confinement
- un article Madmoizelle sur l’audience féminine des vidéos de vulgarisation
- un article France Culture sur les vulgarisateur·rices YouTube
- un article Konbini sur la fiabilité des vulgarisateur·rices YouTube
- un article 20 Minutes sur vulgarisation et humour