Rénovation énergétique en France : un marché dicté par les réglementations
Publié par Grenoble Ecole de Management GEM, le 3 mars 2022 35k
Il y a en France, près de 5 millions de logements qualifiés de « passoires thermiques ».
Un vaste programme de rénovation a été lancé par le gouvernement mais les résultats se font attendre et les critiques se multiplient. Le Baromètre du Marché de l'Energie a questionné 162 experts du secteur en février 2022 pour identifier les principaux freins ou leviers politiques à l’accélération du rythme de rénovation énergétique en France.
Auteurs : Carine Sebi, Marie-Charlotte Guetlein, Sébastien Houde, Julien Lafaille, Joachim Schleich & Valeria Fanghella - Grenoble Ecole de Management
Le secteur résidentiel du bâtiment représente un fort gisement d’économie d’énergie, de réduction de gaz à effet de serre, et est donc un champ d’action stratégique pour atteindre la neutralité carbone de la France.
D’ici 2050, 500 000 rénovations annuelles devraient être réalisées pour atteindre le niveau BBC pour l’ensemble du parc de logements (équivalent à l’étiquette énergie Diagnostic Performance Energétique[1] DPE A ou B). Un défi de taille compte tenu des 5 millions de logements considérés par la Ministère comme des passoires énergétiques (DPE F ou G).
Au regard de cet objectif annoncé, la France accuse des retards colossaux dans le champ de la rénovation du parc privé.
Quels sont les principaux freins ou leviers politiques à l’accélération du rythme de rénovation énergétique en France ? Pour répondre à ces questions, le dernier Baromètre du Marché de l’Energie de Grenoble Ecole de Management a interrogé en février 2022 un panel de 162 experts du secteur de l’énergie sur l’avenir de cette filière.
Obligations : stimuli indispensables à la rénovation énergétique
Depuis la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, les copropriétés font face à certaines obligations, comme celle d’isoler les murs lors d’un ravalement de façade important (cas de travaux embarqués). Plus récemment, pour être en ligne avec la proposition de révision de la Directive Européenne sur la performance énergétique des bâtiments qui indique que les passoires énergétiques devront être rénovées d’ici 2030, le gouvernement Français a pris des mesures pour inscrire cette obligation dans la loi. Dès 2025 le gouvernement va interdire à la location les passoires énergétiques (DPE G), puis étendre progressivement cette obligation aux autres classes énergétique (DPE F, puis E).
Concrètement, cela signifie que des travaux de rénovation globale (comprenant l’isolation) seront obligatoires si le bailleur souhaite mettre son bien en location.
Ces obligations sont nécessaires à la filière: 75% d’experts de notre panel jugent que l’interdiction à la location des passoires énergétique est une mesure efficace (voire très efficace pour 42%) pour stimuler la rénovation énergétique en France, et plus de 55% trouve que l’obligation d‘isolation lors de ravalement de façade des copropriétés est une mesure efficace (Graphique 1).
Par ailleurs, nos résultats indiquent que 30% des experts jugent que le nouveau DPE ne serait pas efficace pour stimuler le marché de la rénovation (Graphique 1). Cette défiance -observée actuellement dans le secteur- s’explique par la refonte du DPE qui a eu lieu cet été, et qui dû rapidement être révisé à l’automne du fait de nombreuses anomalies révélées. Avec la nouvelle publication du DPE en novembre dernier, le nombre de « passoires énergétiques » évalué par le nouveau DPE est beaucoup plus élevé que prévu et concernerait près de 7 millions de logements.
Graphique 1 : Efficacité des mesures existantes pour stimuler la rénovation énergétique
Source : Baromètre du Marché de l’Energie de Grenoble Ecole de Management édition 2022
La « valeur verte » immobilière influence désormais le marché
Les obligations de rénovations annoncées cet été dans le cadre de la Loi Climat et Résilience ont une répercussion immédiate sur le marché immobilier : de nombreux propriétaires (qui ne veulent ou ne peuvent engager de travaux) cherchent à vendre leurs passoires, et désormais un mauvais DPE peut échouer une transaction immobilière... L’augmentation du volume de passoires énergétiques proposé à la vente, et la prise de conscience environnementale immobilière (provoquée par ces obligations !) impliquent une décote des logements les moins bien classés et une appréciation des logements moins énergivores (DPE A et B) : c’est la valeur verte immobilière.
La performance énergétique des logements impose donc aujourd’hui une « valeur
verte » qui influence leur prix, que nous n’observions pas sur le marché il y a 2 ou 3 ans : en 2018, seuls 8% des experts du baromètre estimaient que l’augmentation de la valeur immobilière d’un logement rénové était un levier important à la rénovation énergétique, en 2022 (certes avec un panel de participants différent) ils sont plus de 50% à indiquer que la valeur verte est un booster à la rénovation énergétique (Graphique 2) !
Graphique 2 : Principaux leviers à l’activité de rénovation énergétique
Source : Baromètre du Marché de l’Energie de Grenoble Ecole de Management éditions 2018 et 2022
Le manque de main d’œuvre qualifiée et l’incertitude des politiques sont des freins majeurs à la rénovation énergétique
Les experts du baromètre classe en premier obstacle la difficulté de trouver une entreprise de confiance (42%, Graphique 3). Le secteur est en effet confronté depuis plusieurs années à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, et la reprise économique post COVID ne fait qu’amplifier ce phénomène.
Les autres freins majeurs révélés par les experts concernent l’incertitude des politiques et le manque général d’information (plus de 35%). Les programmes d’aides à la rénovation changent fréquemment de nom et de critères d’éligibilité : MaPrim’Rénov remplace depuis 2020 le Crédit d'impôt Transition énergétique (CITE) et les aides de l’Anah pour les ménages modestes et très modestes, puis le CITE pour tous les ménages à partir de 2021… Le gouvernement a annoncé en octobre 2021 la mise en place de France Rénov qui est la nouvelle plateforme dédiée à la rénovation énergétique et qui doit répondre aux critiques les plus récurrentes adressées au dispositif, à savoir le manque d’accompagnement et les lourdeurs administratives.
Enfin, notre enquête montre que les facteurs financiers (ex. un retour sur investissement incertain; accès imité au capital; coût élevé du financement, etc.) ne seraient pas, selon notre panel d’experts, les principaux freins à la rénovation énergétique (Graphique 3). Ceci pourrait s’expliquer en partie par la conjoncture favorable à l’emprunt en 2020/mi-2021, période durant laquelle les taux d’emprunt étaient extrêmement bas. Parallèlement, la plupart de nos experts considèrent qu’un faible niveau général des prix de l’énergie (comme observé au début de la crise de la Covid-19) ne constitue pas un obstacle majeur à la rénovation énergétique ; il est fort possible que les augmentations récentes des prix de l’énergie jouent un rôle à cet égard.
Ces résultats, placés dans le contexte actuel, suggèrent que certaines politiques commencent à porter leurs fruits. Cependant, un consensus se dégage : les objectifs affichés du gouvernement ne pourront être atteints qu’en intensifiant les soutiens aux ménages, et en soutenant le développement de l’écosystème de la rénovation.
Graphique 3 : Principaux freins à l’activité de rénovation énergétique
Source : Baromètre du Marché de l’Energie de Grenoble Ecole de Management édition 2022
Nous remercions le programme CEE RECIF, qui informe massivement sur la rénovation des copropriétés, pour leur collaboration à cette édition 2022 du Baromètre du Marché de l’Energie.
Le Baromètre du Marché de l’Energie a été réalisé dans le cadre des travaux menés par la Chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management.
[1] Le DPE renseigne sur la performance énergétique d'un logement selon une graduation décroissante allant de A à G.
Pour en savoir plus sur le thème de la rénovation énergétique, nous vous invitons à vous joindre aux prochaines Rencontres de l'Energie portées par la Chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management . Info et inscriptions : ici