Les fractures sociales qui ne cessent de s’approfondir et de se diversifier caractérisent simultanément la difficulté de sortir de l’entre soi et le déficit de langages pour en parler. Cela fragilise le métissage culturel et la capacité à comprendre l’autre pour mieux vivre ensemble avec nos différences

Le « monde ancien » n’est pas l’« ancien monde ». Le « monde ancien » est un monde achevé accompli en quelque sorte. Les temporalités du monde ancien ne sont plus présentes aujourd’hui.

L’ «ancien monde » au contraire est inscrit dans une temporalité inachevée qui traverse le présent et qui perdurera dans un avenir durable. Il se confronte à un avenir incertain certes, mais possible. Il s’inscrit dans une mémoire du futur qui s’adapte aux contingences tout en restant figé aux institutions, codes et normes, d’antan. L’ancien monde est porteur de solutions à des problèmes qui n’existent plus ou du moins qui sont devenus autres. Le vieillissement de la population, en particulier dans les pays européens renforcera sans doute sa prégnance. Il est devenu un « ancien monde émergent ». Il serait cependant erroné de l’identifier à la population âgée. Ce sont des personnes de tout âge des jeunes comme des moins jeunes qui s’inscrivent dans cet « ancien monde émergent ».

Les différents « mondes émergents » sont en construction et en mise en œuvre depuis des décades. L’avenir seul nous dira quels sont ceux qui deviendront pérennes et dans des formes improbables que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui. De fait, nous sommes tous, devenu des hybrides ayant un pied dans l’ « ancien monde » et l’autre dans une ou plusieurs de ces émergences. C'est une hybridité singulière à géométrie très variable. Et cela nous empêche de nous comprendre. En quoi chacun de nous est-il nomade ou sédentaire face aux mutations sociétales auxquelles il se confronte ?

Il y a bien évidement la mutation numérique qui impose une fracture sociétale majeure, un impensé de ce que sera demain (à l’échelle de plusieurs générations). Elle est sans doute d’une ampleur équivalente si non plus importante que celle de l’imprimerie. Cependant on ne peut pas la considérer comme une seule mutation. L’utilisation des outils bureautiques, de l’internet ou des Smartphones différent en termes d’émergences et de nouveaux conditionnements cognitifs.(Dialogues autour du cerveau numérisé)

Les mutations familiales et religieuses en cours bouleversent de manières tout aussi fondamentales les usages et les mœurs de l’ancien monde. Les discours et débats en la matière restent beaucoup plus discrets et contraints par des tabous persistants. Les récentes évolutions en matière d’interruptions de grossesses, de fin de vie en dignité ou de mariage pour tous restent bien fragiles. Ces évolutions ne représentent que la partie visible de l’iceberg des transformations familiales, des familles recomposées et des pratiques religieuses et spirituelles non institutionnelles. La loi du sang reste toujours en confrontation tragique avec la loi de l’éducation.

Que garder du passé ? Que prendre du futur ? Ne pas prendre de provisions serait pure folie, ne pas tenir compte des multiples mutations en interactions seraient de même. Comment dans ce cadre penser la mutation politique à subir, à produire, à inventer, si nous désirons vivre ensemble pour le meilleurs. Quatre chemins semblent s’ouvrir à nous :

• La poursuite des logiques des confrontations radicales, des logiques de classes, des affrontements bipolaires du XX siècle puis maintenant tripolaires. Le troisième émerge de la peur du futur, de tous les futurs imaginés. Les sources se sont ancrées dans le monde ancien et perdurent dans l’ancien monde dans des structures militantes dévitalisées. (fort ancrage dans la culture de l’ancien monde français)
• la recherche d’un consensus global par une démocratie directe comme l’invite le mouvement « nuit debout » ou encore la dynamique colibri initiée par Pierre Rabhi dans le cadre de la pensée non violente, de la bienveillance et des partisans de la sociocratie. (ancrage dans la culture de l’ancien monde français et nord américain)
• La recherche de compromis adéquats à chaque contexte : démarche rarement utilisée en France mais bien implantée dans la pratique allemande et aussi au parlement européen (fort ancrage dans la culture de l’ancien monde nord européen mais absent du modèle français)
• La recherche de modes de gouvernances contextuels par niveau de complexité (du local à l’européen favorisant les compromis responsabilisant intégrant fortement le principe de subsidiarité au niveau des communautés de territoire comme au niveau des communautés de destins. Cette approche favorise le métissage culturel sur la pratique politique et citoyenne (connaître l’autre avant de négocier) sans trop forcer sur le principe d’intégration et de mixité sociale franco français : ex Toronto, Montréal). La démocratie reste un idéal mais doit être modulé dans son application opérationnelle pour développer sa résilience (ancrage dans la culture de l’ancien monde nord américain d’une part et mise en œuvre d’une démarche ago antagoniste de type « démocrature » : démocratie +dirigisme + agilité d'autre part )

Ces quatre pôles de gouvernance peuvent se combiner à chaque étage du mille-feuille organisationnel : Confrontation radicale - Consensus global - Compromis adéquats - Gouvernance contextuelle. Face à cette complexité de prise en compte, la société se développe et s’éduque entre deux grandes tendances : l’enseignement scientifique et l’éducation populaire. Les partisans de chacune de ces deux tendances se confrontent de manière radicale. Un tiers exclu pourrait dynamiser et hybrider ces deux logiques en incluant les perspectives multipolaires et dialogiques du penser agir en complexité. L’un des enjeux majeurs du développement de RERS thématiques aux différentes échelles de la communauté urbaine grenobloise serait de faire dialoguer ces trois approches éducatives.

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