Vers une sociologie des polluants persistants (microplastiques et PFAS) et de leurs présences en territoire montagnard
Publié par Fabien Richard, le 4 décembre 2024 230
Compte-rendu de la deuxième conférence du séminaire “sciences, société, communication” organisée par la MSH-Alpes et coordonnée par Michaël Chambru le 12 novembre 2024. Rédigé par les étudiants du master CCST de l’UGA.
Intervenant : Stéphane Marpot - EDYTEM - Université Savoie Mont Blanc, Chercheur post-doctorant en sociologie
De par sa formation en anthropologie sociale, Stéphane Marpot focalise d'abord son attention sur les effets d'un usage des androïdes comme médiateurs thérapeutiques pour des enfants atteints de troubles autistiques pour son mémoire de master. Dans le cadre de son doctorat, ses recherches se sont ensuite concentrées sur la perception des montagnes et le ressenti global des populations autour de la biodiversité montagnarde. L'étude des micropolluants constitue le thème actuel de ses recherches post-doctorat sur un pan du domaine de la sociologie des rapports à la nature.
L'émergence du thème comme sujet de recherche post-doctorat
Après son doctorat et la soutenance de sa thèse, la question de la hiérarchisation entre l'abiotique (relatif au non-vivant) et le biotique (relatif au vivant) en milieu montagnard le motive à prendre en compte la place des polluants persistants dans les territoires alpins. La transparence du sujet sur cette dichotomie amène à traiter cette thématique actuelle. Les images des amoncellements des produits de l'alpinisme de haute montagne, à plus de 8000 mètres sur le Mont Everest, ont fait le tour du monde et motivent aujourd’hui ce sujet de post-doctorat sur le devenir des micropolluants dans ces territoires naturels.
Polluants persistants : définition des chercheurs des notions de microplastiques et de PFAS
Au sein de la communauté scientifique, les microplastiques désignent des particules de plastique inférieures à 5 mm. Ces polymères, produits par l'Homme et dérivés du pétrole, sont insolubles dans l'eau et persistant dans l'environnement. Depuis 1970, des recherches montrent leur présence dans l'air, l'eau et les sols. Elles dénotent également une omniprésence de ces polluants sur l'ensemble des sphères terrestres, mais aussi au sein des organismes (dont certains sont plus bioaccumulateurs que d'autres). La concentration et le type de microplastiques conditionnent leurs effets sur la santé humaine. En montagne, la présence de ces microplastiques peut en partie être expliquée par le matériel utilisé dans le cadre d’activités sportives. Les textiles synthétiques que nous utilisons, souvent composés de microplastiques (polyester, acrylique, nylon, etc.) se dégradent à chaque utilisation et laissent derrière eux cette pollution.
Un autre type de micropolluant, les PFAS (polyfluoalkylées), fait aussi l'objet d'études au sein de l'écosystème montagnard. Ce sont des molécules avec de longues chaînes carbonées et une liaison chimique très stable, difficile à casser : la liaison carbone-fluor. Difficilement dégradables, les PFAS sont néanmoins largement utilisés depuis les années 1940 pour leurs propriétés anti-adhésives et leur forte thermorésistance. La persistance de ce type de molécule dans l'environnement a des conséquences notables sur la biodiversité en étant notamment bioaccumulés par des organismes marins. Depuis les années 2010, à l’inverse des microplastiques, le sujet de PFAS est régulièrement abordé dans les médias et fait l’objet de scandales. Leurs effets négatifs sur notre santé et sur celle de notre environnement étaient quant à eux connus depuis les années 1970.
Le caractère ubiquitaire des micropolluants, c’est-à-dire leur omniprésence dans l’environnement, induit alors des préoccupations sociétales. La sociologie orientée vers la perception des sciences peut faire l'objet de recherches et apporter des réponses.
Focus sur la cartographie de la contamination des micropolluants (PFAS et autres) en Europe
En Europe, les études montrent l'existence de près de 20 000 sites contaminés, dont 2305 hot-spot de vigilance pour les PFAs en France.
La perception des polluants et les recherches préliminaires
L’étude de ces polluants nécessite de prendre en compte la dimension spatiale et temporelle qui les entoure. Premièrement, leur caractère ubiquitaire impose d’effectuer une revue de la recherche sur le sujet, afin de voir comment ces polluants étaient qualifiés. D’abord considérés grossièrement comme “de la souillure” (travaux de Douglas, 1966), les recherches plus récentes permettent l’émergence d’une notion complexe de “monde toxique” montrant une nouvelle considération des éléments polluants exogènes au milieu montagnard (travaux de Boudia et Jas, 2019). La question du temps amène à se poser la question de l’émergence et de la persistance des micropolluants. Un “héritage toxique” est alors mis en lumière (Boudias et Jas, 2019), et se confronte avec un questionnement sur des “futurs environnementaux” (Granjou, 2019) pour tenter de mettre en place des actions préventives pour se préparer à vivre dans un monde montagnard où les micropolluants deviennent une préoccupation de premier plan.
La sociologie des micropolluants s’appuie alors sur des domaines sociologiques,
environnementaux et politiques où la place et la gestion des micropolluants entrecroisent toute thématique influant sur la dynamique du territoire montagnard.
L'ouvrage de Céline Granjou propose ici de casser la vision parfois simpliste de l’Homme comme seul acteur du changement climatique et de sa pérennité car le reste de la biodiversité y joue aussi un rôle.
La zone critique : interface entre toutes les sphères d’un écosystème
Quand les chercheurs évoquent les propriétés des micropolluants et leurs modes de diffusion, ils étudient “la zone critique”. Il s’agit de la mince pellicule à la surface de la Terre où le vivant interagit. Grand rôle régulateur, sa contamination a donc d’importantes résonances sur l’ensemble des cycles biogéochimiques et sur les ressources que l’Homme exploite (notamment en milieu montagnard).
La question des compartiments montagnards fait écho à cela et montre que ces zones sont plus ou moins investiguées. L’abondance des micropolluants est la plus forte dans les domaines aquatiques. Les poissons sont de gros bioaccumulateurs de xénobiotiques, tels que les micropolluants et les PFAS. Les eaux et lacs de montagne sont donc fortement vulnérables et ont fait l’objet de nombreux travaux de recherches sur la chimie de l’eau. Les travaux sur les types de polluants sont, quant à eux, plus minoritaires.
Des pistes sociologiques pour illustrer la question des polluants en territoire de montagne
La piste privilégiée dans la thèse est une cartographie des études faites sur le sujet. La montagne doit être ici considérée comme un espace conçu : cela amène donc peut-être à cibler l’un des axes du travail de recherche sur les pratiques touristiques et la consommation par les populations gravitant autour. Les apports de la sociologie pourraient ainsi se pencher sur les stratégies de valorisation et de communication de la montagne.
Le clivage existant entre la contamination des montagnes et le fonctionnement d’usines limitrophes interroge également les différents acteurs sociaux sur la perception de ce milieu à fort relief. Est-ce que la divergence des opinions sur le sujet pourrait fournir matière à s’y intéresser ? Quelles sont les tensions et la nature exacte des relations entre les différents groupes sociaux ? (montagnards et locaux face aux industriels et exploitants des zones de montagne)
Plusieurs pistes sont envisagées pour cette question doctorale :
- Une frise microsystémique pour historiciser et recontextualiser le sujet : terrain fertile à un dialogue interdisciplinaire.
- Un travail ethnographique pour comprendre les rapports à l'environnement et les relations sociales associées : requalifier certains termes en fonction des ressentis autour des micropolluants en montagne
- Des entretiens sociologiques pour comprendre l’engagement sur la question et les effets d’un apprentissage perceptif : quelles sont les plus-values que l’on pourrait retirer d’une meilleure compréhension des occurrences linguistiques quand on interroge sur la question de la thèse.
Article rédigé par Fabien Richard, Angélique Noël et Mélie Radufe