Patrimonialisation scientifique et technique : A l'origine de l'Automatique et de l'Informatique (1/10 - année 2020)
Publié par ACONIT (Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique), le 16 janvier 2020 2.7k
Par Xavier Hiron (chargé de mission collections et chargé de mission PATSTEC, ACONIT)
Photo d'en-tête : rack de base de l'automate programmable TSX 47-40 de Télémécanique (groupe Schneider-Electric), vers 1990 - collection ACONIT.
Les collections informatiques de l'ACONIT, association pour un conservatoire de l'informatique et de la télématique, comptent désormais un panel représentatif de plus de 50 pièces ayant trait directement à des automates programmables industriels (ou API). Ces pièces sont complétées par une documentation technique d'origine, très étoffée. Elles nous ont été spontanément confiées par un groupe d'anciens automaticiens représentant toutes les sensibilités de la profession, au nombre desquels il faut citer Richard Weitten, issu du service Applications de Merlin Gerin (qui deviendra par la suite April, avant d'être absorbé par Schneider-Automation, filiale de Schneider-Electric), et Louis Boudillon, pour la branche Télémécanique, qui elle aussi intègrera le groupe Schneider-Electric en 1988.
Que sont ces objets ? De quoi témoignent-ils ? Est-ce vraiment de l'informatique ? Pour le savoir, nous nous sommes adressés à ces deux passionnés qui ont œuvré pour enrichir notre connaissance de ce domaine souvent méconnu. Ils nous font découvrir un monde souterrain, mais pourtant bien présent dans notre quotidien. Grâce à leur travail de collecte, l'ACONIT vient d'ouvrir une nouvelle salle de sa galerie virtuelle dédiée à l'informatique, et consacrée plus spécifiquement à l'automatisme industriel (voir le lien en fin d'article).
1/ Qu'est-ce que l'Automatique ?
Répondre à cette question nous amène à aborder en premier lieu une figure centrale de la recherche universitaire grenobloise, René Perret. Son parcours montre comment, dans les années 1960, les automates industriels sont progressivement passés d'une technologie de circuits simples, dite en « logique câblée », à des ordinateurs de pilotage des processus.
Le
professeur René Perret, créateur
du Laboratoire d'Automatique
de Grenoble - LAG/EDA Publishing
René Perret est un ingénieur grenoblois en électricité. Il poursuit ensuite une thèse à l'IMAG, qu'il publie au retour d'un séjour aux États-Unis, avec en seconde partie une étude approfondie sur les structures des nouveaux calculateurs électroniques. A l'époque de la reconstruction d'après-guerre, les industriels viennent chercher auprès des universitaires les compétences en conduite automatique des processus qui leurs manquent encore en termes de théorie, technologie et applications. Raison pour laquelle René Perret décide de créer, au sein de la Faculté des sciences grenobloise, le Laboratoire d’Automatique de Grenoble (LAG) dès 1956.
Historiquement, les circuits logiques industriels basaient leur développement sur des relais électromécaniques, que l'on reliait entre eux, pour les faire communiquer, par des câbles physiques. Pendant quelque temps apparaissent des tubes électroniques appelés triodes et pentodes, qui se révélèrent encombrants et peu fiables. Avec l'apparition, dans les années 1960, des transistors, l'ancienne logique à relais devient progressivement caduque et les machines de commande et calcul intègrent une part de plus en plus conséquente de ces transistors sur circuits imprimés, puis de processeurs, qui peuvent être programmés. Les ordinateurs qui en découleront deviendront de plus en plus puissants et performants, pour répondre notamment à la forte demande de recherche qui caractérisera les 30 glorieuses (et qui correspondra à l'essor du plan Calcul promu par le général de Gaulle).
Dans le contexte de cette évolution, le Laboratoire universitaire d'Automatique de Grenoble de René Perret jouera un rôle de tout premier plan, en collaboration avec la société MORS, en créant le mini-ordinateur MAT-01 en 1966, l'un des premiers mini-ordinateurs français. Mais nous y reviendrons ultérieurement.
2/ Cependant, les industriels...
Pendant ce temps-là, que se passe-t-il dans le domaine industriel ? Les besoins qui y sont observés s'avèrent le plus souvent d'une nature diamétralement opposée à ceux de la recherche, car la commande des processus requiert, au contraire des calculs, de rester prioritairement assujettie à la partie physique automatisée. Les actions de commande sont en effet fixées au préalable de tout processus industriel et demeurent invariables tout au long de leur exploitation. Les critères de répétitivité de tâches (chaînes opératoires), de contrôle et fiabilité priment sur l'adaptabilité en temps réel des systèmes. Or ces besoins de contrôle et de commande explosent en quantité et en étendue, tout en requérant de garantir une sécurité optimale des résultats. Tous les grands secteurs industriels sont demandeurs, qu'il s'agisse de l'industrie automobile, chimique, pétrolière, des contrôles de circulation ferroviaire ou de production électrique, des cimenteries ou des usines de produits manufacturés en tous genres.
Pour commander et maintenir ces processus industriels au meilleur de leurs capacités, la solution de recourir à des modules mono-tâches programmables pour contrôler des opérations réduites en nombre, mais associés entre eux par câblages physiques (c'est-à-dire en entrées/sorties traditionnelles) ou, comme apparue ultérieurement, par logique numérique, s'est avérée la plus souple et la plus efficace. L'utilisation des transistors et semi-conducteurs permet de réduire le volume des logiques par relais électromécaniques et, partant, d'augmenter le nombre des fonctions câblées. Et quoi qu'on pourrait en penser a priori, de tels équipements peuvent s'avérer, au final, très sophistiqués en nombre et en étendue. L'exemple est souvent donné d'une manufacture de poudres ayant utilisé, afin de contrecarrer la dangerosité de sa production, jusqu'à 1 000 automates programmables en batteries ! Et les automates s'intègrent partout (dans votre voiture ou votre machine à laver par exemple) dès qu'il y a un processus à paramétrer et à programmer.
De la cellule de base Silimog à l'automate industriel programmable SMC 50 produit par Renault-automation et diffusé par la société April, en passant par la console de programmation PB 2062 de chez Merlin Gerin... - collection ACONIT.
3/ Les ordinateurs et l'essor du logiciel
En évoquant plus haut l'aventure du MAT-01 de l'entreprise MORS, nous touchons véritablement au cœur de la problématique industrielle et informatique. Rappelons tout d'abord que l'ingénieur Guy Jardin avait persuadé en 1966, à l'issue d'une formation professionnelle reçue au LAG, Hubert de Turckheim, son Président-Directeur Général à la tête de l'entreprise MORS, de mettre sur le marché, avec l'appui de la firme Télémécanique, les solutions électroniques permettant de passer d'une logique câblée simple à une logique programmée, c'est-à-dire utilisant des circuits mémoires contenant des « règles » applicables à chaque situation. Cela donnera naissance à la commercialisation d'une gamme étendue de mini-ordinateurs, dont les fameux produits Solar, particulièrement adaptés aux domaines industriels.
Il est vrai que le développement de la logique électronique, tels que les cellules CUSA du LAG (René David), les Silimog de Merlin Gerin ou leurs équivalents de la gamme Téléstatic de l'entreprise Télémécanique, fabricant historique d'automates industriels, permet lui aussi d'avoir recours à une microprogrammation spécifique pour le traitement des opérations logiques en langage Grafcet. Ce dernier, développé par Renault-automation (la future SMC), était utilisé pour la mise en forme des instructions via des consoles dédiées. Ceci permet, par exemple, de centraliser la coordination d'une chaîne complète d'automates sur l'un de ces mini-ordinateurs, comme ce fut le cas avec les Solar. D'origine française, le Grafcet fut, lui aussi, le fruit d'une collaboration université – industrie et constituera, par la suite, l'un des cinq langages de programmation d'Automatique acceptés par les normes européennes.
Le
Mat-01, premier mini-ordinateur français et son unité de calcul (à
droite) - document ACONIT
Mais
le système auquel le calculateur industriel MORS faisait désormais
appel était de conception différente, puisqu'il avait recours à
une logique non plus à base de relais électromécaniques fixes,
mais bien à une logique numérique séquentielle. Ceci sous-entend
la primauté donnée aux programmes et, par voie de conséquence, à
l'exécution en continu des logiciels. La grande aventure de
l'informatique pouvait véritablement démarrer !
Conclusion
Ce moment particulier de l'histoire de l'informatique dessine ce que l'on appelle communément une fourche technologique, où apparaissent deux technologies indépendantes qui suivront chacune leur propre évolution, tout en conservant une origine commune (et parfois quelques passerelles). C'est bien une histoire de cette nature-ci qui vient de vous être contée, avec tout ce que cela implique comme conséquences en termes d'envolée exponentielle des besoins et capacités du domaine logiciel, et de son corollaire, le traitement des données.
Pour aller plus loin :
Galerie API : https://db.aconit.org/dbgalerie/galerie.php?fgal=galerie0&nsal=605
(Cette galerie constitue une porte d'entrée vers de nombreuses fiches descriptives de machines et documents associés)
De la Logique câblée au calculateur industriel, René David (enseignant chercheur de l'IMAG) et Michel Deguerry (ancien directeur de Télémécanique à Grenoble), juin 2008, EDA Publishing, Grenoble, France.
Remerciements à Richard Weitten, Louis Boudillon, Philippe Denoyelle et Jean Ricodeau (ACONIT) pour leurs apports documentaires et relectures croisées.