Sondages twitter : les médias face aux biais informationnel !
Publié par Yannick Chatelain, le 13 septembre 2022 1k
Par Chatelain Yannick. Professeur Associé chez Grenoble École de Management , chercheur associé à la Chaire Dos, GEMinsights Content Manager.
Les médias ont pris une autre très mauvaise habitude : recourir régulièrement à des sondages twitter pour éclairer les débats sociétaux qu’ils abordent. Hormis le fait d’être en mesure de rédiger des articles de fond (sic) sur le simple tweet d’une personnalité – soit 280 caractères – ce qui est en soi assez étonnant pour ne pas dire époustouflant de talent rédactionnel, voire de génie dans la broderie, les médias ont pris une autre très mauvaise habitude : celle de recourir régulièrement à des sondages twitter pour éclairer les débats sociétaux qu’ils abordent, qu’ils soient politique, économique, etc. pour feindre d’avoir un aperçu à chaud de ce que pensent les Français.
Certes, les médias qui en usent et en abusent peuvent à l’envi répéter que ce ne sont que des sondages twitter. Le fait est qu’insidieusement, cela est traité sur les antennes qui y ont recours comme s’il s’agissait d’un élément reflétant peu ou prou l’opinion publique du moment, et c’est bien là où le bât blesse.
Ce procédé implique des résultats qui tutoient au mieux une non-information, au pire une désinformation acceptée.
Je m’en explique : certes tous les sondages intègrent une marge d’erreur, mais ils s’appuient sur un échantillon représentatif. Avec ce genre de sondages twitter sur tout et n’importe quoi, qui ont prétention à singer une démocratie participative, avec des réactions à chaud des Français, on ne peut décemment pas même parler de marges d’erreur… Évoquons plutôt un gouffre d’erreurs qui tutoient la désinformation acceptée. La raison de mon assertion est fort simple. Ce genre de sondages est confronté à un quadruple biais qui les place ipso facto totalement hors du champ de la réalité et inepte au sens le plus littéral du terme : tout à fait absurde ou stupide. Et mes mots sont pesés et réfléchis !
Quatre biais informationnels qu’ils ne peuvent ignorer
Le premier biais : les twittos qui participent sont ipso facto acquis à la tonalité de la chaine et à son positionnement.
Le second biais : la nationalité des participants qui peuvent tout à fait être étrangers à la communauté nationale supposée être sondée.
Le troisième biais : l’utilisation de l’astroturfing, une contrefaçon des mouvements d’opinion en utilisant des bots, qui peuvent entrer en action, notamment lors de sondages politiques.
Le quatrième biais : la typologie des personnes qui sont sur twitter. C’est le plus tangible et le plus problématique que je vais vous exposer.
Il suffit de se pencher sur les chiffres pour se rendre compte de l’absurdité absolue de ces sondages qui, même si les médias s’en défausseront, façonnent insidieusement les opinions publiques. En France, Twitter est le cinquième réseau social avec environ 12 millions d’utilisateurs. Loin d’être négligeable, ce chiffre pourrait servir à accréditer une forme de représentativité, si et seulement si nous n’allions pas plus avant !
Au mieux une non-information, au pire de la désinformation
Pour sonner une fois pour toutes le glas de toute interprétation pouvant faire sens, la synthèse « Twitter : les chiffres essentiels France et Monde » publiée par Digimind qui s’appuie sur de nombreuses sources et études indiscutables (Étude Harris Interactive 2019-2020, Socialbakers – July 2020 Social Marketing Report France, etc.) pointe par exemple qu’en 2020, 60 % des utilisateurs de Twitter en France étaient des hommes, 40 % des femmes. En 2021, 66,5 % des utilisateurs de Twitter en France sont des hommes, 33,5 % des femmes.
Les utilisateurs par âge se répartissent ainsi :
- 18-24 ans : 22 %
- 25-34 ans : 25 %
- 35-44 ans : 24 %
- 45-54 ans : 20 %
- 55-64 ans : 9 %
Nonobstant les catégories d’âges, où comme vous le noterez les 55-64 ans sont sous-représentés, ces données ne sont-elles pas sans appel tant la surreprésentation des hommes y est flagrante ? À moins naturellement que ce qui fonde une opinion publique soit exclusivement masculine et se passe de l’opinion des femmes qui il n’y a pas si longtemps n’avaient ni âme ni droit de vote !
Si nous nous fondons sur les chiffres que j’évoque, il est peu probable que la tendance s’inverse pour le seul critère de représentativité homme-femme et qu’elle puisse s’équilibrer en 2022. Tout comme il est fort peu probable que les nombreuses personnes pouvant être concernées par les débats ouvrent un compte twitter pour améliorer un tant soit peu une forme de représentativité.
Ces éléments conduisent à l’exemple ci-dessous :
À gauche le sondage Twitter avec 7870 participants.À droite, un sondage Ifop réalisé « auprès d’un échantillon de 964 personnes, représentatif de la population française ».
Ces simples observations sont factuelles. Elles disqualifient les medias par le seul fait d’avoir recours à ces sondages qui ne sont pas à leur honneur. Les médias ne devraient-ils pas prendre leurs responsabilités ? Il est compréhensible qu’au travers de ces derniers l’objectif premier soit de créer du lien avec leurs téléspectateurs, mais l’effet extrêmement pervers est que « l’information » au sens le plus noble du terme est bafouée, mise à terre !
Cette dernière ne mérite-t-elle pas d’arrêter de persister dans cette voie sans issue ? Les résultats ayant autant de valeurs que les micro-trottoirs, à savoir aucune, mais c’est là un autre débat.
Article original publié le 11 septembre sur Contrepoints
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