Pourquoi le cerveau aime tant la pensée magique
Publié par Laurent Vercueil, le 29 mai 2016 4.4k
L'empressement avec lequel la presse a accueilli la fumeuse histoire (1) de la cité Maya découverte d'après la disposition des constellations stellaires, nous rappelle au moins une chose : notre cerveau s'en fiche de la science, ce qu'il bade, c'est la pensée magique.
Reconnaissons-le, il y a en général assez peu de fascination pour le laborieux travail du scientifique qui doute, qui cherche, qui trouve et qui doute à nouveau. Ce dont le cerveau est friand, c'est du sens à l'état brut, de l'éclairage éblouissant, de la révélation incarnée, bref, tout ce que la pensée magique peut fournir, à moindre frais (intellectuel, au moins...). Le scepticisme, le sens critique, la recherche d'une information vérifiable, très peu pour lui, ce n'est pas sa pente naturelle.
Le cerveau est prompt à s'enthousiasmer pour une idée simple. Pour peu qu'elle s'accorde avec quelques principes élémentaires, qui arment la pensée d'une logique simpliste, facile à duper :
- Lorsque deux événements se succèdent, le premier est la cause du second
- Si deux phénomènes connaissent des variations qui sont corrélées, c'est qu'il existe une relation entre eux
- Si une histoire est racontée par une personne à laquelle j'accorde du crédit, elle doit être vraie
- Si une histoire me plait, elle doit être vraie.
Bien armé de ces présupposés, et de quelques autres (la lumière vient du haut, une forme qui comprend trois traits horizontaux dont deux sont au dessus du troisième est un visage, etc.), notre cerveau est prompt à accepter les données qui l'arrangent. Une experte archéologue, Marie Charlotte Arnauld, sollicitée par une télévision pour réagir à la "découverte", souhaitait, le jour même, remettre les pendules à l'heure : l'hypothèse même ne tenait pas la route. Mais, pressée par les journalistes de ne pas exprimer ses réserves, son expertise n'avait même pas été retenue : il leur fallait aller dans le sens de leur sujet (2).
Bien sûr, le discours scientifique n'est pas tout. Il y a de nombreuses autres façons d'aborder, de comprendre ou de décrire le monde, qui sont tout aussi valables, même si elles ne sont pas scientifiques (le seul avantage que confère cette dernière approche est qu'elle permet, avec plus de chance de ne pas se tromper, de prédire ce qui va se produire). Dans son ouvrage "Le chant du Kraken"(3), Pierre Pigot rappelle comment, chez Jules Verne, le discours émergent de la science veut accaparer la totalité du réel, y compris son versant le plus obscur et secret (le Kraken). Je cite Pigot citant Verne: ""Pour mon compte, je suis bien décidé à n'admettre l'existence de ces monstres que lorsque je les aurai disséqués de ma propre main" ainsi s'exprime, par la voix d'Arronax, l'arrogance de l'Homo occidentalus parfait, tel que le XIXème siècle l'élaborait avec une patience de distilleur dans les alambics de ces décennies, et qui ne sort jamais sans avoir, à l'arrière plan de son esprit, une table de dissection où étaler les objets sur les quels il a pu exercer sa maîtrise (...) ce que René Guénon a caractérisé comme la "haine du secret" rongeant l'homme moderne de l'intérieur. Et le corollaire de l'avidité de maitrise, c'est le déferlement du savoir" (p89). La science, inévitablement, a ce côté un peu décevant de remettre les choses à leur place. Mais beaucoup de ce qu'elle peut découvrir du fonctionnement de la nature, ou du cerveau, peut tout aussi bien être qualifié de merveilleux, non ?
Le discours scientifique et les autres formes de récits ne sont pas en opposition. Il y a un savoir dans tout récit, qui ne nous éclaire pas nécessairement sur ce que nous sommes ou ce que nous pouvons connaitre du monde. D'ailleurs, ce que nous devrions faire relève davantage de l'éthique ou de la politique que de la science. Le scientifique se montre utile pour anticiper l'avenir et nous aider à prendre les décisions qui s'imposent aujourd'hui. On peut trouver poétique l'idée de cités dressées selon un plan trouvé dans les constellations, mais il faut se garder de faire passer ça pour de la science. La confusion des genres n'a jamais aidé la vérité. A l'heure où notre monde est en quête de transparence, il faudrait être attentif à préciser l'origine des discours tenus sur la place publique.
>> Notes :
- L'histoire est bien racontée ici : Cité maya : déroute du journalisme scientifique, par Daniel Schneidermann
- Marie Charlotte Arnaud commente ce fait médiatique dans l'émission "La tête au carré" du 12 Mai dernier (à partir de 3'48" de l'émission)
- Pierre Pigot. "Le chant du Kraken" PUF 2015