Vers un entrepreneuriat de territoire ? Le cas des Tiers Lieux du réseau Initiative Provence Alpes Côte d’Azur
Publié par Raphaël Besson, le 17 février 2020 4.2k
Raphaël Besson (PACTE/Villes Innovations) a accompagné le réseau INITIATIVE Provence Alpes Côte d’Azur afin de transformer ses plateformes en Tiers Lieux d’entrepreneuriat de territoire. A travers cet exemple, il nous décrit différents processus de ré-encastrement de l’économie dans la société et les territoires.
Initiative France est un réseau associatif de financement des créateurs / repreneurs d'entreprise. Créé en 1985, le réseau fédère aujourd’hui 230 plateformes qui proposent un ensemble de services aux entrepreneurs. Dans la Région Sud, le réseau Initiative Provence Alpes Côte d’Azur s’est engagé dans un processus de transformation de ses plateformes en Tiers Lieux. L’enjeu consiste à ancrer les plateformes dans les territoires et à les ouvrir à de nouvelles fonctions de coworking, de pépinières, d’espaces showrooms, de Fab Lab, de Living Lab ou encore de de Food Lab. Il s’agit également d’accueillir au sien des plateformes de nouveaux acteurs : entrepreneurs, artisans, mais aussi citoyens, associations, habitants et innovateurs en tout genre. Les plateformes Initiative souhaitent se transformer en de véritables espaces ressources, ouverts et hybrides, en capacité d’accroitre le développement local et de favoriser un « entrepreneuriat de territoire ». L’objectif est de « faire plus » en développant des partenariats avec des structures externes, ainsi que de nouveaux dispositifs d’animation territoriale.
À travers cette transformation des plateformes Initiative, il s’agit plus fondamentalement de questionner les représentations de l’entrepreneuriat et de l’économie associées à des sphères « hors-sol » et autonomes, où s’établiraient uniquement des comportements calculateurs, impersonnels et égoïstes. Loin du mythe du « self-made man » et de la vision d’une économie fondée sur un « égoïsme institutionnalisé », les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur défendent la vision d’une économie ré-encastrée dans la société et les territoires.
Pour décrire ce processus de ré-encastrement nous nous appuyons sur l’analyse des plateformes Initiative de la région Sud, engagées dans une dynamique de Tiers Lieux. Nous nous inspirons également de la notion d’encastrement (« embeddedness ») de Karl Polanyi développée dans un ouvrage de 1944 « La Grande Transformation ».
Le processus de ré-encastrement social engagé par les plateformes Initiative Provence Alpes Côte d’Azur
Loin du mythe de l’entrepreneur autonome, les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur défendent la vision d’un entrepreneuriat en collectif. Selon cette approche, les ressorts de l’entrepreneuriat ne sont pas à rechercher dans le génie de tel ou tel individu isolé, mais plutôt dans la capacité à mobiliser des ressources disponibles qui vont concourir, chemin faisant, à la définition et à la réalisation du projet (le réseau bénéficie d’ores et déjà d’une forte implication de la société civile, avec l’intervention de 1700 bénévoles).
Dans cette perspective, les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur se construisent comme des supports privilégiés de densification des relations entre acteurs, afin de fédérer un maximum de parties prenantes autour des projets. Ils tentent de favoriser les dynamiques de coopération et de faciliter les proximités entre acteurs, qu’elles soient spatiales ou relationnelles. Pour cela, les plateformes Initiative transforment leurs espaces en de véritables lieux de vie. Elles développement des espaces mixtes et ouverts, pour créer une atmosphère créative et un cadre de confiance propice au travail en équipe et au rapprochement entre des communautés diverses. Évoquons notamment la stratégie de réaménagement de la Pépinière InnovaGrasse développée par Initiative Terres d’Azur. Celle-ci s’est moins concentrée sur les espaces de travail, que sur les espaces informels et dédiés à la vie communautaire : l’espace d’accueil, la cafétéria, les espaces de détente et de loisir, etc.
La Pépinière InnovaGrasse (Crédit photo : InnovaGrasse)
Au-delà de cette stratégie spatiale, les plateformes Initiative organisent des temps de travail collectifs, qui permettent une agrégation de compétences autour des projets d’entrepreneurs. Ainsi La Fabrique gérée par Initiative Pays d’Arles, développe-t-elle une multitude d’évènements réguliers, qui s’avèrent essentiels à l’animation de la communauté : des matinales, des workshops, des appels à projet, des actions de réseautage, des cycles de formation, des ateliers thématiques, des formats informels de rencontres et « hors les murs », etc. Ces stratégies de proximités spatiales et relationnelles doivent permettre de briser les distances entre des mondes sociaux et culturels différents, dépositaires d’habitudes de travail et de logiques cognitives distinctes. Elles doivent faciliter les relations de confiance, de partage des cultures et des savoir-faire. C’est ici un aspect essentiel dans la mesure où les dynamiques entrepreneuriales et d’innovations nécessitent plus qu’un échange froid d’informations. Elles sont aussi échange de connaissances tacites et non codifiables, de goûts, d’affects voire d’émotions. Des dimensions subjectives et « extra-économiques » autrefois reléguées exclusivement au domaine personnel.
Une autre perspective des plateformes Initiative Provence Alpes Côte d’Azur réside dans la constitution de « communautés apprenantes ». Ces plateformes transformées en Tiers Lieux doivent permettre à l’artisan, au « startuper », à l’apprenti, au commerçant, à l’habitant ou au touriste de se croiser, pour enrichir, critiquer et réorienter ensemble les projets des entrepreneurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles les plateformes Initiative Ouest Provence et Initiative Terres de Vaucluse se sont rapprochées des centres AFPA d’Istres et d’Avignon le Pontet. L’objectif est que les entrepreneurs puissent bénéficient des plateaux techniques des Centres AFPA, mais aussi des compétences de stagiaires et des formateurs dans le développement de leur projet.
Enfin, les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur cherchent à former les entrepreneurs aux grands enjeux sociétaux et notamment ceux liés aux transitions écologiques, socioéconomiques ou numériques. Pour cela, les Tiers Lieux déploient un arsenal de dispositifs qui doteront les entrepreneurs des capacités techniques et conceptuelles pour agir sur les transitions. Ces dispositifs devront provoquer l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, des « entrepreneurs de territoire » à même de porter des projets d’entreprises économiquement viables, et d’intégrer dans leurs modèles économiques des critères de la RSE, du développement durable et les nouveaux gisements de création de valeur de l’économie numérique et collaborative.
Le processus de ré-encastrement territorial engagé par les plateformes Initiative Provence Alpes Côte d’Azur
Les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur cherchent à jouer un rôle « d’ensemblier », de « catalyseur de l’innovation », en mesure d’activer les ressources et les idées latentes des territoires. Pour cela ils essaient de mobiliser non seulement les institutions et les partenaires du développement socio-économique, mais l’ensemble des ressources et des capacités entrepreneuriales locales : les talents, les savoirs et savoir-faire d’habitants, de chercheurs, d’artistes, d’acteurs économiques, sociaux ou associatifs. La perspective est la création d’une communauté d’acteurs et d’entrepreneurs bienveillants et solidaires, vers qui les porteurs de projet pourront se tourner pour demander des conseils, de l’aide, ou organiser des réflexions collectives sur les orientations stratégiques et opérationnelles de leurs projets. C’est le cas notamment du Tiers Lieu porté par Initiative Alpes-de-Haute-Provence qui cherche à faire de « Diniapolis » la porte d’entrée de l’écosystème entrepreneurial et le maillon du « territoire de pleine santé ». Un « méta Tiers Lieu » en mesure de créer un espace de coopération entre les acteurs institutionnels, l’écosystème entrepreneurial et le tissu socioculturel de Digne-les-Bains.
La stratégie de transformation des plateformes Initiative en Tiers Lieux doit permettre d’accroître leur rôle dans le développement économique des territoires. À cet égard, les plateformes Initiative localisées dans les villes moyennes comme Arles, Avignon, Orange, Digne-les-Bains, Grasse, Salon-de-Provence ou encore Martigues, s’impliquent tout particulièrement dans la régénération de ces territoires. Ces dernières années, ces villes ont été les grandes oubliées des politiques de développement du territoire. Or, elles connaissent aujourd’hui des signes inquiétants de perte de vitalité qui concernent autant la qualité de vie, la cohésion sociale que le développement économique local. Dans ce contexte, la stratégie adoptée par les plateformes Initiative a consisté à inverser le regard sur ces villes moyennes, pour les appréhender non pas du point de vue de leurs handicaps, mais de leurs atouts. Elles cherchent à réactiver les capacités productives et entreprenantes de ces territoires, en valorisant notamment leurs avantages différenciatifs. Sur Digne-les-Bains, la plateforme Initiative s’est investie dans la stratégie de « territoire de pleine santé », mise en place par Provence Alpes Agglomération. Cette stratégie tente de mettre en lumière les avantages du territoire liés à sa qualité de vie, au bien-être et à son patrimoine naturel.
Les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur s’engagent enfin dans le développement de territoires en difficulté comme les zones d’activités dégradées ou les quartiers en politique de la ville. C’est le cas notamment La Fabrique, qui se situe dans une zone industrielle au nord d’Arles et à proximité du Quartier en politique de la Ville du Trébon. La Fabrique est particulièrement engagée dans l’accompagnement des publics fragiles par le biais de la création d’activité, avec notamment la mise en place du dispositif CitésLab.
La Fabrique à Arles (Crédit photo : Arles info)
Une nouvelle conception de l’économie et de l’entrepreneuriat ?
L’analyse de l’encastrement social et territorial des Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur, nous éloigne d’une conception de l’économie pensée comme une sphère autonome débarrassée des contraintes sociales, culturelles, environnementales ou territoriales. Ces Tiers Lieux réintroduisent des dimensions « extra-économiques » au cœur des processus de création d’entreprise. Loin du mythe du « self-made man », la perspective est celle d’un entrepreneuriat en collectif et ancré dans le territoire. L’entrepreneur apparait autant comme un « homo œconomicus », un individu égoïste mû par des logiques utilitaristes, qu’un « homo empathicus », un être de relation, ancré dans un système social et territorial.
Si les dynamiques de don/contre-don, d’échange d’informations tacites et de confiance, prennent une place significative dans le fonctionnement de ces Tiers Lieux, ces logiques de coopération ne sont pas pour autant dénuées d’une « profonde logique économique ». Elles doivent permettre de générer de nombreuses externalités : stimulation des processus d’innovations, accès aux financements, diffusion des innovations, tests d’usages et réduction des risques d’erreurs, mutualisation des ressources, outils et compétences, réduction des coûts de transaction, accès à des informations tacites, développement de réseaux, veille prospective, etc. Autant d’avantages économiques indirects, qui pourraient s’avérer décisifs dans le développement de nombreux projets d’entrepreneurs.
Le processus d’encastrement social et territorial engagé par les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur, est symptomatique d’une mutation des représentations traditionnelles de l’économie et de l’entrepreneuriat. Le positionnement autour d’un « entrepreneuriat de territoire », transforme non seulement les entrepreneurs mais aussi les acteurs publics ou privés en charge d’accompagner les créateurs d’entreprise. Progressivement, les Tiers Lieux d’Initiative les incitent à travailler différemment, à remettre en cause les systèmes verticaux et les institutions que représentent les droits de propriété et la monnaie, au profit de démarches plus collaboratives et de l’intégration de dimensions extra-économiques dans la construction des modèles économiques.
Les Tiers Lieux d’Initiative Provence Alpes Côte d’Azur sont donc amenés à jouer un rôle croissant « d’espaces transitionnels », vis-à-vis des acteurs de l’économie et de l’entrepreneuriat sur les territoires. Cependant, pour que ces Tiers Lieux fassent durablement transition, il sera essentiel de construire un modèle économique pérenne. Pour cela, les Tiers Lieux d’Initiative devront être en capacité d’évaluer non seulement leurs impacts directs (nombre de création d’emploi, nombre de création d’entreprises, évolution du chiffre d’affaires de telle ou telle entreprise, etc.), mais aussi leurs effets externes (les externalités sociales, environnementales, organisationnelles, d’apprentissage ou d’innovation). Une tâche complexe, mais fondamentale pour assurer la viabilité de leur modèle économique à moyen terme.