[PORTRAIT] Alexis Lamothe, le détective qui n’a pas peur du froid !
Publié par Sandy Aupetit, le 23 mars 2021 2.4k
Alexis Lamothe, doctorant de 23 ans, nous raconte avec enthousiasme et bienveillance le parcours qui l’a mené à l’étude d’une carotte de glace de 127 mètres dans le cadre de sa première année de thèse au sein de l’Institut des Géosciences de l’Environnement. Tel un détective, il nous éclaire sur les méthodes qui lui permettent de remonter aux sources polluantes qui ont, ou qui ont eu un impact sur le climat européen.
Un intérêt inattendu pour la chimie
Originaire de Toulouse et diplômé d’un baccalauréat scientifique, Alexis Lamothe développe son goût pour la chimie alors qu’il suit un cursus Physique-Chimie et Sciences de l’ingénieur (PCSI) en classe préparatoire. Souhaitant s’orienter initialement dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, il est finalement séduit par la magie des molécules et des réactions chimiques lors de sa participation aux Olympiades de chimie ! Après avoir passé les concours d’admission aux écoles d’ingénieurs, il décide alors d’intégrer l’École nationale supérieure de chimie (ENSC) de Montpellier.
Vers une chimie plus verte
Engagé dans de multiples activités associatives au sein de son école, Alexis développe en parallèle un intérêt grandissant pour la protection de l’environnement. Il participe notamment à des opérations de ramassage des déchets ou encore à des conférences, ce qui alimente ses convictions et son désir de contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique. Il remet en question sa spécialité, la chimie organique, qu’il considère comme étant peu écologique bien qu’essentielle. C’est en effectuant des stages, notamment aux Etats-Unis dans la ville de Louisville, qu’il commence peu à peu à se diriger vers une chimie verte plus respectueuse de l’environnement. Sa soif de curiosité le pousse à envisager de prolonger ses études, en préparant une thèse.
Pour Alexis, la recherche est l’un des rares endroits où il est possible d’apprendre tous les jours quelque chose de nouveau sur un sujet précis. Lors de sa dernière année d’école d’ingénieur – pendant le premier confinement - il se renseigne sur le portail web Adum qui regroupe l’ensemble des offres de thèses ministérielles. Il tombe par chance sur une offre à Grenoble alliant ses deux passions, la chimie et l’environnement, avec un sujet portant sur l’étude d’une carotte de glace de 127 mètres provenant du col du Dôme, dans le massif du Mont Blanc. Il décide de tenter sa chance, et est retenu !
Engagé sur une durée de trois ans à l'Institut des Géosciences de l'Environnement (IGE), le travail d’Alexis consiste à étudier l’impact de l’homme sur le climat européen, en analysant la composition moléculaire d’une carotte de glace. Une partie de son travail s’effectue en chambre froide, pour préparer et analyser des échantillons de glace, qui pour certains datent d’il y a plus de cent ans.
La glace : le témoin des climats passés
Le titre officiel de la thèse d’Alexis est : « Reconstruction des sources de pollution sur le dernier siècle en Europe : analyse isotopique du soufre, de l’azote et l'oxygène contenu dans la carotte de glace ice memory du col du dôme ». Derrière ce nom fastidieux se cache tout un procédé d’analyse des climats européens passés, et de traçage d’événements à forte répercussion environnementale. Un jeu de détective auquel se prête avec engouement le doctorant. « La neige à la particularité de capter et retenir les éléments chimiques dispersés dans l’air à un temps donné et de les accumuler au fur et à mesure qu’elle s’accumule en couches au sol », nous explique Alexis. « De cette façon, la glace agit comme un disque dur dont on peut prélever 1 an de données pour 1 à 2 mètres de glace. Les carottes de glace du Col du Dôme sur lesquelles j’ai la chance de travailler me permettent de connaître le climat d’il y a 100 ans en Europe ! ».
Au cours de sa thèse, Alexis va s’intéresser plus précisément aux molécules de sulfate (SO42-), nitrate (NO3-) et ammonium (NH4+). Son objectif est de réaliser une analyse isotopique, qui lui permettra de remonter aux mécanismes d'oxydation de ces molécules et aux sources de pollution. Au quotidien, nous émettons des polluants dits primaires, monoxyde de carbone, oxydes de soufre ou d’azote, dont l’impact sur l’homme et les écosystèmes peut être décuplé une fois dans l’atmosphère. Ces polluants vont en effet réagir avec d’autres molécules, et notamment être oxydés par l’ozone (O3) et les radicaux hydroxyles (HO°) pour former des polluants dits secondaires dont les effets peuvent être ravageurs (phénomènes de pluie acide, eutrophisation des rivières etc). Mesurer les rapports isotopiques en oxygène permet de trouver les voies d’oxydation, et ainsi de remonter aux polluants primaires pour identifier leur source.
Prenons un cas concret : vous avez un problème d’eutrophisation de vos rivières. Vous voulez savoir quelle est l’origine du nitrate responsable. Avec l’étude isotopique, vous allez pouvoir dire que c’est en partie dû à l’utilisation d’engrais au printemps et en été, et aux usines en automne et en hiver (c’est un exemple). On pourra alors adapter les politiques de limitations à ces secteurs en fonction de la saison
Le projet IceMemory
Le travail d’Alexis est directement lié au projet IceMemory, une initiative de sauvegarde et de préservation des données contenues dans la glace pour les générations futures, portée par la Fondation Université Grenoble Alpes. L’avenir des glaciers étant aujourd’hui mis en péril par le réchauffement climatique, l’accès à ces données n’est plus garanti aux générations futures : « aujourd’hui la fonte des glaces vient compromettre la fiabilité et la véracité des informations et nous souhaitons garder possible l’accès à ces données aux générations futures et ce même quand il sera trop tard ! ». Dans le cadre de ce projet, 3 carottes de glace ont été prélevées au Col du Dôme en 2016. L’une d’elle a été envoyée à l’IGE à des fins de recherches, et il s’agit de la carotte sur laquelle Alexis travaille. Les deux autres ont été transportées en Antarctique où elles seront préservées et protégées de toute agression extérieure, pour les générations futures.
Nous sommes tous responsables de l’avenir de notre environnement, nous devons donc tous prendre part dans sa protection
Alexis, en train de manipuler une carotte de glace dans une chambre froide de l'IGE
Sur la question de l’environnement, Alexis ne cache pas être très pessimiste et inquiet quand il pense à l’avenir : « les signes sont aujourd’hui alarmants et bien visibles, les gens en sont bel et bien conscients, mais peu font l’effort de s’investir dans la lutte pour le climat alors que nous fonçons droit dans le mur ». Il éprouve parfois même un certain désarroi, en voyant l’impact direct du changement climatique sur ces travaux de recherche :
J’ai pu aujourd’hui avoir la chance de travailler sur des échantillons intacts du Mont Blanc, rien ne me garantit d’avoir cette chance dans un avenir proche…La glace est une mine d’informations et la voir disparaître peu à peu c’est voir une partie de notre histoire s’effacer à tout jamais ! Il est primordial de rappeler à l’ordre l’ensemble de la population et de ne pas oublier qu’il faut à tout prix agir, encore et encore !
Il s’interroge également sur le traitement médiatique du réchauffement climatique : “les gens ont tendance à remettre en cause la science pour de multiples raisons et ont du mal à croire les propos des scientifiques, souvent à cause de fake news qui viennent inonder la sphère médiatique et porter préjudice aux avis scientifiques sérieux, comme nous en avons été témoins dans le contexte actuel du Covid-19…”.
« Apprendre et partager, telle est ma philosophie de vie ! »
Très ouvert et enthousiaste, Alexis considère que le rôle d’un scientifique est aussi de partager avec le plus grand nombre ce qu’il apprend tous les jours : “je ne fais pas une thèse pour faire une thèse ! J’aimerais à travers mes recherches, apporter ma pierre à l’édifice et contribuer à l’avancée scientifique pour répondre avant tout aux besoins de la population, et ce essentiellement en matière d’environnement”.
Article rédigé par Mehmet Polat et Mohamad El-Sayed
Cet article a été rédigé par les étudiants de licence suivant l'enseignement transversal "Sciences, journalisme et réseaux sociaux" proposé à l'Université Grenoble Alpes (UGA). Cet enseignement est encadré par Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l'UGA et Marion Sabourdy, chargée des nouveaux médias à La Casemate. Suivez l'actualité de l'ETC sur Twitter !