Quelles sont les limites de la vulgarisation scientifique sur Youtube ? : Le cas Squeezie
Publié par Caroline G, le 3 avril 2020 4.1k
La vulgarisation scientifique est un enjeu capital de notre époque, elle permet la démocratisation des savoirs qui semblent inatteignables à une partie d’entre nous, c’est le “fait de diffuser au grand public des connaissances, des idées, des produits” scientifiques à un public non-expert. Cette forme de diffusion des connaissances scientifiques s’applique de manière différente selon le sujet abordé, mais aussi selon le public visé. En effet, un médiateur ne parlera pas des galaxies à un adulte ou à un enfant de 6 ans.
Aujourd'hui la vulgarisation scientifique est très présente sur le web et se manifeste sous différents formats comme par exemple à travers des blogs, des portails d’information éditorialisés, ou encore des YouTubers. Ces nouvelles pratiques permettent de diffuser et de mettre à disposition d’un très grand nombre de personnes des contenus scientifiques. La plateforme de partage de contenus Youtube, est un très bon moyen de communiquer de façon simple et claire sur des sujets complexes car, un échange avec la communauté est possible et elle est accessible à tous. La liberté d’expression de cet outil permet au professionnels des sciences comme aux amateurs de faire part des évolutions d’un domaine ou d’éclaircir certains sujets difficiles.
La plateforme YouTube est, pour une majorité de jeunes, une “nouvelle chaîne de télévision”. Ils peuvent consommer n'importe quel contenu de n’importe quelle chaîne sans interruption et surtout à n'importe quel moment de la journée. Les créateurs de contenus sur cette plateforme de vidéo sont appelés les Youtubers ou Youtubeuses. Suite à la montée de Youtube dans le monde de l’influence numérique, beaucoup de jeunes considèrent les Youtubers.euses comme des exemples ou encore des modèles à suivre.
En France le Youtuber le plus connu est Squeezie, qui a à son actif plus de 14 millions d'abonnés sur sa chaîne YouTube. Il propose différents contenus très riches et variés : de quoi plaire énormément à un public très large. Squeezie propose des formats assez courts, tournant autour de 10 minutes avec des sujets de tous types : activités manuelles, musiques, dessin, gaming, threads horreur ou encore théories du complot.... Il s'est même essayé à la vulgarisation scientifique sur différents sujet très connus comme les aliens ou encore les pyramides d'Égypte. La question qu’il faut cependant poser à propos de la vulgarisation scientifique sur Youtube est : les créateurs de contenus sur le web sont-ils assez compétents pour vulgariser des sujets scientifiques et prendre le risque de diffuser au grand public ?
Certes, de nombreux vulgarisateurs scientifiques partagent avec intelligence et savoir faire leurs connaissances afin d’informer le public, mais, comment se prémunir de youtubeurs qui diffusent des informations inexactes, non vérifiées ou des théories aberrantes. Comment être sûr de la justesse des propos que l’on entend et comment ne pas tomber dans la diffusion de fausses informations lorsque nous ne sommes pas des professionnels de la vulgarisation? C’est d’ailleurs l’erreur qu’a fait le Youtuber Squeezie dans sa vidéo “CES THEORIES VOUS FERONT TRANSPIRER” publiée sur Youtube le 30 décembre 2018. Dans cette vidéo, il explique la construction des trois pyramides de Gizeh, et relaie, sans les avoir vérifiées certaines hypothèses non scientifiques. En effet, le Youtuber a trouvé les informations qu’il diffuse dans sa vidéo dans un docu-fiction intitulé «La révélation des pyramides » (également visible sur Youtube, ce docu-fiction a environ 3 millions de vues au compteur). Ce docu-fiction est connu des scientifiques et vulgarisateurs pour fourmiller d’informations partielles, inexactes ou encore totalement fausses...toutes reprises et transmises au grand public, sans aucun avertissement, par le Youtuber. Squeezie, de son vrai nom Lucas, n’a pas cherché à vérifier les sources de ce fameux docu-fiction et a donc affirmé de fausses informations, s’attirant très rapidement la foudre de nombreux confrères Youtubers, vulgarisateurs scientifiques. C’est notamment, la vulgarisatrice en histoire et archéologie, Charlie Danger, de la chaîne Youtube “Les Revues du Monde” qui a été la première à lui répondre à travers une vidéo, elle aussi postée sur la plateforme, ”Réponse à Squeezie : A propos des pyramides....”. Dans celle-ci, elle souligne un premier exemple de fausse information qu’on peut retrouver dans la vidéo de Squeezie : ce dernier affirme avec passion que les pierres nécessaires à la construction de la pyramide de Khéops ont toutes été extraites à des centaines de kilomètres au Sud du site et ensuite transportées sur toute cette distance, alors que les Egyptiens ne connaissaient pas le système de roue. C’est ici que Charlie Danger affirme qu’il n’y a eu seulement que 130 blocs de pierres sur les 2 millions qui ont été acheminées depuis le site dont il est question, et ce par des bateaux traversant le Nil. La Youtubeuse-Vulgarisatrice rétablit donc les évidences scientifiquement prouvées à travers sa vidéo, et pointe du doigt la négligence de son confrère Squeezie en matière de vérification d’information. Certains clament la liberté d’expression pour soutenir le Youtuber, d’autres vont jusqu’à l’accuser de diffuser des “fake news”. Une semaine après la publication de ces critiques, Squeezie tweet ses excuses par rapport à la publication de sa vidéo : “J'ai négligé les théories scientifiques au profit des théories fantastiques et je n'aurais pas dû, j'en suis désolé ! Ça reste une vidéo type "théorie du complot" mais je m'y suis très mal pris. Je ne ferai plus cette erreur”, dit-il. Néanmoins, sa vidéo est aujourd’hui toujours disponible sur la plateforme Youtube et rassemble pas moins de 7,4 millions de vues contre seulement 2 millions pour celle de Charlie Danger.
Les Youtubers ont un impact et une influence considérable sur leurs communautés, souvent jeunes et c’est pourquoi, traiter de sujets scientifiques et techniques peut être très pertinent, mais cela les oblige également à être très vigilant sur la qualité de leurs sources . Cela peut permettre de partager avec les jeunes des informations auxquelles ils ne se seraient pas intéressés par eux mêmes. Cette proposition de contenu “éducatif” peut être bénéfique pour les abonnés qui viennent sur la chaîne pour se divertir, ils peuvent allier l’utile à l’agréable et faire passer des informations sans que les jeunes aient l’impression de s’instruire. Si l’intention semble bonne, parler de sciences en tant qu’amateur, peut donc s’avérer risqué. Il faut qu’ils aient conscience de l’impact que leurs paroles peut avoir sur les abonnés. Ils doivent donc préciser à l’auditoire d’où viennent les informations et s’ils sont sûrs ou non de leur exactitude afin qu’il n’y ai pas de méprise, car, les auditeurs auront tendance à se fier facilement à l’information. Ils doivent manipuler avec précaution et précision les thèmes importants et techniques qu’ils peuvent aborder afin de garder une certaine neutralité et ne pas influencer la communauté qui les suit.
La limite de cette initiative est que, les amateurs qui veulent partager du contenu spécifique dans un but informatif ou divertissant vont, souvent, même avec beaucoup de bonne volonté, avoir tendance à raccourcir, oublier des éléments essentiels et parfois dénaturer l’information ou, vont partager des informations inexactes ou non vérifiées. La source du problème est que le Youtuber a pu ne pas s’informer correctement, peut partager des éléments dont il n’est pas certain de la véracité. Ils doivent donc vérifier leurs sources afin d’exploiter du contenu pertinent à partager.
Squeezie illustre à merveille le fait que nous pouvons très vite être influencé par ce que nous voyons dans les médias ou sur internet, et si comme lui, le public consulte un sujet avec des explications qui nous surprennent, nous choquent, il souhaitera les partager. Parfois, si l’information nous est présentée de manière professionnelle, nous allons avoir envie d’y croire et de s’y fier mais, le danger des réseaux sociaux est l’absence de barrière entre amateur et professionnel : qui est le plus légitime à vulgariser tel ou tel sujet ? Pouvons nous être certain que le vulgarisateur utilise des sources fiables, ou un vulgaire docu-fiction détesté par la communauté scientifique ?
Il pourrait être pertinent pour ces Youtubers amateurs de rediriger leurs communautés vers des vidéos des chaînes qui proposent un contenu fiable proposé par des passionnés ou des professionnels du sujet. Ils peuvent également leur proposer des articles scientifiques sur le sujet afin de compléter leurs propos par des sources, inviter les jeunes abonnés à se renseigner d’avantage, à aller vérifier par eux mêmes ou à approfondir le sujet. Charlie Danger précise d’ailleurs, dans sa vidéo “réponse” à Squeezie, qu’elle aurait été ravie d’apporter des informations vérifiées au Youtuber avant la diffusion de sa vidéo. Ainsi, le partage d’information entre amateur et professionnel aurait évité la transmission de fausses idées.
Certes, certains font le travail à merveille et permettent de façon efficace le partage d’informations pour une compréhension collective de sujets complexes. Pour ne pas tomber dans le piège et afin de s’informer sur des sujets sérieux et compliqués, il faut veiller à ce que la personne que l’on écoute s’appuie sur des sources et des données fiables et vérifiées et, ne pas hésiter à consulter plusieurs chaînes ou articles sur ce même sujet car en ligne, il faut être vigilant : ne pas croire tout ce que l’on raconte, même si c’est votre Youtuber préféré qui l’affirme !
Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=mL-6oJC2tcg
https://www.youtube.com/watch?v=-8Q2OojFPK0
https://blog.okapi.fr/ca-buzze/fake-news-squeezie-et-les-pyramides-7223.html
https://www.telerama.fr/sortir/comment-vulgariser-la-science-sur-youtube,n6484150.php
Ecrit par : Mégane Actis, Caroline Gohory et Juliette Marthe