Observer les aurores australes : pas si simple…

Publié par Mathieu Barthelemy, le 28 janvier 2025   150

Après la Norvège, notre chasseur d'aurores polaires préféré, Mathieu Barthélemy, Professeur des Universités, membre de l'équipe Spectre de l'Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble (IPAG) et Directeur scientifique de la Maison pour la Science Alpes Dauphiné est récemment allé en expédition scientifique en Antarctique. Il nous livre son témoignage.

5h du matin, le temps est calme. L’Astrolabe progresse lentement au milieu de glaces dispersées. Pas un souffle de vent, la mer est un miroir. Au loin, les géants, de grands icebergs tabulaires de plusieurs dizaines de mètres de haut et centaines de mètres de large. Quelques manchots sur ces plaques de glaces dérivantes, quelques phoques, des oiseaux. Nous sommes presque en vue de la station Dumont d’Urville que nous allons atteindre dans quelques heures. On distingue maintenant l’ile des Pétrels et derrière, la calotte glaciaire et la langue flottante du glacier de l’Astrolabe.

Que fais-je à cet endroit magique éloigné de tout ? Pourquoi aller là-bas ?

Des icebergs issus du glacier de l’Astrolabe à proximité de la station Dumont d’Urville. Crédit : Mathieu Barthélemy, UGA, Institut polaire français

Reprenons dans l’ordre. Observer les aurores polaires est important, afin de comprendre le phénomène lui-même mais également les impacts de l’activité solaire sur la Terre et sur nos infrastructures. Les étudier dans l'hémisphère nord [comme à Skibotn en Norvège ou dans l'archipel du Svalbard où Mathieu est déjà allé, ndlr] est indispensable mais la période de mars à septembre n’y est pas propice car la nuit n’est pas assez profonde. Nous ne pouvons donc observer au Nord que la moitié du temps au mieux, sans compter la couverture nuageuse qui empêche souvent les observations aurorales.

Observer au Sud c’est donc avant tout un moyen de doubler le temps d’observation des aurores, et c’est déjà beaucoup. Au-delà de cette extension, nous pourrons également observer les petites différences Nord-Sud qui sont encore mal comprises. Pour cela, il faut installer des instruments de surveillance des aurores comme des caméras « plein-ciel » munies d’objectifs « fisheyes » qui permettent de capturer des images de l’ensemble du ciel visible en un point. Nos collègues de l’Institut polaire japonais (NIPR) ont entrepris d’observer la plus grande partie possible de l’ovale Sud, la zone où se produisent les aurores. Nous participons à ce programme en installant deux de ces caméras à Dumont d’Urville et à Concordia. Cela se fait grâce à l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) qui apporte la logistique et le soutien nécessaires aux opérations sur ces stations ainsi qu’aux programmes scientifiques acceptés. Ce ne sont pas des tâches anodines et leur expérience et leur savoir-faire sont précieux.

La Terre Adélie où est localisée la station Dumont d’Urville est bien loin de nos contrées grenobloises (66° S, 140°E environ). Il faut d’abord prendre l’avion jusqu’à Hobart en Tasmanie (Australie). C’est long mais assez classique. Une fois arrivé à Hobart, nous prenons la rotation R2 du bateau l’Astrolabe. Il s'agit paradoxalement de la 3ème rotation (sur un total de 5) pour la saison d’été australe. L'Astrolabe n’est pas n’importe quel bateau. Il est esthétiquement très chouette mais il s’agit d’un brise-glace qui présente un fond assez plat et qui donc bouge pas mal. Je l’ai appris à mes dépens, les premières 48h de la traversée. L’amarinage est d’ailleurs un phénomène assez étrange et après ces 48h difficiles, tout va bien. Pour être tout à fait honnête, nous avons eu une mer relativement clémente pour les 40èmes et les 50èmes dont la réputation n’est plus à faire. Cet amarinage aurait peut-être été remis en cause dans un mer déchainée.

La traversée est longue (5 à 6 jours) mais l’approche du continent Antarctique, surtout lorsqu’il s’agit de la première fois, est un moment magique.

Nous voilà sur la station Dumont d’Urville. Je dois en théorie également aller à Concordia sur la calotte glaciaire mais la météo capricieuse rend cet aller-retour impossible. Qu’à cela ne tienne, la caméra sera envoyée sans moi et des ingénieurs pourront faire l’installation là-bas. Il faut, ceci dit, rédiger une notice hyper précise pour compenser mon absence. En parallèle, l’installation à Dumont d’Urville avance. Avec le staff de la station, il a été décidé d’installer cette caméra sur une petite cabane, nommée Chantal. Elle présente l’avantage d’être un peu éloignée du reste de la station et donc moins sujette aux pollutions lumineuses. Cette cabane est située au milieu d'une colonie de manchots et il est parfois nécessaire de se détourner de 10 mètres pour éviter de les déranger. L’odeur de fiente est assez prégnante. Nous sommes chez eux et ils nous le rappellent parfois avec véhémence en nous « criant » dessus.

Au premier plan, des manchots et au second plan, la calotte glaciaire, la banquise et les iceberg. Crédit : Mathieu Barthélemy, UGA, Institut polaire français.

Un support a été installé avant mon arrivée sur le toit de la cabane. Il ne reste qu’à câbler, fixer la caméra et vérifier qu’elle communique avec le réseau de la station. Seulement, la météo dans ces contrées est joueuse. Une première dépression avec des vents allant jusqu’à 75 nœuds (139 km/h) se lève dès notre arrivée et nous complique le travail. Nous passons le réveillon du Nouvel an dans une très belle ambiance, sur le thème des pirates, tout en surveillant le vent. Une courte accalmie puis une deuxième tempête ne nous permettent pas de finaliser l’ensemble de l’installation rapidement. Nous préparons au mieux à l’intérieur pour que tout soit prêt dans la prochaine fenêtre de temps calme, qui n’arrivera que tardivement. La veille de notre départ, la caméra est finalement installée, câblée et… elle fonctionne ! Soulagement.

Il a fallu renforcer les attaches, les vents de 75 nœuds n'étant... pas si forts que ça. Les données météo montrent de temps en temps des vents dépassant les 100 voire 120 nœuds, les vents catabatiques qui sont des descentes d’air froid provenant de la calotte polaire.

En parallèle, l’autre caméra a atteint Concordia et va être installée par Karim et Ehouarn. Un grand merci à eux d’avoir pris en charge cette installation.

Au-delà de l’installation, dans les périodes de calme après les (excellents) repas, on se pose, on se promène autour de la station, on se régale des lumières, de ces soleils rasants sur la banquise et la calotte. Un soir, un léopard de mer pointe le bout de son nez pour un repas de manchots. On regarde, fasciné, les manchots s’éloigner, tout en essayant de rester sur le morceau de glace qu’ils ont investi. Le léopard est assez balourd à l’air libre, ce qui n’est pas le cas dans l’eau. Mauvaise pêche pour lui ce soir-là, les manchots ont échappé à leur prédateur.

Un léopard de mer tentant de croquer quelques manchots. Station Dumont d’Urville. Crédit : Mathieu Barthélemy, UGA, Institut polaire français.

Nous sommes le 8 janvier, il est temps de reprendre le bateau vers Hobart. Départ joyeux et triste à la fois. Je suis content de retourner vers mes proches et un peu mélancolique de quitter un tel endroit. Un collègue de la station accompagne notre départ à la cornemuse et des baleines nous suivent dans les premières heures de notre traversée. L’amarinage n’était pas définitif et c’est à nouveau 48h très difficiles avant que je me trouve mieux. La traversée est ensuite très calme. Une messagerie nous permet de joindre nos proches mais nous n'avons pas la possibilité de naviguer sur internet. C’est finalement une très bonne idée, une désaturation de l’esprit. On lit, on joue, on parle avec les collègues de toutes les disciplines : géologues, ornithologues, archivistes, météorologues et autres… Lorsqu'ils sont un peu moins occupés, on discute aussi avec l’équipage de l’Astrolabe, des membres de la Marine nationale particulièrement attentifs et sympas, avec qui nous avons des échanges très riches et intéressants. La vie est rythmée par les briefings en fin d’après-midi, les repas, les lectures. Mon stock de livres arrive à épuisement mais nous échangeons nos polars, romans et essais. Il y a même une petite bibliothèque à bord.

L’Astrolabe à quai à Dumont d’Urville.  L'Astrolabe est propriété des Terres Australes et Antarctiques Françaises et opéré par la Marine Nationale. Crédit : Mathieu Barthélemy, UGA, Institut polaire français.

Enfin, le lundi 13 janvier en fin de journée, nous entrevoyons les côtes de la Tasmanie. Arrivée émouvante saluée par quelques dizaines de dauphins qui se pressent autour du bateau et « jouent » pendant deux heures. Nous avons une journée de libre le lendemain, l'occasion de découvrir Hobart et ses environs, notamment le Kunanyi/mont Wellington (1 271 m). Il pleut à partir de 500m d’altitude, nous nous trouvons dans une forêt tropicale humide. Contraste avec l’environnement sans végétation de la Terre Adélie. Nous voyons des wallabieset des ornithorynques ainsi que de nombreux oiseaux. Dernière soirée ensemble avec l’équipage dans un bar et nous reprenons l’avion pour la métropole en attendant de pouvoir obtenir des images d’aurores dès que la nuit sera un peu plus présente.

Aperçu de l’image

Caméra du programme All Sky Antarctica (IPEV 1286). Crédit Mathieu Barthélemy, UGA, Institut polaire français.

Les deux caméras sont posées : mission accomplie ! Espérons qu’elles fonctionnent bien en dépit des conditions climatiques très dures. Maintenant, observons et modélisons ces aurores australes si complexes. Comparons-les à celles du Nord, réfléchissons aux futurs instruments qui pourraient permettre de mieux les comprendre et rêvons, qui sait, de retourner là où nous avons laissé de nombreuses pensées.


Ce projet est soutenu par l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) sous le numéro 1286. Un grand merci pour ce soutien.