2122, une Terre sans glace ? - Retour sur la séance #2 du séminaire #SFMgre
Publié par Matthieu Demange, le 28 avril 2022 1.8k
Un article écrit par : Célia Grandam, Pierre Gachod, Hugo Haye, Guillaume Froment, Matthieu Demange (M1 CCST / UGA)
Le jeudi 31 mars 2022, à la Maison des Sciences de l'Homme Alpes, avait lieu la deuxième session du séminaire “Science, fiction, médiation” sur le thème “Climat déréglé & fictions engagées”. Ce jour là, on se projette dans le futur “2122 : une Terre sans glace ?”.
Retrouvez la captation de la séance dans la vidéo ci-dessous :
Retour sur la séance
Marion Sabourdy introduit la rencontre. C’est par les témoignages de la fonte des glaces qu’est souvent incarné le réchauffement climatique. Les glaces polaires sont bien loin des sociétés occidentales, et pourtant, qui n’a pas une image en tête de ce à quoi elles ressemblent ? La glace est utilisée comme objet médiatique mais son éloignement physique permet-il encore de se sentir concerné ? Est-ce que la fiction, par le biais affectif, ne serait pas plus à même de remplir ce rôle ? Mais quelle est la réalité concernant la fonte des glaces ? Ce sont à toutes ces questions qu’ont tenté de répondre les invités.
Présentation des invités
Clara Burgard, climatologue polaire
Clara Burgard est née en Alsace. Proche de l’Allemagne, elle s’est formée là-bas à la géophysique, la météorologie et particulièrement au climat polaire. Intéressée par l’évolution de la glace dans le cercle Arctique dans les modèles climatiques, ses travaux de recherches portent sur les interactions entre la calotte Antarctique et l’océan. Elle mène ses travaux à l’Institut des Géosciences et de l’Environnement à Grenoble.
A côté de ses recherches, elle s'intéresse à la manière de communiquer la science avec des publics variés. Elle a notamment été :
- rédactrice en chef du blog EGU Cryosphere, un blog destiné à communiquer sur tout ce qui touche à la glace, des cristaux aux glaciers.
- co-développeuse d’un jeu de rôle sur la fonte des glaces de mer arctiques “Cold Cooperation”
- membre de l’équipe éditoriale Twitter de l’Institut Max Planck de météorologie et au Hamburger Nacht des Wissens, “La nuit des connaissances” au cours de laquelle sont présentées des expériences, des conférences et des ateliers pour adultes et enfants.
Ces actions de vulgarisation lui ont d’ailleurs valu plusieurs distinctions, ce qui témoigne de son investissement dans ces activités.
Jean Krug, auteur de science-fiction, guide d'expéditions polaires
Originaire de Strasbourg, Jean Krug a eu un parcours étudiant en sciences qui l’a mené à un doctorat en Glaciologie, obtenu à Grenoble. Entre autres activités, il participe à des conférences durant de grandes croisières, voyageant des terres gelées de l’Alaska à celles de l’Antarctique en passant par le Groenland. Passionné par la littérature de science-fiction, avec des auteurs comme Isaac Asimov ou Dan Simmons comme références, il a baigné durant longtemps dans ces récits. C’est probablement cet attrait pour la littérature qui l’a amené à commencer l’écriture.
En 2021 il publie son premier roman aux éditions Critic : Le Chant des Glaces, où le récit se passe sur une planète glaciaire. Il a depuis écrit Le Mouvement des Comètes, et Manière Grise.
La glace, objet de médiation et de fiction
La première partie du séminaire portait sur la glace en tant qu’objet de fiction, son lien avec les invités et son rôle dans le changement climatique. Selon Clara Burgard, le changement climatique est progressif. Dans 100 ans, la neige aura continué à disparaître, mais restera présente dans les pôles. Les glaciers alpins seraient les plus à risques pour le siècle à venir.
Jean Krug, intervient concernant le permafrost, un sol permanent et sensible au dérèglement climatique. Il ajoute que:
Le pergélisol est aussi une partie importante de la cryosphère.[...] Dans un cadre de réchauffement, il va réémettre toute la matière organique, et donc des gaz à effet de serre.
Cette glace a cependant un lien avec les invités. Clara Burgard s’exprime sur le sujet:
Mon travail est plus devant l’ordinateur donc je ne suis pas souvent sur la glace en soi, mais pendant mes études j’ai été sur une île en arctique. […] Je suis toujours contente d’être dehors et le soir de pouvoir rentrer au chaud (rires). Mais ça me fascine toujours.
Elle ajoute que lors d’une mission en Arctique, la neige était absente pendant un temps, ce qui a permis l’observation d’un écosystème habituellement masqué. C’est un contraste qui l’a beaucoup marquée.
Jean Krug rapproche son lien à la glace à une relation similaire qu’a eu Claude Lorius, un glaciologue français. L’envie de faire un hivernage l’a motivé à venir dans un laboratoire de glaciologie. C’est une fascination et une aventure qui est associée à un “virus des pôles” (terme de l’explorateur Jean-Baptiste Charcot).
Lorsqu’on contemple la neige dans Le jour d’après, elle n’a pas forcément le beau rôle. Pourtant, il serait mal avisé de réduire la place de la glace dans la fiction à cet exemple. Il existe plein de médias marquants mettant en scène la glace.
Clara Burgard évoque les reportages de son enfance. Ce qui l’intéresse encore aujourd'hui, ce sont les enjeux qui entourent la glace. Le contexte dans lequel elle est abordée, et son lien avec le changement climatique. La glace se retrouve également dans des œuvres médiatiques qu’elle a créé. Des blogs et des vidéos notamment, où l’interaction avec le public est limitée. Elle détaille cependant un jeu de rôle créé avec des lycéens. La glace sert de prétexte pour aborder les questionnements, politiques en particulier, autour du dérèglement climatique.
Jean Krug confie que c’est dans le jeu vidéo World of Warcraft que la glace l’a surtout marqué. Certains décors dans ce monde virtuel ont fasciné l’auteur et contribué à son amour pour la glace. Un amour que l’on retrouve dans son roman Le chant des glaces, où certains éléments sont inspirés de ses travaux de thèse. Il rejoint également Clara Burgard sur la pertinence du jeu de rôle comme moyen de se questionner. La glace est selon Jean Krug une excellente porte d’entrée pour s’intéresser au climat et aux enjeux géopolitique qui y sont liés.
De l’incarnation au militantisme
C’est lors de la deuxième partie de ce séminaire que nous nous sommes posés la question de la place des artistes et des chercheuses et chercheurs dans la lutte climatique. Nous avons commencé cette conversation en évoquant les premiers souvenirs ayant permis une prise de conscience de l’urgence climatique.
Les documentaires restent des incontournables s’agissant du questionnement climatique pour Jean Krug. Les sujets de recherche et de thèse ont quant à eux permis à Clara Burgard d’approfondir ses connaissances climatiques. Un sujet qui n’est qu'effleuré lors des études de l’un et de l'autre.
Un autre vecteur de conscientisation reste les films comme “Une vérité qui dérange”, “2001” ou encore plus récemment “Don’t Look Up” mais ils ont leurs travers. En effet, nos deux invités énoncent les distances physiques et temporelles. Ces films jouent sur l’aspect catastrophique du changement climatique afin d’ouvrir les yeux du public et de le faire agir mais il est dur pour le public de se sentir concerné par des problèmes ayant lieu dans d'autres pays ou dans le futur.
Nos deux invités proposent donc, afin d’obtenir de meilleurs résultats, de présenter des problématiques liées au climat qui les concerneront directement, que cela soit dans leur pays et dans les dizaines d'années qui arrivent. Jean Krug parle également des erreurs faites dans ces films :
Oui ce film [“Une vérité qui dérange”] est complètement dans les choux et il faut corriger tout ce qu’il y a dedans mais ça reste un levier intéressant pour parler du climat.
Les fictions n’ont, des fois, même pas à avoir comme sujet le changement climatique. Le livre de Jean Krug, par exemple, traite d’une guerre des ressources sur un système solaire. Beaucoup de lecteurs ont vu dans ces écrits un sous-texte traitant des problématiques climatiques. En effet, une des spécificités de la science-fiction est de parler des enjeux actuels avec un décor futuriste ou au moins étranger. C’est dans ces récits que le lecteur peut se poser la question de “qu’est-ce-que cela dit de la société dans laquelle je vis ?”.
Il en est même un devoir, selon Jean Krug, pour les chercheuses et les chercheurs, pour les autrices et les auteurs, de donner des éléments de réflexion au public, des récits de SF ou des faits scientifiques, afin qu’il soit en capacité de se faire sa propre opinion.
Références
Threads Twitter de la séance :
Articles des autres séances du séminaire :
- Séance 1 : "Quand le climat s’emballe : les humains mis au défi"
- Séance 3 : "Les fictions climatiques : Enjeux et nouveaux récits"
Livres :
- Le chant des Glaces - Jean Krug
- La Horde du Contrevent – Alain Damasio
- Symphonie Atomique – Etienne Cunge
- Antarticas– Etienne Cunge
Jeu vidéo :
- Norfendre – World of Warcraft
Films :
- Le Jour d’après – Roland Emerich
- Don’t look up – Adam McKay
Personnalités :
Documentation :
- Rapports du GIEC (en français)
- Traité de l’Antarctique
Crédits illustrations
Ice Formation In Body Of Water - Andrea Schettino (free to use), Master CCST / UGA, Clara Burgard, Jean Krug, Benamino Abis, Jean Krug, Netflix, Jean Krug