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Nous n'entendons pas seulement avec nos oreilles : interview du chercheur Takayuki Ito

Publié par Antoine Depaulis, le 28 septembre 2016   3.8k

Takayuki Ito a obtenu l'an dernier un poste de chercheur au CNRS pour travailler au Gipsa-lab à Grenoble. Son travail de recherche sur la parole, particulièrement original, met en évidence l'importance de la forme de notre visage sur notre perception des mots que nous entendons. Interview.

A.D. D'où viens-tu et où as-tu travaillé avant de venir à Grenoble ?

TI. Je suis né à Saitama, au nord de Tokyo. J'ai obtenu un doctorat en ingénierie mécanique à l'Université de Chiba en travaillant sur des systèmes de contrôle automatique et leurs différentes applications. Après mon doctorat, je me suis intéressé aux Neurosciences pour comprendre le contrôle moteur de la parole et sa perception. On peut dire que je travaille toujours sur des mécanismes de contrôle, mais que je suis passé d'un système mécanique à un système humain : l'homme. J'ai travaillé à NTT Communication Science Laboratories au Japon, puis pendant 9 ans aux Laboratoires Haskins aux Etats-Unis (New Haven, Connecticut).

Peux-tu nous expliquer tes résultats récents ?

Le résultat sans doute le plus intéressant que j'ai obtenu concerne le fait que lorsque l'on déforme la peau du visage d'une personne pendant qu'elle écoute différents mots, cela modifie sa perception auditive. Pour montrer cela, nous avons modifié électroniquement le mot anglais "head" pour le transformer en "had" et nous avons fait écouter à des personnes les 10 sons intermédiaires entre ces deux mots en leur demandant s'ils entendaient plutôt "had" ou bien "head". Nos "cobayes" humains étaient équipés d'un petit dispositif que j'ai mis au point qui peut étirer les coins de leur bouche vers le haut ou vers le bas. Nous avons montré que quand leur bouche est étirée vers le haut, les sujets entendent plutôt le mot "head" alors que quand leur bouche est étirée vers le bas, ils comprennent plutôt "had". En fait, la forme que prend leur bouche pour dire le mot va influencer leur compréhension de ce même mot. Les neurones miroirs ont sans doute leur mot à dire là dedans.

De façon plus générale, les expériences que nous avons réalisées montrent que les informations que nous percevons au niveau de la peau de notre visage modifient notre perception de la parole. Mon travail a permis ainsi de voir les choses autrement entre les mécanismes de production de la parole et la perception des informations de notre visage et en particulier de la région de la bouche [ndlr : voir la Vidéo du journal JOVE].

Quel est ton projet de recherche au CNRS ?

Je continue à étudier comment nos sensations au niveau du visage contribuent au contrôle de notre parole. Cela a un intérêt aussi bien en recherche fondamentale que pour comprendre l'apprentissage des mots par exemple. Pour cela j'utilise des techniques comme l'EEG et l'IRM fonctionnelle pour lesquelles plusieurs experts travaillent justement à Grenoble.

Pourquoi es-tu venu à Grenoble sur un poste de chercheurs au CNRS ?

Je travaille au Gipsa-lab, un laboratoire du CNRS spécialisé dans la cognition et qui est à mon avis l'un des meilleurs au monde dans le domaine de la recherche sur la production de la parole et sa perception. Ce laboratoire travaille en effet depuis longtemps sur la parole, comme les Laboratoires Haskins aux Etats-Unis. Je suis très heureux de faire ainsi un lien entre les deux meilleurs laboratoires dans ce domaine. Et puis mon poste au CNRS m'offre la possibilité de travailler avec beaucoup de liberté et cela a été très attractif pour moi.

Comment trouves-tu Grenoble ?

J'aime ce goût des Français pour la qualité de vie et je trouve que Grenoble est une ville très agréable, avec un côté très international du fait de son Université et de plusieurs instituts de recherche très renommés. La ville est à taille humaine et tout est à une distance proche. J'aime aussi la nature et la montagne, y compris la neige. Grenoble est sans doute pour moi le meilleur endroit pour vivre et poursuivre ma carrière.


Notes

  1. Ito, T., Tiede, M. & Ostry, D. J. Somatosensory function in speech perception. Proc Natl Acad Sci U S A 106, 1245-1248 (2009).
  2. IIto, T., Ostry, D. J. & Gracco, V. L. Somatosensory Event-related Potentials from Orofacial Skin Stretch Stimulation. Journal of visualized experiments : JoVE, e53621,(2015).
  3. IIto, T., Coppola, J. H. & Ostry, D. J. Speech motor learning changes the neural response to both auditory and somatosensory signals. Scientific reports 6, 25926, (2016).