Shakespeare, beatbox et bouts de ficelle
Publié par Marion Sabourdy, le 12 mars 2012 3.3k
Au début du mois de février, l’Hexagone accueillait la dernière pièce de la compagnie L’Unijambiste, « Le Songe d’une nuit d’été ». L’occasion de mêler théâtre classique, arts numériques et musique moderne.
Dans la chimie comme au théâtre, tout est question de dosage et de mélange. David Gauchard, chimiste de formation venu au théâtre sur le tard en fait la preuve en mixant acteurs, vidéos et musique dans sa mise en scène du « Songe d’une nuit d’été » de William Shakespeare.
Dans cette pièce toujours aussi moderne - bien qu’écrite en 1595 - deux couples d’amoureux fuient dans une forêt étrange tandis que le roi et la reine des fées se chamaillent et que des comédiens amateurs répètent une pièce pour le mariage d’un prince. Au milieu de tous, Puck, le lutin farceur au service du roi des fées, s’en donne à cœur joie avec une mystérieuse potion.
A l’issue de la représentation du 1er février dernier sur les planches de l’Hexagone scène nationale de Meylan, David Gauchard s’avoue soulagé. Le mélange a pris, « les comédiens ont tout donné ». Effectivement, le public tout sourire tant la pièce est revigorante.
La musique de Robert Le Magnifique est pour beaucoup dans cette réussite, tout comme le graphisme et la scénographie en majorité constituée de cubes que les acteurs déplacent, empilent et escaladent. Mais le plus étonnant est la symbiose entre le texte classique et les « nouvelles technologies » comme la capture d’ombres grâce à un matériau phosphorescent ou le déclenchement de musique grâce à un mouvement de cubes (1).
Mais si ces « petits trucs » font beaucoup d’effets – mention spéciale aux lunettes pourvues de filtres à diffraction et aux gouttelettes d'eaux porteuses de messages - ils sont presque toujours issus de bricolages et d'expérimentations de la compagnie. David Gauchard s’est ainsi entouré d'une équipe pour concevoir les dispositifs numériques, filmer et composer les musiques (2). « Nous avons eu l’idée des aurores boréales en découvrant la diffraction de la lumière à travers une bouteille d’eau, se souvient le metteur en scène, nous avons filmé cette lumière avec des iPhones pour créer une sensation organique ».
Au sein de cette scénographie élaborée, s'intègrent également de véritables « bouts de ficelle ». « L’esprit de la pièce, c’est le jeu et le bricolage, précise-t-il, Nicolas Petisoff, qui joue Puck a fabriqué la perruque en raphia, la couronne ou les bois de cerf ». Laurent Duprat, tour à tour jeune page indien ou acteur-étameur, impressionne par ses talents de human beatbox, qui lui permettent de reproduire à la perfection avec sa bouche des sons de percussion ou de scratch bien connus des amateurs de rap ou de hip-hop.
Ce spectacle est l’aboutissement de la trilogie Shakespeare entamée il y a 10 ans par David Gauchard avec Hamlet puis Richard III. Selon lui, deux éléments sont à l’origine de cette scénographie : les flashcodes et les dés, « même si les premiers apparaissent finalement peu dans la pièce finale, contrairement aux seconds, omniprésents ». Cinéphile, l'auteur revendique des sources d'inspiration multiples, depuis le réalisateur Michel Gondry jusqu'à Spielberg, en passant par... la NASA. « On peut faire des mélanges incroyables si tout le monde est tendu vers le même objectif, se réjouit le metteur en scène, mais il faut tout de même tourner un moment, un peu comme un Rubik's cube ».
Notes
- Il s'agit des dispositifs « Picturae 2.0 » (environnement de peinture virtuelle) et « Les dés de musique » (logiciel de reconnaissance pour création sonore) conçus par Taprik. La compagnie a présenté ces dispositifs à Grenoble lors d'Expérimenta, le salon des rencontres entre arts et sciences en octobre dernier
- David Gauchard travaille avec le vidéaste David Moreau, l’inventeur Taprik et le sound-designer Robert Le Magnifique. Un album CD « A Midsummer Night’s Dream » sortira mi-mars pour accompagner la tournée (label idwet)
Illustrations : Philippe Laurençon, Karosabutkiss, Thierry Laporte