Les Toilettes Sèches Mobiles ... le commencement

Publié par Cyclick Association, le 30 janvier 2021   2.8k


L’association Cyclick a pour but le développement d’un assainissement écologique. L’une des actions entreprises par le collectif s’intitule : « les toilettes sèches mobiles » et vise l’installation de toilettes urbaines transportables à vélo. Retour sur le démarrage de l’expérience en 2017 avec la fabrication d’un premier prototype et l’ expérimentation du concept dans les rues de Grenoble ...

L’idée de construire une toilette sèche a germé dans l’esprit de l’association culturelle partenaire « Welldone » dès son premier événement public se déroulant en montagne par une soirée festive, près de Freydières en Belledonne. Recevant un certain nombre de personnes, nous nous devions de répondre à la question des besoins naturels afin de laisser les lieux propres et respecter la beauté du site. Avec une tonnelle et des matériaux de récupération, nous avons monté des petites toilettes sèches provisoires. La gestion des déchets n’a pas eu lieu car les excréments et la sciure ont étés enfouis. Un an et demi plus tard, toujours soucieux de cette donnée sanitaire récurrente dans les événements musicaux et artistiques, nous avons pris l’initiative de concevoir et de fabriquer des toilettes sèches. Les questionnements fonctionnels, esthétiques et structurels soulevés par le sujet de l’exercice nous ont permis d’intégrer la création de ce prototype à une recherche approfondie au sujet des toilettes sèches. 

Projetant dès lors d’installer les toilettes dans l’espace public et d’en tester l’usage, notre envie a été dans un premier temps de concevoir une version démontable faite d’éléments simples et amovibles. La question du transport s’est posée et la nécessité de déplacer le modèle en camion.

Afin de répondre à cet enjeux, nous avons pu faire la  récupération d’une charrette à vélo en acier destinée aux déchets. Celle-ci, après vérifications faites grâce au corps, pouvait convenir de par sa taille pour l’usage auquel elle était destinée. L’objet était abîmé par la rouille, il a fallu le remettre en état. Brossage, soudure d’éléments de renfort et peinture métallique ont été nécessaires. Dès lors, en manipulant l’assemblage d’acier des heures durant, nous nous sommes familiarisé avec ses dimensions, ses accroches, son poids, son équilibre et les possibilités offertes par les éléments le constituant. Cet assemblage de métal nous a donné la base, une entrée, un point de départ.


Nous avons élaboré la construction en pensée sur son usage, ses fonctions et les qualités esthétiques souhaitées.

Il nous a fallu dès le début réfléchir à quelles fonctions inclure dans ce prototype, quelles qualités d’usage, une phase de programmation en quelque sorte.

Quelles fonctions associer à cette construction à échelle humaine ?

- Le lieu d’aisance, d’urine et de défection

- La mobilité, un déplacement, une manipulation et une installation simple

- Une gestion aisée, des éléments démontables, évolutifs

- Une utilisation de nuit et par temps de pluie

- Un point d’eau pour boire et se laver les mains

- Un lieu de convivialité, de partage, de participation et de libre expression


La fonction première est donc de se rendre au lieu d'aisance afin d'y faire ses besoins. De cet acte, résulte des représentations liées à l’intimité, au confort et à l’hygiène. Ces notions varient selon la personne, les cultures et la morale collective. L’élaboration de ces toilettes s’est faite en vue de répondre aux exigences des pratiques contemporaines locales.

Des parois opaques ont été mises en place afin de protéger l'intimité visuelle et acoustique de celui qui s’en servira. Pour apporter un confort d’usage, il a été choisi une lunette classique de qualité afin que l'usager retrouve ses habitudes et ne soit pas rebuté. Des parties moins opaques constituées d’un tressage de bambous, parfois doublées de tissu, ont été réalisées pour permettre une ventilation de l’intérieur. Il a été prévu d’installer un système son où chacun puisse brancher son téléphone ou MP3, cela peut créer, au souhait de l’usager un voile sonore et un isolement acoustique supplémentaire. Pour répondre aux attendus en question d'hygiène, il a été disposé un flacon vaporisateur afin que les personnes puissent nettoyer la lunette à leur guise. Il est également proposé un point d’eau extérieur avec savon pour se laver les mains.


L'aspect mobile offre une grande flexibilité quant au déplacement et au choix de l'espace d’installation. La volonté de tracter l’édicule à bicyclette a exigé une attention particulière au poids et à l’équilibre. Le lieu de mise en service des toilettes questionne fortement son rapport au aux activités à proximité et aux toilettes publiques existantes.

L’intention générale a été également d’obtenir une simplicité d’utilisation et de gestion. Le bac de sciure a été disposé de façon à pouvoir être rempli de l’extérieur et assure une facilité d’utilisation à l’intérieur. Il remplit également une fonction d’intimité visuelle. Il a été mis en œuvre des éléments amovibles sans utilisation d’outils pour la maintenance des matières. Le nettoyage peut s'effectuer aisément grâce aux surfaces lisses. La matérialité du modèle, principalement en bois permet une évolution possible : la fixation d'éléments supplémentaires ou leur retrait.


La couverture de la construction a été primordiale, à la fois pour assurer la longévité de la cabine mais aussi pour garantir son usage par temps de pluie. Celle-ci a fait dès le début l’objet d'une volonté de transparence afin d'apporter une lumière zénithale. Ce sont deux plaques de plexiglas, anciennement parois de douches, cintrées et fixées au cadre en bois à l'aide de vis et d’étanchéité en chambre à air. Il a également été mis en place un système de lumières à LED alimenté par une petite batterie 12v pour l'utilisation de nuit. Cet éclairage se diffuse dans la toiture et contribue à un effet "signal" dans l'espace public.

Parallèlement, l’esthétique singulière de la construction, son unicité, l’éclairage de nuit, comme la musique à disposition, contribuent à l’attractivité du lieu.


Enfin, la volonté de créer un lieu de convivialité s'est matérialisé de façon multiple. Un tableau ardoise a été mis en place et des craies prévues à disposition pour que les usagers puissent laisser un mot, un dessin, s’exprimer librement. Il a également été prévu d'installer une dynamo sur un vélo dont la roue arrière serait sur-élevée afin de pédaler et créer le courant électrique nécessaire pour la lumière et la sonorisation. Ce dispositif, découvert au festival « Les nuits de la roulotte » à Chambéry, permet un moment de partage insolite, apprécié lors des événements festifs.

Cette période d’élaboration des usages offerts par la construction s'est déroulée tout le long de l’expérience. Une réflexion autour des fonctions qui a évolué au fil de la récupération de matériaux et de la venue des bénévoles et amis. 

De nombreuses personnes ont pu participer à la construction en apportant des compétences spécifiques : soudure, électricité, mise à disposition de matériaux ou en effectuant des travaux divers. Tout le long de l'expérience, nous avons vérifié les dimensions de la construction grâce à des profils différents : personne grande, petite, homme ou femme. Le corps et ses mouvements ont  été des outils de dimensionnement primordiaux pour cette construction.


Lors de cette fabrication, nous nous sommes rendus compte des défauts techniques du prototype, il est essentiel d’en faire l’inventaire pour avoir un regard critique sur la réalisation.

- Du fait de sa composition principalement en bois, la durée dans le temps de la construction est limitée. Pour l’allonger, nous avons mis en place une couverture de plexiglas avec une passée de 20cm et projetons de vernir les éléments sujets à l’humidité.

- L’utilisation du bois d’une masse volumique d’environ 450 kg/m3, induit une donnée considérable. Nous estimons de 100 à 120 kg le poids à vide du module. Il faut être trois personnes au minimum pour effectuer son chargement sur une remorque.

- L’objet est fragile et craint la casse en cas de chute. La structure légère en tasseaux de section 25x25mm est contre-ventée et assure une bonne stabilité. Cependant, elle ne saurait pas résister à des efforts latéraux importants. Le fait de cette fragilité demande une attention, une surveillance.

- L'équilibre de l'association vélo-remorque demande a être amélioré, en effet, l'ensemble repose sur quatre appuis, ceux sur les roues les toilettes articulés par une rotule à ceux du vélo. Il en résulte une situation instable et demande une présence humaine afin d'exercer l'effort nécessaire à l’équilibre général. L’édicule doit se déplacer sur un sol plat, à moins d’être tracté par un véhicule motorisé. Il ne peut pas s’installer sur un sol trop incliné.

- Ce modèle ne répond pas aux exigences des normes pour personnes à mobilité réduite et peut s'avérer difficile d'usage pour les personnes âgées ou les enfants non accompagnés.

- La contenance du bidon est de 60L et rend la gestion des matières fréquente et récurrente en cas d’abondance du public. Ce contenant ne disposant pas de couvercle, il ne peut pas être déplacé et stocké facilement. Il est donc nécessaire de se rendre au lieu de compostage une fois le bidon plein.

Ces limites ont été identifiées mais n’empêchant pas son utilisation, nous décidions de tester l’installation du prototype dans l’espace public. L’objectif était de « rendre public » une innovation, observer les réactions des passants et répondre à leurs questions si celles-ci survenaient.


Les autorisations accordées par la mairie Grenobloise, nous avons entrepris de déplacer les toilettes de Saint Martin d’Uriage, le lieu de fabrication, à Grenoble. Il fallu les monter sur une remorque, les y installer et en assurer un transport sécurisé. La petite cabine fut stockée à proximité de la place Pasteur à l'arrière-cour d'immeuble. S’en sont suivis deux jours de pluie quasiment ininterrompue. Un baptême de l’eau. Au terme de ces précipitations, la construction était totalement sèche à l’intérieur et les passées de toiture ont rempli leur fonction. La journée du lundi 8 mai s’annonçait mitigée mais non pluvieuse, une occasion pour tester le déplacement, l’installation et l’usage du prototype. L’autorisation d’occupation momentanée de l’espace public nous a été accordé pour les parcs Paul Mistral, jardin de ville et Square Dr Léon Martin, ainsi que pour les places Grenette et Victor Hugo. Lieux proposés et validés par la municipalité. Certains points restaient à aborder avant de partir : le nom à donner à l’objet et sa maintenance pendant la journée. Nous avons annoté à la craie sur les tableaux latéraux : « Un petit tour aux toilettes ».

Il était nécessaire d'être accompagné afin de gérer les la mise en place des cales et l'équilibre pendant l’installation. Nous sommes donc partis sur deux vélos, l'un tractant les toilettes et l'autre les suivant en donnant son impression sur la stabilité de l’ensemble et anticipant l’accessibilité ou non de passages exigus ou amenant des contraintes de hauteur.

Nous nous sommes rendus au parc Paul Mistral où nous savions la présence d’un cirque. Nous cherchions à savoir s’il y avait une ménagerie associée à un lieu de compostage du fumier animal. Ce cirque ne mettant pas en scène d’animaux, nous passion notre chemin lorsque nous fûmes interpellés par un père accompagné de son fils. Ceux-ci venaient d'une cabine de toilettes où l’enfant avait refusé d’y faire ses besoins et se dirigeaient vers d’autres sanitaires. Nous tombions à pic ! Nous discutions avec le père qui se trouva être hollandais et professionnel en construction écologique. Il nous a félicité pour l’initiative et a salué la qualité de la construction. L’"inauguration" faite par la nouvelle génération, nous continuions, fiers d'avoir inventé une nouvelle activité, nommée avec humour et auto-dérision : « purineur ambulant » !


Désireux de réaliser un cliché devant l’hôtel de ville, nous nous rendions sur son parvis. Notre arrivée a attiré une personne qui attendait sur les marches. Il se révéla être un migrant vivant au "camp de Valmy" non loin de là. La communication rendue difficile par la barrière du langage nous arrivions toutefois à comprendre qu’il était épaté par notre réalisation et qu’une construction similaire avait été faite près du camp. Sensible au souci actuel de migration forcée et à la condition des personnes en exil, nous sommes passés quelques jours auparavant près de ce camp d’habitation précaire pour se renseigner sur la présence ou non de toilettes. Deux toilettes chimiques sont présentes mais en émane une odeur rebutante. Une construction de toilettes sèches en matériaux de récupération s’est faite sous un arbre, sans couverture. En continuant notre déambulation, nous sommes arrêtés place Notre Dame et avons stationné la toilette le temps de commander un repas à emporter. Depuis l’intérieur du restaurant, nous observions de nombreuses personnes s’arrêter autour de la cabine, commenter, prendre des photographies. Manifestement, l’objet fait réagir ! Un homme nous informe qu’un ami a lui a eu une idée semblable à Paris, mettant en place des urinoirs publics alimentant les plantes grimpantes agencées en pergola.

Le premier lieu de dépôt fut le jardin de ville où nous choisissions d’installer la toilette le long de la balade piétonne menant au téléphérique, entre une poubelle et un banc. Dès alors, un homme est arrivé, halluciné et enjoué il a complimenté l’originalité de l’idée. Un peu plus loin, assis sous le kiosque, nous observions les allées et venues des passants. C’est d’abord la forme de l’objet qui interpelle, puis en s’approchant chacun découvre sa fonction et les réactions sont multiples. Certains sont curieux et examinent l’intérieur, un groupe d’adolescent passe et s'esclaffe, des personnes marchent et sourient, d'autres restent neutres ou détournent le regard.


Une jeune fille entre et ressort quelques instants après, nous comprenons qu'elle n'a pas réussi à se servir des toilettes. Elle part s’assoir avec un ami sur un banc non loin, je me dirige vers les toilettes pour comprendre le problème. Elle me lance que la porte ne ferme pas, je la remercie et remédie au souci en réglant le loquet. Je m’éloigne, mais, nous sachant non loin et surveillants, elle n’osa plus y retourner. La présence de celui qui gère un pareil objet est délicate et peut générer de la gêne chez l’usager. Il faut donc faire preuve de discrétion pour mener cette expérience.

Nous nous sommes ensuite dirigés vers la place Victor Hugo où nous avons disposé les toilettes près d’un parterre de pelouse, proches de bancs, et d’un point d’eau. Un groupe de personnes assises non-loin, vivant manifestement la plupart de leur temps dans la rue, s’amusent de notre arrivé, l’objet les fait rire et leur inspire des blagues. A l’intérieur de la cabine, nous inscrivons à la craie des indications ludiques d’usage. Deux d’entre eux, peu gênés, sont allés essayer le proto- type et nous ont fait des compliments sur la réalisation. Un passant viens nous voir et s’avère être un ancien ingénieur agricole à la retraite. S’en suit une longue discussion à propos de compost et de composition moléculaire. Le caractère universel des toilettes est tr-s intéressant, ils s'adressent à tout le monde afin de répondre a un besoin commun. Ainsi, nous avons pu échanger avec des hommes et femmes de tout ages, tous pratiquant une activité différente et provenant d'horizons divers. Dans l’œuvre "Les Misérables", Victor Hugo vantait les vertus du compost humain comme fertilisant et se positionnait contre une mise à l’eau générale des matières. Qui sait, celui-ci aurait peut-être salué une telle démarche en son temps ...

Notre prochain lieu d’installation était le square Docteur Léon Martin (Docteur et homme politique, en 1925 : adjoint au maire de Grenoble, chargé de l’instruction publique et de l’hygiène). Nous décidions que les toilettes prendraient place aux cotés de ceux déjà existants, la sanisette Decaux. Celle-ci est apparemment hors d’usage, le voyant « occupé » reste allumé alors que personne n’en sort depuis plusieurs dizaines de minutes. Dès l’installation, nous assistons à la première réaction négative, une passante mécontente lance « c’est des chiottes ! », avec enthousiasme, je répond « oui des chiottes ! », elle part alors en exclamant : « faut vraiment venir à Grenoble pour voir des conneries pareilles». Nous n’en saurons pas plus sur l'origine de son exaspération. Nous nous installons dans le square et profitons du soleil, des amis nous rejoignent. Dos au prototype et y faisant peu attention, il ne nous ne nous semble pas que quelqu’un y soit entré. Toutefois celui continue d’attirer les regards, provoque des pauses et des discussions chez les passants en groupe. La position des toilettes sèches à coté de celles auto-nettoyantes créé, par des formes et couleurs similaires, un effet de discrétion par mimétisme intéressant.


Enfin, nous nous sommes rendus sur le boulevard Gambetta tout en se retrouvant autour d'un verre pour revenir sur la journée et échanger à propos du modèle. La discussion à ce sujet a permis de mettre des mots sur les avantages et limites du prototype liées à son usage.

Nous avons pu constater certains dysfonctionnements lors de la mise en service du prototype. D’une part, l'urine et ses éclaboussures risque d'abimer le bois, celui-ci doit être bien protégé afin de permettre un nettoyage efficace. D'autre part, l'intimité des usagers doit être respecté en se tenant à distance de la cabine. De plus, les mécaniques de fermeture de la porte et du clapet de sciure doivent fonctionner aisément, au risque de détourner l’utilisateur. La lumière et la sonorisation fonctionnent mais la batterie doit être rechargée fréquemment tant qu’un système de dynamo n'est pas mis en place. Enfin, une chambre a air a éclaté à quelques mettre du lieu de stockage au retour, cela vient peut-être du poids, d’un élément tranchant sur la chaussée, ou des deux.  

Les limites du prototype et de l’usage sont pleines d’enseignement et permettent une remise en question de l’expérience. Dans le même temps, le succès a été au rendez-vous pendant la mise en place et l’engouement à la fois des passants, des usagers et des services municipaux donne de belles perspectives d’évolution du projet.

Nous travaillons aujourd'hui à l'élaboration d'un nouveau modèle, reproductible en série, hygiénique, sécurisé, autonome et pleinement adapté au cadre urbain. Celui-ci, en conception actuellement, fera l'objet de nos prochains articles... alors restez connectés pour le prochain épisode !