Pierre Gignoux, petit Poucet des chaussures de ski en carbone

Publié par Marion Sabourdy, le 29 octobre 2012   7k

C’est au cœur du massif de Belledonne que sont fabriquées les chaussures de ski de randonnée les plus légères du marché, par une équipe de passionnés.

Lundi 5 mars, à Saint-Martin d’Uriage à quelques kilomètres de Grenoble. Vue imprenable sur les reliefs du massif de Belledonne depuis la petite route du Pinet. L’atelier de Pierre Gignoux est installé dans une maison semblable à toutes celles du voisinage. Rien ne laisse présager qu’ici sont fabriquées les chaussures de ski de l’espagnol Kilian Jornet, phénomène de l’ultra-trail et du ski-alpinisme de l’italien Matteo Eydalin et des français Yannick Buffet et Laetitia Roux, membres de l’équipe de France de ski-alpinisme.

Dans le « salon », au milieu des chaussures et d’une odeur de colle, un client essaye méthodiquement une paire. Il est aidé par le maître des lieux, Pierre Gignoux, qui fait des allers-retours entre le salon et l’atelier, équipé d’une combinaison protectrice. Entre deux conseils, l’inventeur prend quelques minutes pour nous raconter l’histoire de sa société.

Titulaire d’un doctorat en biomécanique, Pierre Gignoux a travaillé pendant 10 ans dans la branche recherche et développement de Rossignol où il développait des fixations de ski. Excellent sportif, cet ancien de l’équipe de France de ski-alpinisme (1) a toujours « bricolé » son équipement. « Je partais d’une chaussure classique que j’allégeais en modifiant la partie haute » dit-il en souriant. Entre 1994 et 1996, lors de son temps libre, il met au point une talonnière extrêmement légère puis un levier arrière « deux en un » repris des années plus tard par un futur concurrent (2).

Pierre Gignoux présente un de ses modèles de chaussure

En 2006, Pierre Gignoux fonde la société qui porte son nom, afin de commercialiser son premier modèle, la XP 500. « Il s’agissait de la toute première chaussure de ski de randonnée en fibre de carbone, qui alliait mobilité de la cheville pour la montée avec une certaine rigidité pour la descente. Mieux, elle était deux fois plus légère que les chaussures du marché » indique son inventeur. En effet, la XP 500 pesait 650 grammes contre 1 100 grammes pour ses concurrentes, soit presque un kilo de moins la paire. Une différence cruciale pour gagner quelques minutes lors d’une course. Ainsi, un ancien stagiaire de Pierre, élève ingénieur de l’Ecole polytechnique de Grenoble, a mis en évidence un gain de temps de 2 % pour un skieur équipé de chaussures de ski de fond récemment développées par Pierre Gignoux (3).

Coup du sort, l’ISMF, l’organisme qui gère le circuit international de compétition et dont le règlement s’applique aux fédérations nationales, décide d’imposer un poids minimum de 900 grammes par chaussure. « Cela ne nous a pas empêchés cette année-là de vendre 30 paires de nos chaussures aux coureurs intéressés par leur rigidité. Pour pouvoir les porter en compétition, ils les ont lestées avec des plombs de roues de camion ». Un an après, le règlement évolue et les sportifs ont pu retirer les lests.

En 2008, le prix de l’innovation régional Artinov est décerné à la XP 500, qui sera commercialisée jusqu’à fin 2009 avant de laisser place en 2010 à la XP 444 et la XP Mountain. « Lors de la saison 2010-2011, nous avons vendu 350 paires de chaussures ». Une prouesse pour cette société constituée de trois salariés qui fabrique les chaussures à la commande. « Il nous faut trois jours pour fabriquer nos modèles en fibre de carbone contre quelques heures pour des chaussures en plastique. Nous fabriquons nous-mêmes les pièces en carbone et sous-traitons pratiquement toutes les autres pièces à des entreprises locales » explique Pierre Gignoux, fier du côté artisanal de sa société qu’il estime plus souple et innovante que ses concurrentes, obligées de fonctionner avec des grandes chaînes de fabrication. Le prix des XP – 1300 € environ - est comparable à celui des concurrents, qui se sont lancés dans la chaussure en carbone entre temps mais dont les modèles restent toujours un petit peu plus lourds que ceux de Pierre Gignoux.

La société travaille actuellement sur un modèle encore plus léger (500 grammes soit moins que le poids de certaines chaussures de trekking). « Pour l’instant, nous nous heurtons au nouveau règlement qui impose un poids minimum de 500 grammes. Nos pointures en-dessous du 44 pèsent moins que ça ! ». Du côté du ski de fond, Pierre Gignoux vient de vendre un brevet à la société Salomon pour une chaussure deux fois plus légère que celles du marché. Un modèle testé par le coureur de combiné nordique Jason Lamy Chappuis deux jours avant ce reportage, sans compter la victoire en Coupe du Monde de ski de fond du Canadien Alex Harvey le 16 mars dernier au 3,3 km libre. La « team XP » s’agrandit !

Notes

  1. 6ème de la Trans Mont-Blanc en 1993, membre de l’équipe de France de ski-alpinisme à partir de 1995. Pendant 10 ans, il gagne de nombreux titres (dont la Pierra Menta en 2001 avec S. Brosse) et établit avec son coéquipier le record d’ascension aller-retour du Mont-Blanc en 5H15
  2. Ce levier permet de serrer la partie haute de la chaussure tout en verrouillant la cheville et ainsi gagner du temps entre la montée et la descente.
  3. Lors des championnats du Monde d’Oslo en 2011, le français Vincent Vittoz est arrivé 22ème en 2h10, à 2’32 du vainqueur. « En gagnant 2 % de temps avec des chaussures plus légères, il aurait terminé la course en tête, en gagnant 2 minutes 36 » selon l’étude du stagiaire de P. Gignoux

>> Illustrations : Alain Bachellier et Echosciences Grenoble (Flickr, licence CC)