Trouver son bébé mignon est une question de survie de l’espèce
Publié par Garance Demarquest, le 3 mars 2023 1.7k
Aujourd'hui, internet est rempli de contenu mignon. Qui n'a jamais été happé sur youtube par une vidéo d'un bébé panda qui éternue pour finir 2 heures plus tard derrière une compilation de vidéos de chatons ne sachant pas comment il en est arrivé là ?
Et, si nous sommes tous hypnotisés par ce qui est mignon, il doit y avoir un avantage à être mignon non ?
Le Kindchenschema
En 1949, le biologiste Konrad Lorenz propose une théorie : certaines caractéristiques communes aux bébés provoquent des réponses positives chez les adultes. Il l’appelle la théorie du Kindchenschema (le schéma du bébé). Selon lui, des mécanismes innés activerait une réaction de soin des adultes envers leurs bébés. Parmis les caractéristiques "déclencheur de soins" on trouve :
L'odeur et les bruits que font les bébés provoquent aussi ces réactions hormonales spécifiques de soins parentaux, et ceux de manière très efficace puisque la réaction des parents aux bébés est deux fois plus rapide qu'en moyenne.
Mais c’est de courte durée puisqu’un trio de psychiatres et de chercheurs, Zhu Luo, Hong Li et Kang Lee, a déterminé que ce stade dure jusqu'à ce que l’enfant atteigne 4 ans et demi avec un "pic de mignonnerie" à 6 mois.
Être mignon pour la survie de l'espèce
Nos réactions aux caractéristiques de la mignonnerie sont importantes dans la sélection naturelle puisqu’elles forcent l'instinct de protection parentale ce qui permet d’assurer la survie des petits. Ce ne sont donc pas les animaux qui ont été sélectionnés pour devenir de plus en plus mignons, c'est plutôt le cerveau des parents qui a été soumis à une pression évolutive. Les parents qui étaient du genre à trouver leurs enfants plus minions s'en occupaient mieux, ils avaient plus de chances de survivre. Alors que les groupes sociaux qui étaient moins susceptibles de trouver leurs bébés mignons les laissaient mourir.
Il y a toutefois un exemple inverse où des animaux ont été sélectionnés pour devenir de plus en plus mignons : les animaux de compagnie. Le chien par exemple, avec notre petit chihuahua, nous sommes loin du loup de la préhistoire. L’homme a sélectionné le génome canin en ne transmettant que certains traits, comme une physiologie correspondant au Kindchenschema. Dans une étude publiée en juin 2019, des chercheurs de l'Académie américaine des sciences ont découvert que les chiens possèdent un muscle supplémentaire au-dessus des yeux, développé pour améliorer la communication avec les humains depuis des milliers d'années.
Et la faune sauvage ?
Si je vous demande de citer des espèces en voie de disparition comme ça, vous me répondrez sûrement le panda, l'ours polaire et le tigre...
Exactement comme les internautes et les écoliers interrogés par le biologiste Franck Courchamps en 2018. Et pour cause, ces espèces font partie des 10 espèces les plus charismatiques avec :
Mais ces espèces ne représentent qu'une toute petite partie de la biodiversité. Une étude australienne publiée dans The Mammal Review a conclu que les animaux "laids" sont plus menacés d'extinction que leurs homologues plus attrayants physiquement. Cette revue leur a permis de mettre clairement en évidence certains biais dans l'intérêt porté aux différentes espèces de mammifères terrestres. Une grande partie des recherches considérées se concentre sur la physiologie des animaux emblématiques. Le reste est orienté vers la gestion des populations invasives d'espèces nuisibles au secteur alimentaire et à la biodiversité.
Et c'est un problème car ces études ne prennent absolument pas en compte l'importance de ces animaux dans l'écosystème. Une équipe de chercheurs français, Nicolas Mouquet, a tenté de voir si notre perception de la beauté des êtres vivants est en adéquation avec les fonctions écologiques des espèces. Ils ont ainsi pu montrer que les espèces les plus attractives aux yeux des personnes consultées, jouent rarement un rôle clé dans l'écosystème. Plus précisément, les espèces les moins belles étaient 33% plus utiles à l'écosystème que les espèces les plus belles.
Le bioinformaticien Julien Troudet a récemment tenté de quantifier ce biais en utilisant les données du Global Biodiversity Information Facility (GBIF). Il a montré de grandes divergences entre les espèces répertoriées. Il y a plus de 370 données par espèce pour la moitié des oiseaux et seulement 3 données pour la moitié des insectes.
Les chercheurs formulent donc une hypothèse de société : les organismes les plus étudiés seraient ceux préférés par la population.
Double peine donc pour les animaux laids. Non seulement le grand public et les politiques sont moins investis dans les programmes de conservation, mais ils sont aussi moins étudiés. Sauf que c'est sur ces connaissances que doivent se baser les programmes de conservation de la biodiversité. Ainsi, certains de ces animaux ne sont découverts qu'une fois qu'ils sont déjà éteints.
Le principal facteur de ce déséquilibre est lié aux dons : les donateurs choisissent les animaux qu'ils veulent protéger en fonction de leur attrait et du risque d'extinction. Et dans le cas du travail de conservation, "il est impossible d'éviter les aides gouvernementales". Les efforts marketing n'ont aucun effet : les animaux mignons comme les pandas roux attirent toujours plus que la tortue géante à carapace molle du fleuve Yangtze (avec 3 spécimens restants). De nombreux scientifiques tentent encore de contourner le problème.
Que faire alors ?
La solution serait de médiatiser et de promouvoir les espèces moins charismatiques. Si cette tâche incombe aux chercheurs, il faut aussi que le grand public s'ouvre à leur charme particulier.
Les spécialistes des vers de terre, par exemple, ont réussi à attirer l'attention sur ces animaux. La campagne de communication "save the worm" vise à réhabiliter ces invertébrés aveugles, sourds et visqueux en montrant combien ils sont essentiels à la bonne santé des sols. Et en Angleterre, la Ugly Animal Preservation Society sensibilise depuis 2012 à l'extinction des animaux moches.
Mais même en rendant certains animaux méconnus plus visibles dans les médias, ce n'est pas gagné d'avance. Être un éléphant ou un tigre n'est pas une garantie de survie. Le biologiste Franck Courchant a constaté que les gens avaient une très mauvaise perception du danger d'extinction de ces animaux parce qu'ils sont sur-médiatiser. En les voyant partout, le public se dit que finalement ces animaux ne sont pas tellement en danger. Il s'agit là d'un biais cognitif qu'il faut également prendre en compte. La meilleure solution serait de pouvoir protéger les espèces selon leur importance dans les écosystèmes et leur risque d'extinction.
Le monde aujourd'hui est dans sa sixième extinction de masse, les espèce disparaissent environ cent fois plus vite que par le passé. Et les humains pourrait bien faire partie des espèces qui disparaissent entrainant avec eux une grande partie de la biodiversité. Alors nos mécanismes de réaction aux caractéristique du mignon peuvent finalement être mis a contribution pour nous motiver à protéger notre environnement.