Volontariat scientifique au Mont-Blanc : entre succès et nouveaux défis
Publié par Charlotte Mader, le 22 février 2017 3.5k
Il y a 9 mois, je publiais ici même l’article Tourisme et sciences, un défi pour la recherche sur le lancement des Séjours Sciences, des missions de volontariat scientifique au Mont-Blanc. La gestation a vu le format évoluer sur plusieurs plans mais les missions 2017 se profilent avec un fil conducteur : partage et co-construction.
L’objectif des Séjours Science 2016 était le suivant : offrir une alternative durable à la découverte du massif à travers le volontariat scientifique et faire du Mont-Blanc un site de référence du suivi de la planète face au changement climatique. Cet été, 14 participants ont rejoint le CREA Mont-Blanc dans son laboratoire à ciel ouvert pour partager le quotidien des chercheurs et aider à améliorer notre connaissance des espèces qui le composent.
Pour résumer : nos ambitions
À travers le volontariat scientifique, le CREA Mont-Blanc espère :
- rassembler plus de données sur la faune et la flore du Mont-Blanc. Ces données permettront de mieux connaitre le massif et son fonctionnement pour déterminer quelles seront ses évolutions d’ici 2100 [le cœur de nos recherches avec l’Atlas du Mont-Blanc]
- réunir, à travers un engagement associatif, résidents du territoire (qui forment une partie importante des volontaires du CREA Mont-Blanc) et visiteurs de passage autour d’un projet commun [l’ambition territoriale dans une zone ultra-touristique]
- faire du débat public sur le changement climatique un questionnement plus tangible pour les volontaires. En s’impliquant directement dans les études participatives de compréhension des évolutions des paysages, les volontaires observent leur environnement sous un nouvel angle et leur perception de la montagne et de la science évolue [la GRANDE ambition de culture scientifique]
Un projet d’avenir pour la dynamique du territoire
Plébiscité par un tourisme sportif, le Mont-Blanc est une destination nature unique en Europe. Forte d’un héritage scientifique incomparable et de nombreuses études en cours, le potentiel de culture scientifique de la zone est pourtant quasi-inexploité. Avec nos missions de volontariat scientifique, nous cherchons à promouvoir une nouvelle image du massif en valorisant les recherches scientifiques et les chercheurs du territoire.
Dans cette optique de construction d’un tourisme alternatif, les pratiques doivent se diversifier pour répondre au défi du changement climatique et aux exigences nouvelles des visiteurs, soucieux de leur empreinte écologique et avides de sens pour leurs loisirs. Ici, les visiteurs sont directement impliqués dans l’acquisition des connaissances sur les impacts des variations environnementales sur nos paysages.
Le fond européen TourScience, qui porte financièrement les Séjours Science, a suscité l’intérêt de plusieurs acteurs de l’offre touristique de la vallée de Chamonix : Conseil Départemental, Communauté de Communes, Office de Tourisme, et partenaires privés. Nous avons la chance d’avoir obtenu leur soutien dans le développement d’un tourisme responsable de découverte alternative du massif.
Volontaires et chercheurs à Loriaz (1900 m) en juillet 2016 © CREA Mont-Blanc
Un succès pour la recherche et la diffusion des savoirs
Les dizaines de données collectées aux côtés des équipes de recherche par les volontaires ont alimenté en temps réel l’Atlas du Mont-Blanc , vaste programme transfrontalier de suivi de la biodiversité initié par le CREA Mont-Blanc avec des chercheurs suisses, français et italiens. Toutes ces données permettent de comprendre les caractéristiques de l’écosystème afin de prédire ses évolutions en réponse au changement climatique.
Pionnier de la science participative en France, le CREA Mont-blanc implique depuis 20 ans les citoyens sur ses sites de suivis pour démultiplier les efforts de recherche et sensibiliser par le Faire. L’apprentissage de la démarche scientifique et le développement de l’esprit critique, plus que la simple assimilation des connaissances, sont au centre de nos objectifs de médiation. C’est sur l’expérience du terrain, à la portée de tous, et les échanges avec les chercheurs que nous concentrons notre énergie.
Nous creusons également le potentiel de médiation du volontariat, que l’on pratique comme une forme de sciences participatives à part entière, à travers un partenariat avec l’Université de Savoie. 22 étudiants de Master 2 de Management du tourisme de l’IAE Savoie Mont-Blanc conçoivent des outils afin d’évaluer l’impact pédagogique des missions sur le court et long terme et proposer des solutions novatrices pour favoriser la création et le maintien de souvenirs.
Lire plus à ce sujet sur notre blog Sciences en relief :
- Volontariat et recherche : le duo gagnant
- Le volontariat en immersion : une nouvelle forme de médiation au Mont-Blanc
Et les challenges ? Le vide juridique du volontariat
Malgré les succès encourageants, on se frotte bien sûr à quelques difficultés. La plus préoccupante actuellement concerne le vide juridique qui entoure le financement du volontariat scientifique en France. Les différents formats de séjours de volontariat que l’on rencontre, avec des organismes comme Cybelle Planète, Objectif science international ou Planète urgence sont considérés la plupart du temps comme des missions de soutien aux activités d’associations d’intérêt général. L’objectif du format est de pouvoir proposer aux volontaires une déduction fiscale puisque leur présence n’est pas considérée comme un achat de service ou de séjour de tourisme mais comme un don en temps et en argent.
La ligne jaune entre mission de volontariat, séjour naturaliste ou séjour de tourisme est plutôt difficile à situer et ce sont souvent des mots clés et des détails logistiques qui font la différence – et pourtant 66 % de déduction fiscale, c’est une différence notoire, inutile de préciser que renoncer à ce « détail » mettrait en péril l’existence même du projet qui deviendrait beaucoup trop couteux pour être viable.
Pour résumer, nous avons donc dû apprivoiser la notion de service et différencier séjour et mission. Le format change donc et nous proposons désormais nos missions sans hébergement. Nous garantissons ainsi que l’ensemble des frais correspond à des temps « partagés avec l’équipe » d’une association d’intérêt général à but non-lucratif (loi 1901) – frais déductibles des impôts. Par exemple, le logement à l’hôtel ne peut pas être déductible fiscalement. C’est un achat individuel. C’est le cas également des repas : ceux qui sont « partagés avec l’équipe », comme un pique-nique sur le terrain ou un diner au refuge, sont pris en charge et déductibles des impôts.
Tous ces remaniements rendent la logistique plus complexe pour les volontaires. Cependant, le coût d’hébergement, élevé pour nous (75 € par personne par jour à Chamonix) permet de baisser nos tarifs à 1 300 € la semaine – 442 € après déduction fiscale. Le prix, même s’il est élevé, reste raisonnable pour une mission en immersion au Mont-Blanc.
Suivi des dates de reproduction de la grenouille rousse dans les mares d'altitude © CREA Mont-Blanc
Le cas des week-ends
Le format « Weekend famille » présenté en 2016, le plus proche d’une offre « touristique » de sortie nature, est celui qui évolue le plus. En effet, nous n’avons pas vocation à devenir un organisme de tourisme. Nous restons et resterons un laboratoire de recherche. Les week-ends évoluent donc pour devenir d’authentiques sorties de terrain de recherche – voilà un domaine que l’on connait par cœur. L’objectif ici est de former des Accompagnateurs en Moyenne Montagne (AMM) à nos protocoles et à nos thématiques de recherche pour démultiplier la participation citoyenne sans mobiliser systématiquement les chercheurs.
Dans ce nouveau format d’ « opération coup de main », testé en octobre 2016 à l’occasion du remplacement d’une station climatique, les volontaires sont plus autonomes. Répartis en équipes, ils contribuent à la collecte de données sur un ou plusieurs protocoles en particulier. La soirée et la nuit du samedi en refuge garantie un temps d’échange privilégié avec les chercheurs même s’ils ne sont pas présents dans les équipes mais attelés eux-mêmes à la tâche sur le terrain pour les protocoles les plus exigeants.
La participation est fixée à un don de 100 € la journée - 34 € après déduction fiscale pour soutenir les activités de recherche du CREA Mont-Blanc. À cela il faudra ajouter l’adhésion de 20 € au CREA Mont-Blanc et le coût d’hébergement, variable selon le refuge.
Dans cette nouvelle formule, la démarche pédagogique est un peu moindre et nous abandonnons, non sans regrets, l’aspect « famille », en fixant la limite d’âge à 15 ans.
Et la suite ?
Le financement sur projet européen Tourscience nous permet de tâtonner pour faire évoluer les différents formats que l’on pourra proposer vers quelque chose d’à la fois intéressant pour le public, de productif pour la recherche scientifique et de viable pour l’association. L’aventure continue dans tous les cas, dans un contexte optimiste et stimulant. Nous travaillons aussi sur un public universitaire anglophone (professeurs et étudiants en deuxième cycle) mais ça, c’est une autre histoire…
Pour en savoir plus
Les missions de recherche 2017
Les opérations coup de main
Le projet européen Tourscience, et sa flopée de logos
Visuel principal : Suivi d'abondance des mammifères à Loriaz 1900 m par les volontaires et les chercheurs, juillet 2016 © S.Gatty