Prix de l’énergie, panorama des aides pour contrebalancer leur hausse inexorable
Publié par Encyclopédie Énergie, le 17 janvier 2023 1.5k
L’approvisionnement en énergie et son coût supporté par la société deviennent l’un des principaux éléments d’inquiétude des particuliers et des professionnels qui voient leurs charges énergétiques augmenter sans forcément pouvoir contrer cette tendance. Quels ont été les mécanismes mis en place pour affronter cette inflation énergétique galopante ? Quelle peut en être l’évolution ?
1) Rappels de la formation des prix de l’énergie
Les marchés de l’énergie sont complexes et les prix de l’énergie payés par les consommateurs ne sont pas les simples coûts de production de ces énergies, majorés par une rente à destination du producteur. Il existe différents contrats de plus ou moins long terme sont contractés entre producteur et consommateur pour une quantité et un prix d’énergie fixés, pour une livraison dans le futur (semaine, mois, année). Ils permettent de limiter les risques de la fluctuation future des cours et de prévoir, dans une certaine mesure, les coûts associés à la consommation d’une certaine quantité d’énergie sur une période donnée. Certains de ces contrats subissent d’autres effets liés aux marchés de produits financiers et à la spéculation, possible source de bulles spéculatives, de volatilité et de fluctuations des prix. Pour plus de précisions, nous nous référons au billet echosciences écrit il y a tout juste un peu plus d’un an : https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/prix-de-l-energie-une-hausse-inexorable.
2) Les évolutions en 2022
Entre mi-2021 et mi-2022, le prix spot moyen du baril du Brent est passé de 69€ à 112€, soit + 63 %, avec un pic à 123€ au mois de juin 2022, et le prix du gaz est passé de 25€/MWh à 97€/MWh en moyenne, soit + 290 %, mais avec des pics ponctuels bien plus élevés. Les tensions sur les marchés mondiaux sont apparues dans le sillage de la reprise après la récession due à l’épidémie de Covid-19 et ont été amplifiées par la guerre en Ukraine qui tend les marchés de gaz et pétrole du fait d’un approvisionnement russe bouleversé à partir du début de l’année 2022. La figure 2 ci-dessous montre l’évolution du prix de ces sources énergétiques jusqu’en octobre 2022, où nous voyons très bien la forte hausse en 2022 pour le gaz sur les marchés TTF (Europe) et au Japon du fait d’une demande en gaz naturel liquéfié (GNL) fortement en hausse.
Figure 2 : Evolution du prix moyen annuel du pétrole Brent et du gaz sur les principaux marchés internationaux, exprimé en $/MBtu, source © Cédigaz - Natural Gas In The World – 2022 Edition
La hausse des prix de l’énergie implique, de façon directe, une hausse des prix des produits énergétiques, c’est-à-dire gaz, électricité et produits pétroliers, qui représentent un poste de dépense important pour les ménages français, avec 8,9 % en moyenne de leurs dépenses de consommation. On rappelle que la précarité énergétique est définie lorsque 10% de nos revenus ou plus sont consacrés à nos dépenses énergétiques pour le logement et le transport. Ainsi, automatiquement, cette hausse conséquente et brusque des prix de l’énergie va entraîner une proportion plus large de la population dans cette précarité car ces hausses impactent de façon très hétérogène les ménages.
3) Hausse des prix de l’énergie et inflation généralisée
Plus que la hausse des prix de l’énergie, la population subit une hausse du coût de la vie, aussi appelée inflation. Selon les dernières estimations de l’INSEE, elle s’élève à 5.2% pour 2022 en France (principalement dû au prix de l’énergie et de l’alimentation) et est prévue de s’élever à 7% pour début 2023, notamment via un léger relâchement concernant les aides de l’Etat (cf partie suivante).
La hausse des prix de l’énergie exerce un double effet sur l’inflation, l’un direct sur les produits énergétiques mentionné précédemment, et l’autre sur les biens de consommation. Comme l’illustre la figure 3 ci-dessous, une hausse des coûts de l’énergie induit de facto une hausse d’autres coûts.
Figure 3 : Transmission du renchérissement de l’énergie dans l’économie, source © INSEE
Plus que le prix des biens et services comme les carburants, l’électricité ou le chauffage, cette hausse des prix augmente également les coûts des matières premières des entreprises, et sur toute les chaînes de production de biens et services. En définitive, l’ensemble du panier de consommation des ménages devient plus cher, ce qui affecte d’autant plus les bas revenus dans leurs dépenses quotidiennes. Des mesures de soutien sont donc nécessaires pour éviter qu’un grand nombre de ménages ne tombe dans la pauvreté et la précarité.
4) Les dispositifs d’aides pour baisser la facture énergétique des consommateurs
Cette très forte hausse des prix, subite et subie, représente une charge croissante et parfois insurmontable pour les ménages, entreprises et collectivités. Ainsi, des aides ont été proposées par l’Etat en 2022 :
- A destination des ménages
- Mis en place à la fin de l’année 2021, le bouclier tarifaire a permis de plafonner la hausse des factures d'électricité en 2022. Il sera prolongé ensuite avec une hausse maximale du prix fixée à 15 % pour l'électricité à compter de février 2023. Concrètement, l’Etat limite la hausse des Tarifs réglementés de vente (TRV) à une augmentation bien plus faible que la hausse réelle des prix de marché. Concernant le gaz, ils ont été gelés en 2022 après une forte hausse en 2021. Mais, ils ont augmenté de 15 % à compter de janvier 2023, ce qui reste bien en dessous d’une hausse réelle sur les marchés. En effet, si les barèmes de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avaient été appliqués, le niveau moyen des tarifs réglementés du gaz au 1er décembre 2022 aurait été supérieur de 122% par rapport au niveau en vigueur au 1er octobre 2021 et de plus de 30%concernant l'électricité. La figure 4 ci-dessous montre le rôle du bouclier tarifaire dans le cas des TRV du gaz en France.
- Pour les ménages modestes, il y a eu un envoi d’un chèque énergie exceptionnel fin 2021. D’un montant de 100 euros, 5,8 millions de ménages ont bénéficié de cette aide. Ceci vient en plus de l’indemnité inflation défiscalisée de 100 euros versée à 38 millions de Français entre décembre 2021 et février 2022 pour compenser la hausse généralisée des prix. Pour cette fin d’année 2022, ce dispositif a été reconduit et élargi où 12 millions de ménages, soit les 40 % des foyers les plus modestes, ont reçu un chèque de 100 € ou 200€, selon leurs revenus, à compter de décembre 2022 (mais pas pour l’indemnité inflation). Il est complété par un chèque exceptionnel opération fioul ou bois.
Figure 4 : Rôle du bouclier tarifaire dans la hausse du prix du gaz. Base 100 en 2019, source © Selectra
- Une subvention à la pompe est entrée en vigueur en septembre 2022 à hauteur de 30cts€/L jusqu’à mi-novembre, puis 10cts€/L jusqu’à la fin 2022[1]. Elle sera remplacée en janvier et février 2023 par un chèque carburant pour les plus modestes de 100 euros de remise sur le carburant via le site des impôts. Cette indemnité concerne 50% des foyers les plus modestes, soit environ 10 millions de Français et sera versée en une fois pour l'année 2023. Cette aide s'applique à tout type de véhicule, y compris les deux-roues à moteur et les voitures sans permis (les vélos et trottinettes électriques sont exclus).
- A destination des entreprises
- Toutes les entreprises bénéficient de la baisse de la fiscalité sur l’électricité (TICFE) à son minimum légal européen et du mécanisme d’ARENH (un total de 120TWh au prix garanti de 48€/MWh).
- Le bouclier tarifaire pour les TPE, avec, pour les entreprises de moins de 10 salariés, deux millions d’euros de chiffre d’affaires et ayant un compteur électrique d’une puissance inférieure à 36 kVA, une éligibilité au bouclier tarifaire des particuliers. Pour en bénéficier, l’entreprise doit se rapprocher de leur fournisseur d’énergie et ce plafond permet d’éviter une augmentation de 120 % des factures d’énergie pour ces TPE concernées.
- Un guichet d’aide au paiement des factures d’électricité et de gaz jusqu’à 4 millions d’euros. Il y a des conditions sur le niveau d’augmentation des prix de l’énergie (le prix de l’énergie pendant la période de demande d’aide (un ou plusieurs mois) doit avoir augmenté de 50 % par rapport au prix moyen payé en 2021 et les dépenses d’énergie de l’entreprise pendant la période de demande d’aide doivent représenter plus de 3% de son chiffre d’affaires 2021 sur cette période) et le niveau d’aide accordé par l’Etat qui correspond à 50 % de l‘écart entre la facture 2021 majorée de 50 % et la facture 2022, dans la limite de 70 % de la consommation 2021. Pour les entreprises avec plus de dépenses d’énergie et en difficulté, une aide renforcée peut être allouée.
Conclusion
Nous l’avons vu, les prix de l’énergie sont en forte hausse depuis plus d’un an, dans un contexte de forte inflation sur tous les pans de la société. Des mécanismes sont donc mis en place pour aider le maximum de personnes pour palier à ces augmentations et ces charges supplémentaires qui pèsent sur la vie de la société.
Néanmoins, ce signal prix est malgré tout nécessaire pour consommer moins et se passer progressivement des énergies fossiles, que ce soit tiré par une taxation carbone ou une hausse conjoncturelle associé à d’autres causes. L’amélioration de l’efficacité énergétique des secteurs de consommation est aussi importante pour consommer moins (et donc payer moins) pour un même service énergétique, de même que la sobriété énergétique avec les changements d’habitudes vertueuses.
L’enjeu est donc de concilier justice climatique et justice sociale pour que les plus démunis ne soient pas les perdants de ce changement nécessaire de modèle de consommation.
Gabin MANTULET, co-responsable éditorial de l’Encyclopédie de l’Energie, A3E
Pour aller plus loin :
Annexe : détail des prix de l’énergie
- Pour le cas de l’électricité, la partie « énergie » correspond à la quantité d’électricité consommée, soit à un coût unitaire du kilowattheure, qui dépend lui-même de l’offre souscrite dans le contrat (tarif règlementé ou non, option base ou heure creuses/heures pleines, entre autres). En plus de cette partie production, le prix final englobe les coûts du réseau électrique, via le TURPE (Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Électricité). On considère ce coût comme la partie « abonnement », « acheminement » ou « puissance » du tarif de l’électricité, celui-ci étant dépendant de la puissance maximale allouée à un consommateur.
- Ces totaux intermédiaires sont soumis aux taxes comme la Taxe Intérieure de Consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la Taxe Intérieure de Consommation sur le gaz naturel (TICGN) ou de la Taxe Intérieure sur les houilles, lignites et cokes (TICC) pour les produits à base de ressource fossile, la Taxe Communale sur la Consommation Finale d'électricité (TCCFE), la Contribution Tarifaire d'Acheminement (CTA), partie fixe du (TURPE), ou la contribution au service public de l’électricité (CSPE) pour l’électricité (regroupées dans la contribution de la Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Électricité (TICFE)). Peu impactante en France grâce à son mix décarboné, la taxe carbone peut aussi jouer sur le prix.
Ce total avec taxes est enfin soumis à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à un taux de 5,5% sur le total abonnement + CTA et à un taux de 20% sur le total consommation (coût marginal de production) + TCCFE + CSPE.
La figure ci-dessous résume cette décomposition de manière simplifiée avec une estimation des parts de chacune des contributions au prix.
Figure : Décomposition du prix de l’électricité en France, source © Dualsun 2019
Prix de l’énergie, une hausse inexorable ? | ECHOSCIENCES - Grenoble
Les besoins d'énergie - Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
Sources :
Taxe électricité : les taxes et contributions en 2023, https://www.fournisseurs-electricite.com/guides/taxes/electricite
Gouvernement français, « Hausse des prix de l’énergie : renforcement des dispositifs d’aides aux entreprises », 19/11/2022, https://www.economie.gouv.fr/hausse-prix-energie-renforcement-dispositifs-aides-entreprises#
Gouvernement français, « Hausse des prix de l’énergie : les dispositifs d’aide aux entreprises », 08/12/2022, https://www.economie.gouv.fr/hausse-prix-energie-dispositifs-aide-entreprises
Alexandre Bourgeois, Raphaël Lafrogne-Joussier (Insee), « La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le « bouclier tarifaire » https://www.insee.fr/fr/statistiques/6524161
Le monde, l’inflation a atteint 5,2 % en moyenne en 2022 en France, annonce l’Insee, 13/01/2023 https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/13/l-inflation-a-atteint-5-2-en-moyenne-en-2022-en-france-annonce-l-insee_6157692_3234.html#:~:text=%C3%89conomie%20fran%C3%A7aise%20L%E2%80%99inflation%20a%20atteint%205%2C2%20%25%20en,%25%20en%20d%C3%A9cembre%2C%20par%20rapport%20%C3%A0%20d%C3%A9cembre%202021.
Gouvernement français, Chèque énergie, https://chequeenergie.gouv.fr/
Source Figure 1 : Prix de l’énergie en hausse, solution rudimentaire pour l'hiver (be-energiz.com)
[1]Elle a été complétée par une aide équivalente d’un opérateur (TotalEnergies) sur ces 2 mêmes périodes de 20cts€/L et 10cts€/L. Entre parenthèses, cela a conduit à des différences de tarifs très importantes entre stations TotalEnergies et hors TotalEnergies, ce qui a conduit à une saturation des pompes TotalEnergies, ainsi qu’à des pénuries. Etait-ce le meilleur complément d’aide à proposer de la part d’un acteur privé, pour radoucir son image publique écornée par les superprofits de ses dirigeants et par le prolongement de ses business liés aux énergies fossiles ?