Chalmers vs Koch : la conscience ? Pas comprise. Encore.
Publié par Laurent Vercueil, le 27 juin 2023 2.9k
En 1998, le philosophe David Chalmers, celui-là même qui a décrété que "le problème de la conscience" était un problème difficile, et le neuroscientifique Christof Koch, débattaient de la possibilité de résoudre ce problème à une échéance de 25 ans.
Vingt cinq ans, depuis le point où l'on se trouve (1998 ou 2023), cela semble loin. De fait, il y a 25 ans, les années 90 avaient vu l'explosion des techniques d'imagerie cérébrale fonctionnelle, celles qui permettent de réaliser des cartes du cerveau en train de fonctionner : Un sujet d'expérience est soumis à diverses tâches, et les scientifiques observent les patterns d'activation corrélés. Une correspondance se fait entre certaines fonctions du cerveau et des réseaux cérébraux impliqués dans celles-ci. De quoi ouvrir des possibilités de compréhension phénoménales ! En 1998, Koch est donc confiant dans le fait qu'un délai de 25 ans est suffisant pour comprendre la conscience, tandis que Chalmers, en bon philosophe, en doute fort (le problème est difficile). Ils prennent le pari (une caisse de vin est l'enjeu).
Et alors que 25 ans plus tard, ce pari était oublié de tout le monde, nous découvrons dans un article de Nature, publié ce 24 Juin 2023, que les neurosciences doivent s'incliner devant la philosophie : Koch reconnait sa défaite et apporte une caisse de vin à David Chalmers. Il se dit néanmoins prêt à parier de nouveau et donne rendez-vous dans 25 ans (il craint qu'un délai de 50 ans soit trop éloigné pour lui permettre de vérifier lui-même sa prédiction).
En dépit de ses efforts, Christof Koch n'a donc pas résolu le problème de la conscience. Il paye à boire.
Ne pas trouver la solution à un problème est frustrant, car cela signifie que nous ne le comprenons toujours pas. Mais que signifie comprendre la conscience ?
Le programme le plus modeste des neurosciences consiste à déterminer les "corrélats neuronaux" de la conscience ("le code de la conscience"). Il s'agit "seulement" de déterminer la différence fonctionnelle statistiquement significative entre un cerveau non conscient et un cerveau conscient. Mais David et Christof en sont déjà à la seconde bouteille, et ils commencent à être vénères.
Car le problème "difficile" de Chalmers est encore un pas plus loin : il s'agit de comprendre comment la conscience émerge de la matière organisée.
Donc :
1) Quelle organisation de la matière permet la conscience ? (réputé facile, mais non répondu)
2) Comment la conscience émerge de cette organisation matérielle ? (réputé difficile et non répondu)
Et la question subsidiaire : 3) Est-ce que le fait d'apporter une réponse à la première question permet de répondre plus facilement à la seconde ? (C'est le moulin de Leibniz : pas certain qu'on comprenne ce qu'est le vent)
Des modèles théoriques de la conscience existent, et ils sont plus ou moins concurrentiels (certains pensent qu'ils peuvent être compatibles entre eux). Les plus connus sont la théorie de l'espace global de travail (Dehaene, Changeux, Naccache), et la théorie de l'information intégrée (Tonini), parmi d'autres. Ces modèles font actuellement l'objet de tests sur des données partagées au sein de nombreux laboratoires, de façon à déterminer si l'un d'entre eux passe l'épreuve de l'expérimentation. A ce jour, c'est loin d'être conclusif...
Les images de tête et insérées dans le corps de l'article : "Christof Koch", le neuroscientifique déçu et "David Chalmers", le philosophe jubilatoire, d'après le bot Midjourney, avant et après avoir réceptionné la caisse de vin portugais. Dernière image, toujours de midjourney : Les mêmes après deux bouteilles, prenant un air menaçant devant l'IA, car aucun n'a vraiment la tête des protagonistes réels de l'affaire dont il est question...