Un nouveau cycle de recherche pour la Chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management - Projet 2

Publié par Clara-Marie Casquero, le 30 mai 2023   600

La réussite de la transition écologique repose sur un changement profond de notre société, avec entre autres le déploiement massif des nouvelles énergies, décentralisées et ancrées dans nos territoires.

La société civile doit porter une parole forte, d’autant plus dans un contexte où l’adhésion sociale à la transition énergétique et plus largement à la réforme, est questionnée par de fortes mobilisations. Pour avancer de manière coordonnée dans une même direction collectivement soutenable, il faut que des contraintes et des bénéfices communs s’appliquent, que tout le monde puisse participer et jouer le même jeu. C’est pourquoi les nouvelles infrastructures énergétiques doivent intégrer la « désirabilité, faisabilité et les conditions de réalisation » (Patrick Jolivet directeur des études socio-économiques à l’ADEME, 2022)  dans leurs modèles d’affaires et leurs stratégies.

Les membres de la Chaire Energy for Society, en collaboration avec la Chaire Territoires en Transition, proposent un nouveau cycle de projets permettant de mieux comprendre les enjeux de cette adhésion. Nos méthodes testent l’efficacité de nouvelles mesures, solutions business permettant de concilier attractivité business et adhésion des citoyens.

Projet 2 : Acceptabilité sociale des projets énergétiques au travers des business models 

Contexte

La production d'énergie bas carbone est, avec la sobriété et l'efficacité énergétique, l'un des trois piliers de la transition énergétique. Or, la mise en œuvre de nouvelles infrastructures énergétiques se heurte à plusieurs obstacles, dont la faible acceptation des populations locales (communautés), qui peut empêcher la réalisation du projet et entraîner des coûts supplémentaires importants (1). Comprendre les causes profondes de ce manque d’adhésion et ce qui peut être fait pour l’améliorer est essentiel à la conception de nouveaux business models (BMs ou marché d’affaires) permettant la transition énergétique (2). Nous partons du principe que les BMs qui nécessitent une licence sociale d'exploitation (social license to operate) présentent des caractéristiques différentes de celles des BMs qui n'en n’ont pas besoin. L'objectif de cette recherche est tout d'abord de comprendre quelles sont les caractéristiques distinctives de ces BM que nous proposons d'appeler Business Models pour l’Acceptabilité (BMfA), puis de comprendre ce qui peut les favoriser.

Cadre théorique

Cette recherche combine deux cadres théoriques : l'acceptabilité et l’approche par le business model.

L'acceptabilité sociale implique une réflexion évaluative de la part des parties prenantes (par exemple, les riverains, les décideurs politiques, les consommateurs, les investisseurs) sur les problèmes, les avantages et les risques liés à la mise en œuvre d'un projet d'énergie renouvelable (3). Les chercheurs ont analysé l'acceptabilité de différents points de vue et ont identifié une multitude de facteurs qui peuvent la favoriser ou la limiter (voir l'exemple (4)). Bien que plusieurs perspectives soient utilisées pour examiner l'acceptabilité sociale des projets énergétiques (par exemple, l'acceptation de la technologie ou la théorie du comportement planifié), une analyse à plusieurs niveaux comprenant l'acceptabilité sociopolitique, communautaire (par la population locale) et de marché se distingue (5). L'acceptabilité sociopolitique est l'attitude de la société dans son ensemble à l'égard d'un projet énergétique, l'acceptabilité communautaire se concentre sur les attitudes des membres de la communauté où les projets sont mis en œuvre et l'acceptabilité du marché implique les attitudes des consommateurs, des investisseurs et de l'entreprise (6). Parmi ces niveaux, la littérature s'accorde à montrer que les facteurs d'acceptabilité par la population locale (justice procédurale, justice distributive et confiance) jouent un rôle crucial dans la détermination de l'acceptabilité sociale des projets énergétiques (7). En outre, Van der Waal et ses collègues (8) affirment que l'acceptabilité des projets énergétiques exige des développeurs de projets qu'ils fassent preuve d'une grande sensibilité pour être en mesure d'identifier les valeurs économiques, sociales ou environnementales cruciales pour les parties prenantes et de les intégrer dans la conception du projet énergétique.

Un business model (BM) est un outil stratégique décrivant la logique et la manière dont une entreprise propose, fournit et capture la valeur tout au long du processus de réalisation (9). Le BM représente un système complexe d'interactions entre les parties prenantes et est souvent représenté par trois éléments :

  • La proposition de valeur (value proposition) fait référence à l'avantage (produit ou service) que l'entreprise a l'intention de créer pour ses clients ou les autres parties prenantes. Elle doit correspondre à ce que les clients ou les autres parties prenantes apprécient ou jugent important.
  • La prestation de valeur (value delivery) fait référence aux activités qui doivent être menées pour concrétiser la proposition de valeur. Certaines de ces activités peuvent être internalisées par l'entreprise ou externalisées.
  • La capture de la valeur (value capture) combine les avantages que les parties prenantes tirent de l'interaction non seulement avec les clients, mais aussi avec d'autres parties prenantes du système, et les coûts de cette interaction (10).

Cet outil a été récemment utilisé pour expliquer les contributions des communautés énergétiques à la transition énergétique en cours en France (11).

En combinant ces deux cadres (acceptabilité + BM), nous cherchons à comprendre ce qui fait la spécificité d'un BMfA.

Questions de recherche

  1. Quels sont les facteurs (activités/valeurs) liés à l'acceptabilité des projets énergétiques ?
  2. Quelles valeurs les projets énergétiques produisent-ils et pour qui ces valeurs sont-elles importantes ?
  3. Quelles sont les activités principales d'un BMfA et au cours de quelles activités les problèmes d'acceptabilité (évaluation défavorable de la valeur/non-reconnaissance de la valeur) se produisent-ils ?
  4. Quelles sont les caractéristiques distinctives d’un BMfA?
  5. Qu'est-ce qui peut favoriser un BMfA?
  6. Comment les développeurs de projets énergétiques peuvent-ils concevoir un BMfA alignant leurs enjeux avec ceux des autres parties prenantes, en particulier ceux qui ont une faible acceptabilité ?

Méthodologie

La méthode s’articule en deux temps : 1) une revue de la littérature et 2) des analyses d'études de cas. La première nous aidera à comprendre les caractéristiques de l'acceptabilité tirées de la littérature (signification, différences avec d'autres termes, implications et identification des facteurs cruciaux), tandis que la seconde nous permettra d'explorer sur le terrain des projets énergétiques. L'examen de la littérature est une procédure dans laquelle nous sélectionnons et examinons systématiquement les documents. La méthodologie de l'étude de cas est envisagée pour explorer des projets énergétiques réussis et non réussis en vue d'une comparaison transversale des facteurs d'acceptabilité.

Résultats attendus

Cette recherche en est actuellement au stade de la revue de littérature. En procédant à une analyse systématique de la littérature, nous retenons les résultats suivants :

  • Il existe des différences significatives entre les termes d'acceptation et d'acceptabilité. D’une part, l'acceptation reflète le comportement final des parties prenantes concernant la mise en œuvre du projet (par exemple, l'acceptation, la tolérance ou le rejet), alors que l'acceptabilité est plus complexe car elle implique les attitudes et les perceptions des parties prenantes quant à ce qui est proposé par les développeurs au niveau infrastructurel, social et environnemental. L’acceptabilité est donc pertinente dans notre cas ;
  • L'acceptabilité repose sur un jugement évaluatif des parties prenantes concernant les valeurs, les coûts et les risques de la mise en œuvre des projets énergétiques ;
  • Il ressort de nos lectures un schéma d'analyse de l'acceptation sociale comprenant différents niveaux d'analyse (acceptation sociopolitique, communautaire et du marché) ;
  • Il existe de nombreux facteurs empiriques qui influencent l'acceptabilité sociale.

Les éléments de l'acceptabilité communautaire et les facteurs susmentionnés ont été combinés avec les composantes du business model pour formuler provisoirement les spécificités nécessaires à un BM de projet énergétique dépendant d'une licence sociale d'exploitation. Ce résultat devrait être affiné par la réalisation des études de cas (méthanisation a priori).

Research agenda (deuxième partie de la recherche)

  • Pré-test en laboratoire (TIM Lab de GEM2) : grâce aux analyses et résultats de la revue de la littérature et des études de terrain, nous souhaiterions recréer dans notre laboratoire TIM Lab les conditions d’un projet stoppé et tester avec des étudiants comment créer de nouvelles conditions, de nouveaux chemins/étapes, qui permettraient à ce projet d’aboutir. Grâce à ces observations, nous espérons ainsi identifier les principales caractéristiques d’un nouveau business model. Le TIM Lab est un outil de collaboration créative qui permet de tester différents modèles.
  • Recherche action : enfin, et dans la continuité des trois précédentes étapes, le projet utilisera la modélisation d’accompagnement autour d'un ou deux (en fonction des moyens financiers collectés) défi(s) prospectif(s) d'infrastructure énergétique (voir proposition de terrain ci-dessous). La modélisation d’accompagnement est une méthode de recherche-intervention qui mobilise à la fois des méthodes d’animation de réunion et de formalisation pour accompagner la production de connaissances et des décisions collectives. Cette méthode devrait permettre aux parties prenantes de participer à un processus de groupe dynamique, d’accélérer l’apprentissage individuel et collectif, de produire une représentation partagée, de modifier les façons d’interagir et d'accroître l'autonomie des participants. L’objectif final est de développer une méthode qui améliore les chances d’un tel projet d’aboutir.

Equipe de recherche

Anne-Lorène Vernay est professeure associée à GEM en management stratégique. Sa recherche se focalise sur les nouveaux business model développés pas les entreprises du secteur de l'énergie en réponse à la transition énergétique et sur le rôle des business model dans les transitions durables.

Mark Olsthoorn est professeur assistant à GEM en statistiques et méthodes quantitatives. Ses recherches portent sur l’efficacité énergétique, les communautés énergétiques.

Carine Sebi est professeure associée à GEM en économie spécialiste du secteur de l’énergie. Elle coordonne la chaire Energy for Society. Ses recherches portent actuellement sur la co-création de nouveaux services énergétiques, les politiques publiques en efficacité énergétique et les communautés énergétiques.

Eduardo Mendez est titulaire d'un doctorat en systèmes sociotechniques et est actuellement chercheur postdoctoral à GEM, au sein de la chaire "Energy for Society". Ses recherches portent sur la durabilité, l'analyse des modèles d'entreprise durables, la valeur durable, les contextes de la base de la pyramide, la création de valeur et l'acceptabilité des modèles d'entreprise.

Références

1. Jarvis S. The Economic Costs of NIMBYism: Evidence from Renewable Energy Projects The Economic Costs of NIMBYism Evidence from Renewable Energy Projects. Energy Inst WP 311  [Internet]. 2021;224(November). Available from: https://haas.berkeley.edu/ener.... 

2. Soutar I, Devine-Wright P, Rohse M, Walker C, Gooding L, Devine-Wright H, et al. Constructing practices of engagement with users and communities: Comparing emergent state-led smart local energy systems. Energy Policy [Internet]. 2022 Dec;171(September):113279. Available from: https://doi.org/10.1016/j.enpo...

3. Lyu C. A Case Study on Improving Social Acceptance of Renewable Energy. KDI School of Public Policy and Management; 2020.  

4. Cohen JJ, Reichl J, Schmidthaler M. Re-focussing research efforts on the public acceptance of energy infrastructure: A critical review. Energy [Internet]. 2014 Nov;76:4–9. Available from: http://dx.doi.org/10.1016/j.en...

5. Eskelinen T, Kajanus M, Wuorisalo MJ, Munjur M, Moula E, Soriano-Disla JM, et al. Circular Economy Business Models Addressing Social Acceptance. In: The ISPIM Innovation Conference–Innovating Our Common Future [Internet]. Berlin, Germany: LUT Scientific and Expertise Publications; 2020. p. 1–11. Available from: http://valuewaste.eu

6. Wüstenhagen R, Wolsink M, Bürer MJ. Social acceptance of renewable energy innovation: An introduction to the concept. Energy Policy [Internet]. 2007 May;35(5):2683–91. Available from: https://linkinghub.elsevier.co...

7. Lennon B, Dunphy NP, Sanvicente E. Community acceptability and the energy transition: a citizens’ perspective. Energy Sustain Soc [Internet]. 2019 Dec 9;9(1):35. Available from: https://energsustainsoc.biomed...

8. van der Waal EC, van der Windt HJ, Botma R, van Oost ECJ. Being a Better Neighbor: A Value-Based Perspective on Negotiating Acceptability of Locally-Owned Wind Projects. Sustainability [Internet]. 2020 Oct 22;12(21):8767. Available from: https://www.mdpi.com/2071-1050...

9. Teece DJ. Business models, business strategy and innovation. Long Range Plann. 2010;43(2–3):172–94.  

10. Richardson J. The business model: an integrative framework for strategy execution. Strateg Chang [Internet]. 2008 Aug;17(5–6):133–44. Available from: http://doi.wiley.com/10.1002/j...

11. Vernay A-L, Sebi C, Arroyo F. Energy community business models and their impact on the energy transition: Lessons learnt from France. Energy Policy [Internet]. 2023 Apr 1;175:113473. Available from: https://linkinghub.elsevier.co...