Présidentielles et sondages Twitter : la grande esbroufe ?
Publié par Yannick Chatelain, le 8 avril 2022 920
Si un procès devait être fait, il ciblerait plutôt la façon dont les politiques, en France comme ailleurs, se sont emparé de Twitter pour agir et réagir en un nombre de signes réduits.
Yannick Chatelain: Professeur Associé Digital / IT, Responsable de GEMinsights Grenoble École de Management (GEM) Publié le 7 avril 2022 sur Contrepoints
Parmi les problématiques les plus prégnantes de nos démocraties figure indéniablement la décrédibilisation de la parole publique, qui contribue – à son échelle – à la dégradation du respect par certains de l’autorité publique et plus largement aux respects des figures d’autorité. Ce ne sont pas les réseaux sociaux, pas plus qu’Internet, qui en sont les responsables. Il ne s’agit pas de faire de faux procès à des outils qui ne sont ni coupables ni responsables du dévoiement dont ils font l’objet.
Si un procès devait être fait, il ciblerait plutôt la façon dont les politiques, en France comme ailleurs, s’en sont emparés pour agir et réagir en un nombre de signes réduits (si nous observons twitter) pour occuper à toute occasion le terrain du cyberespace. Pour ce qui concerne Twitter, l’important pour le politique étant, semble-t-il, l’immédiateté de la réaction pour exister fut-ce au détriment de sa crédibilité.
Nos politiciens de par le monde sont désormais pris à un piège inextricable qu’ils ont eux-mêmes bâti faute de s’être donnés – au plus tôt – des règles communes d’usage parcimonieux et pondéré des réseaux sociaux. Une charte d’usage aurait pu redorer leur blason et plus important encore redonner de la puissance et de la valeur à la parole publique. Si certains ont dû y songer, aucun ne semble se rappeler que pour avoir de la puissance et de la hauteur, la parole publique pour vocation première d’être sacralisée.
À observer les usages que nos politiciens en font, force est de constater qu’à ce jour nul n’a encore intégré qu’à l’évidence non, « on ne gouverne pas avec twitter » ; non, « on ne fait pas de la diplomatie avec twitter » ; non, « on ne se grandit pas en insultant un adversaire via twitter » etc. Cela semble relever du simple bon sens… mais le bon sens a été oublié depuis longtemps par les politiciens du monde entier…
Pour ce qui concerne Twitter, désormais, au moindre fait divers, à la moindre déclaration d’un de leurs pairs nationaux ou internationaux, il leur faut s’offusquer, condamner, applaudir, directement ou par le biais de leur community manager pour donner à voir à leurs suiveurs (dès lors qu’ils sont vrais, ce qui est un autre débat) leur réactivité, et si possible, l’outrance de leur réaction… faire le buzz… voire espérer un article ou, mieux encore, une Une ! Nonobstant l’affaiblissement de la parole publique que je souligne inhérente à un usage parfois inapproprié, cette approche des réseaux de la plupart de nos politiciens se révèle bien souvent pour le moins paradoxale.
Nous ne pouvons que constater que ces derniers qui sont à l’unisson vent debout pour lutter contre la cyber haine ne sont pas avares de TweetClash médiatisable… Si l’exemple selon l’adage vient du haut, le haut a encore de grandes marges de progrès. Toutefois, quelle que soit la qualité ou non de leurs interventions, cette omniprésence de nos politiques sur Twitter n’est pas sans arrière-pensée. (Cf Twitter, sondage et opinion publique : deux écoles de pensées) Lien vers la source ?
Les réseaux sociaux alpha et oméga de l’opinion publique ?
Depuis les dernières élections présidentielles, concomitamment à cet usage des réseaux sociaux et plus particulièrement de Twitter nous pouvons facilement avoir tendance à croire que les réseaux sociaux sont l’alpha et l’oméga du débat public ! Aux côtés de nos politiques aux tweets pour le moins décomplexés se tiennent les médias qui posent régulièrement des questions aux twittos.
L’univers médiatique n’hésite pas à faire ici et là des sondages twitter en temps réel pour toutes sortes de questions de société. Ils le font et le feront également pour les présidentielles, sans sembler mesurer un seul instant l’absurdité et le non-sens des résultats qui remontent, alors quasiment exhibés comme la vérité vraie, le reflet de la pensée ou de la tendance dominante… Les médias agissent donc comme si l’ensemble des Français était sur Twitter et que les questionnements ou les sondages qu’ils initient pouvaient faire sens… que dire ? Qu’en penser ?
Questionnements sociétaux et vraies gens : un gap !
Certes cette approche de sondage twitter crée du lien et de l’engagement avec un certain nombre de leurs auditeurs ou téléspectateurs qui sont sur les réseaux sociaux. Pour autant, les vrais gens ne sont pas tous sur Twitter, tant s’en faut.
Quelle est alors la pertinence de ce qui émerge des questionnements sociétaux ou autres sondages que les médias persistent à réaliser via les réseaux comme Twitter ?
Quelle en est la valeur dans la mesure où ces nouveaux concurrents aux instituts de sondages font fi des procédures d’échantillonnage, ne peuvent situer socialement la population qui y participe, et ne peuvent mesurer leur représentativité ?
Pour appuyer mon propos, selon les derniers chiffres de Médiamétrie de décembre 2021, Twitter pointe à la 42e place du top 50 des sites les plus visités en France, avec 16,119 millions d’utilisateurs mensuels (MAU) et 5,191 millions d’utilisateurs par jour (DAU). <Par ailleurs, Twitter superforme sur les CSP+ avec un cœur de cible 25-49 ans. Et entre autres biais, s’il fallait en énoncer un autre en 2021, 66,5% des utilisateurs de Twitter en France étaient des hommes, 33,5% des femmes. Et nous pourrions continuer à lister de nombreux autres biais rendant, de mon point de vue, les résultats de toute forme de questionnements sociétaux dénuée de sens. Aussi, tirer des plans sur la comète de résultats – quels qu’ils soient – suite à un questionnement sur Twitter, comme par exemple les intentions de vote à l’occasion de ces présidentielles puis le relayer dans les médias de masse comme une tendance crédible, ne fait de mon point de vue pas sens, tout en ayant un impact, comme tout sondage effectué dans les règles de l’art.
Twitter, sondage et opinion publique : deux écoles de pensées
Par-delà mon sentiment, par probité intellectuelle, il m’appartient de souligner que dans le champ académique la croyance dans la capacité à mesurer l’opinion publique sur Twitter trouve un écho : plusieurs travaux ont ainsi avancé l’idée selon laquelle l’observation de Twitter serait un indicateur prédictif de futurs résultats électoraux (O’Connor et al., 2010 ; Tumasjan et al., 2010 ; Jungherr, Jürgens, Schoen, 2011). Ainsi, selon Andranik Tumasjan (2010), il existerait ainsi une corrélation positive entre le nombre de tweets évoquant les candidats et les partis ayant concouru aux élections législatives allemandes de 2009 et leurs résultats électoraux effectifs : selon ces travaux, plus un candidat ou un parti serait cité sur Twitter, plus il aurait de chances de remporter l’élection.
Cette croyance est partagée par le Service d’Information du Gouvernement (SIG), qui s’est doté d’un logiciel de veille stratégique mis au point par Visibrain. Il s’agit d’un logiciel mouchard qui passe au crible tous les tweets convaincu que ce site de miccroblogging est un observatoire pertinent de l’opinion publique. (Dussueil, 2012)… C’est cependant une école de pensée qui ne fait pas l’unanimité : comme le démontrait et l’expliquait Julien Boyadjian en 2014 alors qu’il investiguait sur « Twitter comme nouveau baromètre de l’opinion publique » dans Participations 2014/1 (N° 8), pages 55 à 74 : « Twitter n’est ni un échantillon représentatif de la population ni, dans le cas français, un espace prédictif des futurs résultats électoraux ».
Au regard des éléments qui sont proposés dans cet article, je laisse le soin à chacun de se forger une opinion, pour choisir en connaissance l’école de pensée qui lui apparait comme la plus réaliste. Vous aurez compris au travers de mon propos que j’ai choisi la mienne.
« L’opinion publique est souvent une force politique, et cette force n’est prévue par aucune Constitution. » Alfred Sauvy
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