Sécurité énergétique : mieux connaître la crise énergétique pour mieux s’adapter

Publié par Encyclopédie Énergie, le 14 novembre 2022   6k

En cette période de tensions au niveau des prix de l’énergie, la sécurité énergétique est un élément indispensable pour garder de la stabilité dans nos sociétés comme le sont également la sécurité alimentaire ou la sécurité climatique. L’exemple récent des ruptures d’approvisionnement, quand bien même partielles, des pompes à essence ou encore des « menaces » des coupures d’électricité en hiver nous montre que ces événements peuvent conduire à la grogne populaire avec un sentiment de peur, d’oppression, de perte de liberté, voire si les blocages sont importants, à une paralysie de la société.

1. Eléments de définition de la sécurité énergétique

La sécurité d’approvisionnement énergétique fait l’objet d’un des volets de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), outil de la gouvernance française de la politique énergétique. Selon le code de l’énergie, cette notion de sécurité énergétique définit « les critères de sûreté du système énergétique, notamment le critère de défaillance. Il précise les mesures mises en œuvre pour garantir la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel. Il peut aussi prévoir la mise en œuvre de dispositions spécifiques, comme la diversification des moyens de production ou des sources d’approvisionnement d’énergie, pour se prémunir des risques systémiques. Il précise également les besoins d’importation d’énergies fossiles, d’uranium et de biomasse et les échanges transfrontaliers d’électricité prévus dans le cadre de l’approvisionnement ». (1)

2. Les ressources énergétiques et problèmes de sécurité associés

Les ressources fossiles, omniprésentes dans les transports, l’industrie, les bâtiments, la production d’électricité, représentent près de 50% de la consommation d’énergie primaire, soit deux tiers de la consommation énergétique finale française (2). Un pays comme la France, et plus généralement la majorité des pays européens ne disposent sur leur sol que de très peu de ces ressources, pourtant nécessaires au fonctionnement du pays. La France et les pays similaires ont donc un besoin d’importer ces ressources pour subvenir à leurs besoins.

Il peut exister plusieurs types d’aléas faisant peser des risques sur la sécurité d’approvisionnement en ressource fossile : des tensions géopolitiques impliquant des pertes de sources d’approvisionnement (exemple : guerre en Ukraine et gaz russe – figure 1), des problèmes techniques sur des pipelines, des gazoducs, dans des raffineries, etc., des aléas climatiques impliquant des surconsommations (exemple : pour se chauffer dans des conditions froides à l’aide du gaz).


Figure 1 : Approvisionnement en gaz et tensions géopolitiques -
source : https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2014/05/09/caricatures-qu-en-sera-t-il-demain-de-la-securite-energetique/index.html

Ainsi, la sécurité énergétique implique d’assurer la continuité d’approvisionnement de ces ressources avec des prix compétitifs, ou du moins anticipables pour apporter de la visibilité aux acteurs. Cela peut se faire en assurant la fourniture par des contrats à long terme avec des vendeurs fiables, par la constitution de stocks stratégiques, par la diversification des sources d’énergies via de nouveaux contrats et infrastructures ou encore par la réduction de la consommation de ces ressources. En résumé, toute mesure qui rend un pays moins tributaire d’une source précise et externe d’approvisionnement en énergie lui confère par la même occasion une meilleure sécurité énergétique (3).

Outre les ressources fossiles pétrole charbon et gaz, les autres ressources énergétiques utilisées dans les mix énergétiques pouvant être sujettes à ce problème sont l’uranium pour la production d’énergie nucléaire et la biomasse pour les usages énergétiques et non énergétiques possibles avec cette ressource. La France a constitué un approvisionnement sûr en ce qui concerne l’uranium par la diversité géographique et commerciale de ses vendeurs, les contrats à long terme et les stocks stratégiques pour garantir le fonctionnement des centrales nucléaires dans le temps. Au niveau de la biomasse, l’enjeu est également de mettre en adéquation nos besoins et notre potentiel de ressource, en garantissant la durabilité de notre ressource forestière, le tout dans un contexte mondialisé qui fait de la France une importatrice nette, avec une demande globale en croissance. Les fortes augmentations des prix (plus de 200% d’augmentation du bois de chauffage en 2022 par rapport à 2021 par exemple) révèlent que la sécurité énergétique sur cet aspect n’est pas garanti.

3. Le cas particulier de l’électricité

Concernant l’électricité, la sécurité énergétique est avant tout la garantie de la fourniture de courant à chaque instant de l’année pour les consommateurs et l’absence de coupures de courant localisées ou les black-out à plus grande échelle[1] (figure 2). La sécurité du système électrique repose sur donc sur deux piliers.

Figure 2 : Risque de black-out – source : https://www.lindependant.fr/2022/09/14/crise-energetique-aucun-risque-de-black-out-cet-hiver-rassure-le-gestionnaire-du-reseau-delectricite-10542881.php

Le premier pilier concerne l’adéquation des capacités de production d’électricité à couvrir à tout moment la demande d’électricité : comme l’électricité est un bien qui ne se stocke pas correctement en tant que telle (des électrons en mouvement), il est nécessaire de pouvoir satisfaire à tout moment la demande grâce à la production, toutes deux étant soumises à des aléas. Ils peuvent être climatiques lorsque la consommation d’électricité, comme en France, est fortement thermosensible en France du fait d’un parc de chaudières électriques important ou bien météorologiques avec la production d’énergie électricité par les renouvelables intermittentes solaire ou éolienne dépendante des conditions d’ensoleillement et de vent). Ainsi des ressources doivent permettre la production électrique et, dans le cas des centrales thermiques fossiles, doivent être, dans le cas de la France, importées. Elles donc sont sujettes aux variations de prix de cette ressource, répercutée sur le coût de l’électricité et, si rien n’est fait, sur son prix final pour le consommateur. C’est ainsi que bon nombre de consommateurs (artisans, commerces, industriels) subissent actuellement de plein fouet les hausses des coûts du fait, notamment, des hausses de prix du gaz.

Le second pilier est la sûreté de fonctionnement du système électrique, qui désigne la capacité du réseau électrique à acheminer l’électricité des producteurs d’électricité aux consommateurs via les réseaux de transport et de distribution d’électricité. Cette capacité relève principalement du gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, RTE, et des gestionnaires des réseaux de distribution, ENEDIS et d’autres distributeurs locaux comme GEG. Géographiquement, cette sécurité d’approvisionnement est un enjeu sur plusieurs échelles : interpays du fait de la contribution croissante des interconnexions à notre sécurité d’approvisionnement mais aussi plus localement du fait de certaines disparités, aussi bien du côté de la demande (en fonction du dynamisme et de l’attractivité des territoires), de l’offre (en fonction de la part d’électricité produite localement), que du réseau (en fonction du maillage et de la densité locale du réseau).

L’électrification massive, l’usage de moyens de production décentralisés, les nouvelles structurations du réseau en smart grid peuvent induire un risque croissant de cyber attaque sur ces réseaux et mettre en péril cette sécurité énergétique (4). Ce développement réseau doit donc être couplé avec des moyens mis en œuvre pour garantir la sécurité IT sur lesquels les réseaux se basent et trouver des moyens de combattre les cyber malveillances.

Ainsi, et cela couplé avec les nécessaires investissements dans le renforcement et le contrôle du réseau électrique pour incorporer les projets favorisant le développement de sources locales d’énergies renouvelables peuvent dans une large mesure contribuer à améliorer la sécurité énergétique d’un pays en se passant d’autres ressources fossiles, sans souveraineté nationale, pour produire l’électricité dont on a besoin.

4. La transition écologique, un concept mobilisant des leviers permettant d’améliorer la sécurité énergétique

La sobriété ou l’efficacité énergétique permettent de gagner en sécurité énergétique car l’une et l’autre diminuent les besoins en ressource énergétique. Ainsi, les projets de rénovation énergétique des bâtiments, d’aides à l’achat de véhicules ou d’équipements ménagers plus performants, contribuent aussi à répondre à l’enjeu que représente la sécurité énergétique : ils diminuent les dépenses d’énergie des consommateurs en réduisant leurs factures énergétiques et en prévenant autant que possible la précarité énergétique et tous les effets négatifs associés.

Le sujet de la transition énergétique avec un objectif de société long terme de zéro net émissions va aussi dans le sens de la réduction progressive de nos consommations d’énergie fossiles, de façon contrainte ou forcée. Les objectifs de la politique européenne vont dans ce sens : le nouveau plan RePowerEU a pour ambition de s'appuyer sur les nouvelles technologies pour améliorer et mieux contrôler les consommations énergétiques, faciliter l'intégration des énergies renouvelables dans les réseaux, tout en augmentant la cybersécurité, avec la création notamment d'un code de réseau pour les flux transfrontaliers d'électricité (5).

Outre les moyens techniques favorisant l’intégration d’EnR et la diminution des énergies fossiles dans le mix énergétique, la sensibilisation des populations pour adopter des comportements de consommations raisonnés et adaptés au nouveau contexte est important car cela peut être source de réductions massives de consommation et faire pencher la balance du bon côté en période de tension.

5. Un exemple de sensibilisation au grand public : la météo de l’électricité Ecowatt

La « météo de l’électricité » Ecowatt, initiative de RTE, le gestionnaire du transport d’électricité français, nous indique par des couleurs vertes orange ou rouge, s’il n’y a pas de tension sur l’approvisionnement ou si, au contraire, il y a une demande élevée au regard de l’ensemble des moyens de productions disponibles. (6)


Figure 3 : Ecowatt, la météo de l’électricité par RTE – source : https://www.monecowatt.fr/

Le signal vert correspond au signal par défaut de ce dispositif. Il signifie que le niveau de consommation en électricité est inférieur à la production disponible pour la journée et donc que la France dispose de marges suffisantes pour répondre à toute la demande.

Le signal orange est calculé en fonction des marges disponibles. Il est activé quand les réserves d’électricité disponibles sont faibles, c’est-à-dire quand le niveau de la consommation attendu est très proche de la production disponible. RTE active alors tous les leviers à sa disposition (baisse de la tension, effacements de la consommation des industriels, etc.) pour conserver des marges suffisantes pour garantir l’équilibre production et consommation.

Le signal rouge est activé lorsqu'il n’y a pas assez de production d’électricité pour subvenir à tous les besoins en France. Dans ces cas, potentiellement rares où tous les besoins en électricité ne pourraient pas être couverts, des coupures locales, tournantes, maîtrisées et d’une durée maximale de 2h pourraient être organisées. Le site Ecowatt donnerait alors à chaque Français toutes les informations en temps réel pour se préparer à cette situation.

Figure 4 : Les signaux verts, orange et rouge d’Ecowatt – source : https://www.monecowatt.fr/

Ce dispositif permet de rendre visible du grand public ce bien qu’est l’électricité, énergie que l’on pense trop souvent acquise dans nos sociétés contemporaines alors que des situations de tension ne sont pas rares, et de mettre en lumière nos consommations et leurs impacts Cela nous rappelle que la sécurité énergétique n’est jamais garantie et que nous devons collectivement agir en sorte de consommer, avec raison, pour subvenir à nos besoins.

Conclusion

Ainsi, la sécurité énergétique regroupe plusieurs enjeux, géopolitiques, économiques, techniques, comportementaux pour que les personnes aient une garantie de subvenir à leurs besoins d’énergies. La transition énergétique, pour passer des énergies fossiles à des énergies décarbonées en vue de limiter les hausses de température à long-terme, permet aussi de gagner en sécurité énergétique. Néanmoins, cela conduira à l’avenir à se concentrer sur d’autres enjeux, comme la sécurité d’approvisionnement en nouvelles technologies pour effectuer la transition énergétique (batteries, panneaux solaires, éoliennes entre autres), mais aussi en matériaux spécifiques pour construire ces nouvelles technologies de la transition énergétique avec des tensions déjà estimées sur certains métaux (cobalt, cuivre, lithium, entre autres).

Gabin MANTULET, A3E

Pour en savoir plus sur https://www.encyclopedie-energie.org/


[1] A cette fin, la France a défini un objectif de sécurité d’alimentation électrique appelé critère de défaillance, codifié juridiquement à l’article D. 141-12-6 du code de l’énergie. Le critère impose que chaque année, la durée moyenne, sur l’ensemble des scénarios possibles, et en tenant compte de la contribution des interconnexions, pendant laquelle au moins un consommateur est privé d’électricité pour des raisons d’insuffisance de l’offre doit être inférieure à trois heures.