Rencontre avec Isabelle Vauglin, ambassadrice Auvergne-Rhône-Alpes de la Fête de la Science 2021
Publié par Sam Lefebvre, le 21 octobre 2021 2.8k
A l’occasion de la Fête de la Science (FDS), nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Isabelle Vauglin, ambassadrice régionale de la Fête de la Science cette année.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Isabelle Vauglin, astrophysicienne au Centre de recherche d’astrophysique de Lyon, de l’Université Claude Bernard Lyon 1, l’ENS et le CNRS. Je suis responsable régionale de l’association Femmes & Sciences et ambassadrice régionale de la Fête de la Science en Auvergne-Rhône-Alpes cette année.
En quoi consiste votre rôle d’ambassadrice régionale de la FDS ?
Avec un comité composé d’une dizaine de personnes, nous donnons notre avis sur le développement des activités prévues, nous pouvons également en proposer, d’autant que cette année nous fêtons les 30 ans de la FDS, il fallait donc marquer correctement l’occasion.
Pendant les 10 jours de la FDS, je me suis déplacée dans la région sur différents événements. Tout d’abord le samedi 2 octobre je suis allée au Village des Sciences du Puy de Dôme en compagnie de l’ambassadrice nationale (ndlr : Chloé Nabédian, journaliste spécialisée en météorologie et climat). Le lundi 4 octobre, il y a eu le lancement officiel de la FDS à Rhône Métropole à Lyon où j’y ai fait un petit discours. Le mercredi 6 octobre, j’ai participé à l’inauguration d’une exposition à l’Hôtel de la région de Lyon. Le jeudi 7 octobre je suis allée à Saint-Martin-en-Haut, au Village des Sciences, développé par Créact'IV Sciences. Ce lieu est très important car il s’agit d’une zone rurale, il est donc nécessaire d’apporter la science là-bas, au contact d’un public qui n’irait pas jusqu’à Lyon pour participer à la FDS. Ce Village des Sciences a été choisi pour accueillir l’émission “Science en direct” avec l’équipe de l’Esprit Sorcier et Elodie Chabrol, qui a été diffusée en direct tous les soirs, j’ai eu la chance de participer à cette émission. Enfin le vendredi 8 octobre, j’ai fait une intervention dans l’Ain, à Nantua, loin des centres urbains, au lycée Xavier Bichat ainsi qu’une conférence à la médiathèque de la ville qui accueillait l’exposition “La Science taille XX Elles” du comité régional lyonnais de l’association Femmes & Sciences.
Vous faites partie du comité régional lyonnais de l’association Femmes & Sciences, pouvez-vous nous présenter cette association et ses actions ?
L’association Femmes & Sciences, (ndlr : fondée en 2000), est une asso nationale composée de groupes régionaux mettant en place des actions pour promouvoir la place des femmes en sciences. Par exemple, l’exposition “La Science taille XX Elles” qui provient d’une initiative du groupe toulousain en 2018. Il s’agit d’une exposition avec une esthétique affirmée présentant des portraits de femmes scientifiques de la région accompagné d’une phrase choc, de leur nom et métier. Un QR code est présent afin de rediriger vers le site internet de l’association et d’avoir un descriptif plus complet. Par la suite cette exposition s’est exportée à Lyon, en Ile-de-France puis à Grenoble, reprenant toutes les mêmes codes esthétiques avec un fond coloré différent. Pour Toulouse il s’agit du bleu, Lyon du marron, en Ile-de-France la couleur aubergine (ndlr : Grenoble du jaune). Pour l’exposition de Lyon, nous avons obtenu un soutien de l’ENS car ils sont au cœur de la problématique, en effet chez eux il y a 70 à 80% de femmes étudiantes en lettres, contre 20 à 25% en sciences.
Trouvez-vous que la FDS en Auvergne-Rhône-Alpes en a fait assez pour mettre en avant les femmes en sciences ?
Je suis très contente que cette année une femme ait été choisie pour être ambassadrice, mais lors de la présentation sur internet il était indiqué “ambassadeur”, or le mot ambassadrice existe et il faut donc l’utiliser, je n’ai pas hésité à leur mentionner. J’ai voulu proposer une 2nde exposition “La science marquée par 30 femmes en Auvergne-Rhône-Alpes” malheureusement celle-ci n’était pas finie à temps pour y être présentée. Cette exposition, à la différence de “La Science taille XX Elles” est exclusivement numérique, ce qui permet d’en avoir un meilleur export et de l’envoyer à des établissements éloignés avec peu de moyens afin qu’ils la téléchargent et l’impriment par leurs propres soins.
Nous faisons le maximum en fonction de nos moyens financiers et temporels car avec mes collègues de l'association nous sommes chercheuses et enseignantes, et nos travaux nous occupent la majorité du temps.
L’exposition “La Science taille XX Elles” est présente à Mions pour 2 semaines où 2 de mes collègues ambassadrices de l’asso Femmes & Sciences iront faire des interventions dans des classes de 4ème pour présenter cette exposition et son but : c’est-à-dire qu’il existe des femmes scientifiques dans tous les domaines, et que ce sont des femmes normales avec des vies de famille.
Vous êtes astrophysicienne à Lyon, pouvez-vous nous parler de vos travaux de recherche et de votre carrière ?
Oui, donc je suis astrophysicienne et plus précisément instrumentaliste en infrarouge (IR). L’astronomie ne se limite pas au domaine du visible au contraire il y a beaucoup de choses au-delà du visible d’où l'utilisation des IR et des ultra-violets (UV). L’IR permet de sonder des zones obscures de l’Univers, masquées par les poussières, l’IR étant plus large que le visible il permet de voir au-delà des zones masquées par les poussières, par exemple les zones de formation des étoiles & noyaux de galaxies.
En tant qu’instrumentaliste je conçois et construis des outils directement dans les laboratoires car ils n’en existent pas dans le commerce. J’ai conçu 2 caméras : une proche IF allant de 4 à 5 microns et une moyen IR allant de 5 à 20 microns.
J’ai également travaillé dans l’hémisphère sud sur la cartographie complète du ciel austral à l’aide de 3 caméras aux longueurs d’ondes différentes, en IR proche. Nous avons scanné le ciel de l’hémisphère sud pendant plusieurs années puis il a fallu traiter ces données et les exploiter avec l’aide de l’observatoire européen au Chili.
Actuellement, je travaille sur la conception d’un télescope à installer en Antarctique, au Dôme C, sur la base franco-italienne Dumont d'Urville. Les caractéristiques de ce télescope sont qu’il doit résister à des températures allant de -20°C à -85°C, dans le domaine de l’IR et avec un grand champs. Mes travaux n’avancent pas beaucoup car la recherche de financement est compliquée.
Nous avons choisi de parler des Femmes dans la Science à l’occasion de la FDS, et nous avons été choqué.e.s de constater que dans certains cas les choses qui se voulaient tourner vers les femmes ne l’étaient pas du tout. Par contre nous avons été ravis de voir que la proportion de femmes parmi les doctorant.e.s et chercheur.se.s qui se présentaient à nous, était assez significative.
Je rebondis sur une question plus large, mais à votre avis qu’est-ce qui pourrait être de bonnes initiatives pour favoriser l’entrée des femmes en sciences et asseoir la place de celles qui y sont déjà ?
Les choses bougent doucement, il commence a y avoir de bonnes initiatives mais je n’ai pas de baguette magique pour tout changer d’un coup, j’ai l’impression de devoir “vider l’océan à la petite cuillère”. L’association Femmes & Sciences a 2 objectifs : mettre dans la tête des filles qu’elles ont autant leur place en sciences que les garçons, et lutter contre le plafond de verre.
Il faut savoir que les femmes sont tout aussi méritantes que les hommes et il faut enlever les idées reçues et les stéréotypes dans la société, car ces stéréotypes de genre sont archaïques; Je vous donne l’exemple d’une étude réalisée par Opinion Way & L’Oréal, en Europe, qui indique que pour la question “Describe A Scientist”, 67% des personnes interrogées commencent leur description par “It’s a men”. C’est hallucinant ! Il y a quand même 2 europén.ne.s sur 3 qui pensent qu’un scientifique c’est un homme !!
Je profite de ce moment avec vous pour faire un instant pub sur un des projets que je mènent avec Femmes & Sciences à Lyon, c’est la journée “Science : un métier de femme”. Il s'agit d’une journée en non-mixité réservée aux lycéennes qui a lieu le 8 mars, date symbolique (ndlr : il s’agit de la journée internationale des droits des femmes) qui a lieu depuis 2017, avec l’année 2021 en visio-conférence. Les lycéennes se retrouvent dans un amphithéâtre de l’ENS et passent la journée avec des femmes, le matin une conférence sur les stéréotypes de genre est faite par une sociologue et l’après-midi 32 marraines, de tous horizons professionnels, viennent échanger pendant 20 minutes avec les filles.
Le but de cette journée est de donner l’exemple aux lycéennes en leur montrant qu’il existe des femmes dans tous les métiers et que rien ne leur est inaccessible. En 2018 nous avons eu la chance d’avoir Françoise Barré-Sinoussi en tant que marraine d’honneur (ndlr : Prix Nobel de physiologie en 2008 pour la découverte du VIH) et en 2020 Najat Vallaud-Belkacem (ndlr : 1ère femme Ministre de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en 2014).
Même si les filles adorent cette journée et regrettent de ne pas avoir le temps de discuter avec toutes les marraines, il faut aussi changer la vision des hommes sur le sujet pour changer les choses.