Vers une Encyclopédie en ligne de l’énergie

Publié par Jean-Marie Martin-Amouroux, le 13 janvier 2014   4.8k

Jean-Marie Martin-Amouroux porte le projet d'une encyclopédie de l'énergie. Il nous présente l'intérêt de sa démarche.

Le savoir autour du domaine complexe de l'approvisionnement en énergie est indispensable au développement d’une culture scientifique, technique, économique  et politique favorisant la pertinence des choix individuels et collectifs. Riche des compétences accumulées dans ses centres de recherche publics et privés, ses entreprises et ses associations, Grenoble et la région Rhône-Alpes offrent une base solide à notre projet d'Encyclopédie de l'énergie.

Le besoin de nouvelles connaissances

Comme tous les champs du savoir en mutation, celui de l’énergie connait des changements rapides d’ordres scientifiques, technologiques, économiques et politiques. Les deux premiers se sont accélérés avec l’exigence de conversions énergétiques toujours plus efficaces, la quête de ressources fossiles de moins en moins conventionnelles, le développement de l'énergie nucléaire, l'essor des nouvelles énergies renouvelables, l'émergence de nouveaux moyens de stockage et de transport de l’électricité, la recherche de procédés susceptibles de protéger l’environnement.

Les changements économiques et politiques se sont complexifiés avec l'accroissement du nombre de  technologies mais aussi avec la multiplication des acteurs impliqués dans les choix énergétiques. En outre, les États ne sont plus seuls à peser sur les choix énergétiques qui s'étirent désormais de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique aux initiatives locales en vue de stimuler efficacité et sobriété énergétique, en passant par le «paquet énergie-climat» de l'Union Européenne, le tout dans le cadre d'un approvisionnement énergétique mondialisé sous le contrôle de grandes firmes multinationales.

Dans un tel contexte, les débats sur l'avenir souhaitable de l'approvisionnement en énergie ne sont pas toujours à la hauteur des véritables enjeux.  Loin d'éclairer les défis déjà décelables, certains d'entre eux freinent, et parfois même bloquent,  les innovations technologiques et sociétales que commande l’intérêt général. En cause, des intérêts particuliers contradictoires mais aussi le caractère trop souvent approximatif des informations mises en avant par les protagonistes. Développer la diffusion d'un savoir le moins contestable possible, issu de la recherche scientifique et de l’expérience professionnelle, est donc, plus que jamais, une «ardente obligation».

Le rôle croissant de la Toile

Ouvrages, périodiques spécialisés et grande presse de qualité resteront des moyens d'accès au savoir  pour les spécialistes des questions énergétiques dans les centres de recherche, les entreprises, les administrations ou les associations d'aide aux consommateurs et aux producteurs locaux.  Ils le sont cependant déjà de moins en moins pour le public beaucoup plus vaste du e-learning constitué à la fois de jeunes et de moins jeunes.

Les premiers, natifs du numérique (digital natives), utilisent presque exclusivement la Toile pour accéder aux connaissances, qu’il s’agisse d' élèves de lycées ou d'écoles du supérieur et d'étudiants d’université. Les seconds (lifelong learning), sont des adultes qui souhaitent améliorer leurs connaissances tout au long de leur vie pour des raisons professionnelles ou de simple curiosité intellectuelle. Pour eux aussi, la Toile est un substitut ou un prolongement de la bibliothèque, en plus simple, plus exhaustif et plus interactif.

Ce public va s’accroître considérablement au cours des prochaines années sous l'effet, notamment, de la politique européenne visant à développer un enseignement universitaire en ligne pour tenter de rattraper le retard de plusieurs décennies sur les États-Unis (1).

Un monde francophone en expansion

Plus encore qu'en Europe, le rôle de la Toile va s’amplifier au cours des prochaines décennies dans les pays en développement. Parmi eux, les pays africains, en forte expansion démographique et économique, qui demeurent totalement ou partiellement francophones (2). « Le numérique représente une opportunité de marché majeure car il permet de commercialiser des produits culturels et éducatifs sur tous les territoires », à condition « que l’appareil productif des industries audiovisuelles et de l’édition soit adapté et structuré pour répondre à cette demande » (3). Même si elle ne s’inscrit pas dans un projet commercial, l’Encyclopédie pourrait être l’un des produits qui répondront à cette attente.

De l’information aux connaissances structurées

L'Encyclopédie de l'Energie [ndlr : dont l'adresse, réservée, n'est pas encore active] peut-elle prendre place sur une Toile déjà bien garnie ? Outre les rubriques «énergie» de plusieurs Encyclopédies générales (Britannica ou Larousse) deux Encyclopédies axées sur les questions énergétiques peuvent être consultées : l'Encyclopedia of the Earth et l'Encyclopedia of Energy de Cutler J. Cleveland. La première constitue un modèle de contrôle de la qualité des données publiées et de règles de déontologie imposées aux rédacteurs, mais sa partie «energy» n'occupe qu'une place réduite sur le vaste champ  des sciences de la terre. La seconde est très complète et bien structurée mais elle est uniquement en langue anglaise et payante.

Restent les incontournables notices de Wikipedia auxquelles l'Encyclopédie de l'Energie ne se substituera pas mais qu'elle pourrait compléter. La diffusion d'informations, voire de connaissances, est d'une très grande utilité, mais elle ne remplace pas l'acquisition de savoirs. Ces derniers reposent sur des apprentissages, donc sur l'accès à des connaissances qu'une encyclopédie, contrairement à un dictionnaire, peut homogénéiser, personnaliser et structurer, par un rigoureux contrôle des sources d'information (statistiques, notamment),  par la possibilité donnée à chaque lecteur d'interroger l'auteur d'une notice et par l'organisation systématique de liens, d'une part entre les notices, d'autre part entre les notices, leurs auteurs, une bibliographie commentée, la présentation des institutions de parrainage, les bases de données et d'images accessibles. A l'aide de mots-clé, toutes les  connaissances réparties dans les diverses composantes de l'Encyclopédie pourront être aisément réunies.

Le contenu de l'Encyclopédie

L'idée de départ est de transmettre le plus grand nombre possible de connaissances nécessaires à la compréhension des problèmes que soulève l'approvisionnement énergétique du monde en ce début de XXIe siècle afin de contribuer au développement d'une culture scientifique, technique, économique et politique, favorable à des choix individuels et collectifs pertinents.

Dans cette perspective, l'Encyclopédie ne proposera pas des solutions mais  fournira un savoir permettant au plus grand nombre de ses utilisateurs, divers par leur âge, leur formation initiale et leur pays, de comprendre le monde dans lequel ils vivent. Elle insistera sur les conditions à réunir pour que les producteurs et les consommateurs d'énergie, dans des contextes socio-économiques aussi divers que les pays très développés des deux bords de l'Atlantique et les pays à économie émergente, comparent objectivement les avantages et les inconvénients des nouvelles technologies. Outre leur solidité, garantie par les compétences de ceux qui les fourniront, ces connaissances couvriront le champ le plus large possible.

Elles partiront d’un rappel de ce que disent des diverses formes d’énergie les principales disciplines, de la physique à la sociologie, en passant par la chimie, la biologie, la géologie, l’écologie, l’architecture, l’économie, la politique et peut-être même la littérature. Elles passeront ensuite en revue les principaux usages de l’énergie dans l’industrie, l’agriculture, les transports et le résidentiel-tertiaire afin de mettre en lumière les plages d’augmentation d’efficacité qui conditionnent l’impact des politiques de maîtrise de la demande d’énergie. En réponse à cette dernière, l’éventail de l’offre est de plus en plus large puisque les sources d’énergie fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) sont concurrencées avec succès par la biomasse et par les nombreuses filières de production d’électricité primaire (hydraulique, nucléaire, éolien, solaire, géothermie et bientôt peut-être énergies des mers). Mais ces dernières, le plus souvent intermittentes, ont besoin de réseaux intelligents et de nouveaux dispositifs de stockage (batteries, piles à combustible alimentées en hydrogène).

Déterminants, les progrès de la science et de la technologie ne portent pas seuls les trajectoires énergétiques. Ils sont indissociables de changements institutionnels et comportementaux tant au niveau des entreprises que des pouvoirs publics et des simples consommateurs. A cet égard, la mondialisation des marchés n’a pas réduit les écarts entre pays, héritiers chacun d’une histoire dans laquelle les sources d’énergie n’ont pas joué le même rôle. C’est l’influence de ces histoires sur les politiques actuelles des principaux pays du monde que l’Encyclopédie se devra de retracer.

Restent les grands défis du siècle qui s’ouvre. Comment satisfaire le milliard d’habitants qui n’ont toujours pas accès aux sources d’énergie moderne sans endommager un peu plus l’environnement de notre planète ? Evolution des techniques de production et de consommation d’énergie, renouvellement des cycles industriels et des habitudes de consommation, réorganisation des formes d’occupation de l’espace, nouvelles modalités de gouvernance : autant de thématiques que l’Encyclopédie se devra d’examiner attentivement.

Les auteurs de l’Encyclopédie

A l'heure actuelle, l'Encyclopédie est rattachée à l'Ecole Nationale Supérieure de l'Energie, de l'Eau et de l'Environnement (ENSE3) de l'INP et elle est parrainée, entre autres, par l'Université Joseph Fourier. Concernant ses auteurs, sont recherchés, tant à l’étranger qu’en France, tous ceux qui connaissent le mieux l’un des sujets évoqués plus haut. Sur le terrain des sources d'énergie fossile, appel est fait aux grands organismes de recherche nationaux (Institut Français du Pétrole, Bureau de Recherche Géologique et Minière) et aux entreprises nationales ou multinationales (Total, GDF-Suez) disposant de connaissances technologiques et d’expériences industrielles sans égales.

Sur celui des disciplines scientifiques de base, des filières électriques et des nouvelles technologies, Grenoble et la Région Rhône-Alpes concentrent des richesses souvent insoupçonnées. Sans prétendre en faire le tour, on peut évoquer les départements de géologie, de biologie, de chimie et surtout de physique de l&rsqu ;UJF ; les écoles de l’INP au premier rang desquelles PHELMA et ENSE3 ; le GRETH (systèmes thermiques) et les filières du CEA-LITEN (4) ; les regroupements des principaux laboratoires d’énergétique dans ARC Energies (cluster) et dans l’Institut Carnot Energies du Futur ; le pôle PACTE/EDDEN d’économie de l’énergie UPMF/CNRS, l’entreprise Enerdata et l'ESC de Grenoble ; les acteurs de l’hydroélectricité, dont Alstom et Sogreah/Artelia, réunis dans Hydro 21 ; le pôle de compétitivité Tenerrdis qui veut faire du bassin grenoblois (et chambérien) « la Silicone Valley des énergies renouvelables » ; le CSTB et Schneider Electrique, dans la thermique de l’habitat et la domotique ; les travaux du G2Elab sur les smart grids ; les entreprises innovantes telles que H3C ; les acteurs de terrain, dont GEG, la Compagnie de chauffage, l’ALEC et l’AGEDEN ;  les compétences, notamment sur l’énergie nucléaire, des membres d’associations telles que la SFP, la SFEN, l’AUEG, SLC...

Plus largement, d'autres compétences sont mobilisables à Chambéry où est installé le CEA-INES, à Lyon où l'INSA est un haut lieu de recherche et formation sur diverses filières énergétiques. La R&D sur l'hydrogène et la mobilité-hydrogène est localisée à 70 % en Rhône-Alpes avec l'Air Liquide, Schneider Electric, le CEA-LITEN et tous les acteurs de terrain réunis dans CITELEC. La région, en outre, est aussi pilote dans le domaine de la diffusion d'informations par ses agences locales et départementales de l'énergie. Cette dimension régionale de l'Encyclopédie sera renforcée par des contributions en provenance de nombreux pays étrangers qui disposent de centres de recherche sur l'énergie avec lesquels des coopérations ont été tissées de longue date. L’acceptation par Michel Soutif, ancien président de l’UJF, de rédiger la première notice de l’Encyclopédie relative à « l’évolution du concept d’énergie dans l’histoire des sciences » ouvre la voie à tous les scientifiques, industriels et responsables associatifs désireux d’apporter leur pierre à l’entreprise.

>> Notes :

  1. En témoignent la création au Royaume-Uni de la plate-forme "FutureLearn", en Allemagne d’"Iversity" et en France de "France Université Numérique" au cours de l’année 2013
  2. Selon une récente étude, le nombre d’habitants des pays francophones devrait passer de 220 en 2012 à 700 millions en 2050, neuf sur dix d'entre eux étant africains
  3. Le Monde, 05/11/2013
  4. Solaire, efficacité énergétique du bâtiment, gestion des réseaux, biomasse, hydrogène et piles à combustible, hydraulique

>> IllustrationsEigirdas, SPW, chemierp, James Provost, Ruta N Medellín, Zachary Veach (Flickr, licence cc)