SEMINAIRE - Comprendre la sociologie politique des forêts françaises face au changement climatique par Charlotte Glinel

Publié par Chloé Ettouati, le 17 novembre 2024   36

Aujourd'hui, avec ma classe de M2 Communication, Culture et Société et Technologies (CCST) de l’Université Grenoble Alpes, nous sommes allés au séminaire « Sciences, société et communication ». Chaque année, cet espace interdisciplinaire, organisé par la Maison des Sciences de l'Homme-Alpes (MSH-Alpes) et le GRESEC, devient une immersion au cœur des questions qui lient la recherche scientifique aux préoccupations de notre époque. Dirigé par Mikaël Chambru, maître de conférences en sociologie, ce cycle de rencontres est l’occasion d’explorer les interactions entre science, société et écologie, et de questionner les liens entre recherche académique et défis sociétaux.

Pour ouvrir l’édition 2024, nous avons rencontré Charlotte Glinel, doctorante en sociologie politique, qui nous a invités à une réflexion inédite sur les forêts françaises dans sa présentation « Au pied de l’arbre, marteler le destin des forêts : une sociologie politique du travail écologique ». Elle nous a transporté·e·s dans les paysages des forêts hexagonales, où le martelage – la sélection des arbres à couper ou à préserver – devient un geste hautement symbolique et porteur de sens dans le contexte actuel de changement climatique.

Au pied de l’arbre : comprendre la sociologie politique des forêts françaises face au changement climatique

©️AGROPARISTECH - CENTRE DE NANCY, Saint-Dié-des-Vosges (88), (~1901)

La forêt, un enjeu politique et écologique majeur

Les forêts françaises, marquées par une diversité écologique impressionnante, sont à la fois des espaces naturels et des terrains de gestion humaine, comme en témoignent les pratiques de sylviculture propres à chaque région. La forêt des Landes de Gascogne, par exemple, se prête au labourage du sol, une pratique non commune dans les Vosges. Cette diversité souligne la façon dont les forêts se transforment sous l’influence de multiples acteurs (publics et privés) et en réponse aux pressions du changement climatique. 

Face à une gestion complexe et souvent controversée, Charlotte Glinel évoque la problématique des forêts dites « primaires » (forêt qui n’a été ni exploitée ni défrichée par l’homme). Ces espaces naturels, bien que façonnés par l’humain depuis des siècles, sont parfois perçus à tort comme « vierges ». Cette vision erronée occulte les dynamiques historiques et humaines qui les traversent.

Le rôle du martelage dans la gestion forestière

Le martelage, un acte peu visible mais central dans la gestion forestière, a été longuement discuté lors du séminaire. Cette pratique consiste à sélectionner les arbres à exploiter ou à conserver, à l’aide d’un marteau ou de peinture. Ce travail, valorisé par les forestiers, traduit une « empathie » pour l’écosystème forestier : chaque arbre sélectionné l’est en fonction de son impact potentiel sur l’équilibre général de la forêt.

Marteau forestier permettant d'apposer sur l'arbre sélectionné l'empreinte du marteau d'état
©️Frédéric Glon/Giada Connestari/ONF

Légende : Marteau forestier permettant d'apposer sur l'arbre sélectionné l'empreinte du marteau d'état "AF" (Administration Française)

Le martelage est particulièrement important dans les forêts publiques où les gestionnaires forestiers, aux côtés des gardes, s’efforcent de trouver un équilibre entre conservation écologique et exploitation économique. Ce choix, pourtant technique, prend une dimension politique car il oppose souvent des forestiers préoccupés par la durabilité à des politiques publiques favorisant l’exploitation intensive.

Controverses autour de l’évolution des pratiques forestières

Les méthodes de gestion évoluent avec le temps et les outils numériques, comme les GPS, viennent désormais compléter les outils traditionnels. Toutefois, ces nouvelles pratiques suscitent des résistances. En forêt publique, l’introduction des technologies est perçue par certains comme un outil de contrôle, suscitant des tensions autour de la « liberté professionnelle » des forestiers.

Enfin, le passage du marteau à la peinture pour marquer les arbres est source de débat. La peinture, bien que plus rapide et moins pénible physiquement, manque de la permanence du marteau, rendant les marquages éphémères et plus facilement modifiables.

©️Frédéric Glon/Giada Connestari/ONF

Légende : La couleur et la forme du marquage à la bombe sont très codifiées : un trait rouge pour le arbre destiné au bois d'énergie, un rond rouge et une empreinte au marteau forestier pour le bois d'oeuvre.

Un avenir forestier en mutation

Au cœur de ces pratiques se dessine un enjeu écologique et politique : comment adapter la gestion forestière face au dérèglement climatique ? Pour de nombreux forestiers, le martelage symbolise leur résistance face aux politiques de coupe intensive. Les tensions croissantes autour de ces décisions révèlent un secteur tiraillé entre impératifs économiques et préservation écologique, et les forestiers se retrouvent souvent en première ligne pour défendre cet équilibre fragile.

Ce séminaire a ainsi permis de découvrir une facette peu connue de la gestion forestière et de comprendre comment les pratiques, marquées par une forte identité professionnelle, sont transformées par les impératifs de notre époque. En revisitant ces gestes anciens et en intégrant les technologies modernes, les forestiers tentent de préserver, au pied de l’arbre, un patrimoine naturel en perpétuelle adaptation.



Cette première séance du séminaire nous a permis d'explorer les enjeux insoupçonnés autour des forêts françaises, où chaque arbre sélectionné ou préservé traduit un équilibre fragile entre traditions forestières et impératifs écologiques. En partageant ses recherches, Charlotte Glinel nous a offert une immersion captivante dans un domaine mêlant politique, écologie et savoir-faire humain. Pour poursuivre cette réflexion, la prochaine séance, le 5 décembre, portera sur « Polluants persistants, microplastiques et PFAS : vers une sociologie des présences en territoire montagnard » et approfondira l’impact des contaminants dans nos environnements naturels. Quant à Charlotte Glinel, elle soutiendra sa thèse le 21 mars, une date à retenir pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur le travail écologique dans les forêts françaises.


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Prise de note par Louna Briand, Leïla Dufresne, Chloé Ettouati
Rédaction de l'article : Chloé Ettouati