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On n'en a pas fini avec l'effet Placebo

Publié par Laurent Vercueil, le 27 juin 2017   6.5k

Le placebo est-il en train de gagner du terrain ?

Et que signifierait cette augmentation de la sensibilité à l'effet placebo ? Pourquoi réagissons-nous encore mieux aujourd'hui qu'hier à... rien ? Cela peut-il nous dire quelque chose de l'ère contemporaine de la "post-vérité" ?

Mais d'abord : qu'est-ce qu'on entend par "placebo" ?

Placebo et effet placebo

L'effet placebo est ce que produit le placebo (un produit sans effet biologique mais dont l'apparence, la présentation est celle d'un produit actif). Placebo signifie "je plais". On peut se sentir "séduit" par une procédure, indépendamment de son effet même...

C'est qu'en effet, l'effet placebo n'est pas réservé au placebo. Il intéresse toute administration d'un médicament actif (ou d'une procédure). Dans ce cas, l'effet placebo contribue, plus ou moins significativement, à l'effet mesuré chez une personne. Dans les essais cliniques conduits "contre placebo", on déduit l'effet placebo de l'effet mesuré, et cette différence est sensée représenter l'effet biologique de la molécule testée. En somme, il y a une part de placebo dans toute action appréciée comme potentiellement thérapeutique. Soigner, c'est aussi séduire.

Deconstructing Placebo

L’effet placebo résume donc l’ensemble des manifestations favorables qui surviennent à la suite de l’administration d’un produit et qui ne sont pas liés à ses effets biologiques. Prendre un comprimé peut être à l’origine de phénomènes qui ne sont pas liés à la molécule. On parle de « nocebo » si les effets sont indésirables, et de « placebo » si ce sont ceux qui sont attendus/espérés.

Comme on le voit, l’effet placebo ne se limite pas aux effets « psychologiques » de la prise d’un traitement. Il découle de nombreuses autres propriétés d’une affection médicale ou des statistiques des études de groupe. On reconnaît ainsi, en plus des facteurs psychosociaux, des contributeurs que sont la rémission spontanée de signes ou d’une affection, le phénomène de régression à la moyenne, la présence de certains biais que sont les interventions masquées, et la théorie de détection du signal (faux positif) (1).

Les facteurs psychologiques et sociaux en jeux dans l'effet placebo sont eux-mêmes complexes et multiples (2). Sans les mentionner tous (soumission à l'autorité du prescripteur, envie d'aller mieux, etc.), le rôle des attentes a été souligné. Plus l'attente est élevée, plus fort est l'effet placebo. Un traitement très attractif, fortement désiré, d'obtention difficile (par exemple, après un déplacement dans un centre hospitalier lointain, auprès d'une autorité médicale jugée considérable), sera davantage soumis à un puissant effet placebo qu'un traitement considéré comme banal et peu onéreux. Cet effet majeur de l'attente est également souligné par les études montrant que l'effet placebo se soumet facilement au conditionnement Pavlovien.

Dans une étude (3) portant sur des sujets souffrant d'une maladie de Parkinson, et chez qui l'effet d'un traitement était mesuré sur la raideur musculaire, les auteurs montraient que l'exposition préalable à l'efficace de ce traitement conditionnait le niveau de la réponse au placebo lorsqu'il lui était substitué.

Cet effet placebo n'était pas mesuré uniquement sur la plan clinique (diminution de la rigidité, figurée par les points sur les courbes d'amélioration), elle était aussi mise en évidence au niveau de l'activité des neurones, qui étaient enregistrés chez des patients implantés pour la stimulation cérébrale profonde dans le thalamus (à droite de la figure, les histogrammes).

En somme, un neurone qui se soumet au conditionnement Pavlovien pour répondre au placebo.

L'effet placebo augmente au cours du temps

En 2011 parait dans la revue EPILEPSIA (4), une méta-analyse conduite par Sylvain Rheims (Lyon). Dans ce travail, l'effet des différents essais de traitement antiépileptique est rapporté à l'année où a paru l'étude. Or, ces traitements antiépileptiques ont tous été comparés à un placebo, ce qui offre l'opportunité de comparer le niveau de la réponse au placebo au cours du temps. Le résultat est présenté dans la figure ci-dessous.

De façon étonnante, le taux de réponse au placebo a augmenté, entre la fin des années 1980 et 2010, de moins de 10% à près de 20%. Comme si les patients de 2010 étaient plus sensibles que ceux de la fin des années 80. La susceptibilité aux effets "non biologiques" d'un médicament a-t-elle augmentée ces dernières années ?

Le scepticisme recule-t-il ?

A-t-on davantage tendance à prendre ses désirs pour la réalité ? à accueillir avec crédulité les discours qui nous sont favorables ?

D'autres facteurs peuvent expliquer cette augmentation progressive, au cours de vingt ans, des réponses au placebo (les pathologies qui sont sélectionnées changent au cours du temps, elles évoluent, la façon de mesurer les effets peut également être différente, les marqueurs suivis changent, etc.). Mais l'hypothèse selon laquelle, nous aurions aujourd'hui tendance, peut être du fait de l'inflation du rôle des réseaux sociaux, à adhérer avec plus de force à une conviction, et à cultiver le renforcement de cette conviction (en recherchant l'assentiment d'un groupe, à coup de "like"...), est une hypothèse qui mériterait d'être testée.


Notes

(1) D’après cette théorie, un sujet exposé à un « bruit » important, aura tendance à détecter facilement un signal auquel il a été préparé : Allan LG, Siegel S. A signal detection theory analysis of the placebo effect. Eval Health Prof 2002 ;25 :410-420

(2) Geers, AL; Helfer, SG; Kosbab, K; et al.Reconsidering the role of personality in placebo effects: Dispositional optimism, situational expectations, and the placebo response. J Psychosomatic Res 2005;58:121-127

(3)Benedetti, Fabrizio et al. Teaching neurons to respond to placebos; The Journal of Physiology Volume: 594 Issue 19 (2016) 5647-5660

(4) Rheims et al. Epilepsia 2011;52:219-233