Présentation d’une vidéo sur "Le tournant moralisateur dans l’art" : le point de vue de l’artiste.

Publié par Xavier Hiron, le 2 octobre 2021   1.2k

Présentation critique en douze points d’une conférence donnée par Carole Talon-Hugon, d’une grande acuité intellectuelle L’art aujourd’hui : le tournant moralisateur :

-1/ puisque nous en sommes à nous interroger (voir ma série Observe-t-on une crise de la morale capitaliste ?) sur le caractère moral ou pas de notre société, je signale la vidéo ci-dessus qui aura peut-être échappé à la vigilance d’un certain nombre d’entre vous, et qui pose l’épineuse question actuelle d’un tournant moralisateur dans l’art ;

-2/ le discours de l’intervenante paraît légitime et conforme aux observations que nous livre notre société : oui, l’art n’échappe pas complètement au spectre de la vision morale ; mais oui, il devient extrêmement délicat de déterminer a priori comment les critères, dans ce domaine, peuvent et doivent être manipulés ;

-3/ il faut signaler d’emblée que la question se pose avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui que l’art n’échappe pas (pourquoi le ferait-il ?) au spectre déformant des réseaux sociaux, qui donnent la parole et amplifient les discours des groupements quels qu’ils soient, fussent-ils minoritaires ; donc une question préalable à poser serait de connaître la véritable représentativité des critiques « au cas par cas », comme l’énonce si bien Carole Talon-Hugon ;

-4/ ne pas négliger non plus que l’histoire montre que les sociétés sont tiraillées par des effets de balancier continuels, des effets de masse et d’opinion qui excluent de la surface le travail, exercé en profondeur, de « l’objectivité rationnelle » ; ce qu’anciennement établissait la « renommée » d’une œuvre ;

-5/ directement issue de ce contexte, il est bon de noter que l’intolérance intercommunautaire n’a jamais été aussi exacerbée qu’aujourd’hui : une question subsidiaire serait donc de savoir jusqu’à quel point ouvrir la porte aux critiques légitimes ne favoriserait pas l’essor des critiques outrancières ? Une acceptation un peu facile et naïve ne devrait pas pouvoir cautionner toutes les démarches, voire les favoriser, ce qui aurait pour effet de rendre le débat d’idées ingérable ;

-6/ ne pas méconnaître que par le passé déjà les jugements d’incompréhension sur la nature illégitime de l’art ont toujours eu cours, émanant de ceux qui n’étaient pas en mesure de s’impliquer intellectuellement dans une démarche artistique, ce qui formait la majorité qu’on appelait « silencieuse », car n’ayant pas accès à la caisse de résonnance médiatique actuelle ;

-7/ une fois encore, la question serait donc d’appréhender la profondeur et la complexité sociale du phénomène, en se demandant par exemple à quoi l’art provocateur du XIXè siècle s’était-il opposé ? Clairement, à l’émergence d’une société bourgeoise, non pas simplement parce qu’elle était partisane, mais surtout parce qu’elle était inégalitaire et profondément injuste ; et, partant, parce que les valeurs parfois hypocrites que véhiculait cette société particulière, qui a d’ailleurs elle-même produit ses propres codes artistiques qui eurent droit de citer, ne satisfaisaient pas l’émergence d’un terreau jugé socialement humaniste ;

-8/ et à quoi l’art du XXè siècle s’était-il pour, sa part, confronté ? en grande partie aux exagérations d’un système socio-économique d’abord en crise (via les deux conflits mondiaux), puis ayant débouché sur les trente glorieuses et sa cohorte de comportements de plus en plus permissifs ; or la conséquence principale de ce mouvement général a été la commercialisation et le merchandising à outrance, et l’art, dans ce contexte, devenant essentiellement un pur produit, a lui-même souvent cherché à exploiter ce qui était le plus immédiatement vendable, à savoir la provocation pour la provocation ;

-9/ il est donc bon de retenir que l’art a aussi été le reflet de ces dysfonctionnements sociaux ou l’expression de diverses condamnations larvées, par l’exemple, et que tout jugement esthétique devrait prioritairement être remis dans son contexte de production ; c’est d’ailleurs le rôle des critiques d’art, mais leur discours a souvent présenté la fâcheuse tendance à abuser de leur position dominante sous la caution du prétexte facile : « de tout façon, vous n’y comprendrez rien » ; ce qui a eu pour effet de rajouter à la confusion ;

-10/ il faudrait aussi pouvoir considérer la question selon l’intimité du créateur, ce qui n’équivaut pas à la considérer d’un œil extérieur public : où se situerait la primauté du regard, et selon quels critères ou justifications un jugement peut-il s’appliquer ? Or le créateur étant avant tout un réceptacle, il exprime (tout art étant un langage) le fond des âmes en général, et pas spécialement (ou uniquement) la sienne ; il est donc amené à exprimer des choses perçues telles qu’elles existent au monde, sans prendre parfois la peine de les exprimer sous le filtre du jugement personnel (ou d’une morale mal ou non définie) ; ainsi de Baudelaire, qui a plus dépeint une société et anticipé ses possibles évolutions de mœurs, plutôt que réalisé une apologie du vice pour le vice ; de là la richesse et la complexité subtile qu’évoque Carole Talon-Hugon ;

-11/ par cette richesse (l’artiste est par nature un défricheur) s’entend un enseignement potentiel qui se partage par la mise à disposition d’éléments ressentis, susceptibles de faire progresser l’entendement de tel ou tel récepteur : ce qui a pour conséquence d’exposer l’artiste par fonction au feu continu de la critique ; mais il est vrai de dire qu'il doit subsister un effet normatif attendu, véhiculé par le biais d’une émotion esthétique avérée, possiblement porteuse d’une aspiration morale ;

-12/ au final, il faudrait retenir que les terreaux culturels des individus n’étant jamais identiques, mais qui plus est mouvants, il peut rapidement devenir délicat et inextricable de démêler a priori ce qui est de l’ordre de la critique (c’est-à-dire de l’argumentaire, qu’il soit fondé ou infondé, d’ailleurs) de celui de la simple intolérance… situation que, justement, les artistes ont de tout temps cherché à dénoncer !