La neige artificielle au secours des stations de ski dans les Alpes ? Rencontre avec le géographe Lucas Berard-Chenu
Publié par Sandy Aupetit, le 25 avril 2023 1.6k
De nos jours, de plus en plus de stations alpines se tournent vers la production de neige artificielle pour pallier un éventuel manque, et faire face au changement climatique. Lucas Berard-Chenu, géographe et spécialiste de la question, nous en dit davantage sur cette pratique qui tend à se généraliser.
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Bonjour Lucas, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m'appelle Lucas Berard-Chenu. Je suis enseignant-chercheur en géographie et aménagement à l’institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’université Grenoble Alpes : une partie de mon temps est dédiée à l’enseignement et une autre partie est dédiée à de la recherche. Je poursuis actuellement des recherches qui s'intéressent à l'évolution de la place qu'occupe la production de neige dans les stations de sports d'hiver des Alpes française.
Je suis attaché au Laboratoire EcoSystèmes et Sociétés en Montagne (LESSEM) de l'INRAE.
Les territoires de montagne sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques, et les stations de ski ne sont pas épargnées. Quels aménagements les stations ont-elles mis en place pour y faire face ?
Elles ont deux stratégies. La première consiste à fiabiliser leur enneigement, donc d'assurer une couverture neigeuse à chaque hiver pour pouvoir faire fonctionner leurs remontées mécaniques. Les stations mettent en place des enneigeurs ou canon à neige que l'on peut voir au bord des pistes. Derrière sont constitués plusieurs réseaux qui relient ces enneigeurs à une usine à neige, bâtiment regroupant des pompes et des compresseurs permettant de mettre en pression l'air et l’eau pour transformer cette dernière en neige.
La seconde est ce qu'on appelle une stratégie de diversification des activités touristiques.
Les stations semblent se tourner de plus en plus vers la production de neige artificielle. Pouvez-vous nous expliquer comment est produite cette neige artificielle et les infrastructures que cela nécessite ?
Les exploitants essayent de produire la neige avant le lancement de la saison. Elle varie entre les stations mais ce sont généralement avant les vacances de Noël ou pendant. Cette production a deux usages : d’une part assurer une fiabilité minimum du domaine skiable et d’autre part de permettre de capitaliser sur toute la neige qui va tomber du ciel afin de ne pas perdre ce qui est produit naturellement. En effet, la formation d'une couche de neige artificielle facilitera l'accumulation de toute la neige naturelle qui tombera au cours de la saison.
Ils conservent également un peu d'eau qu’ils peuvent utiliser pendant la saison si la neige vient à manquer. Fin février les stations ne produisent plus de neige parce que la saison est bien entamée, puis parce qu’il faut des températures négatives.
Comment avez vous étudié la production de neige artificielle dans le cadre de vos recherches ?
J'ai beaucoup travaillé sur l'évolution de l'équipement. Une partie de mon travail s’est fait au laboratoire derrière un bureau et un ordinateur. Récupérer des données, les traiter, les analyser, les comparer avec d'autres données : niveaux d’enneigement, informations techniques, sur les domaines skiables et aussi sur le parc de remontées mécaniques. Mais en analysant ces données il y a des questions auxquelles on n’arrive pas à répondre ou des comportements qu'on n'arrive pas forcément à comprendre.
Du coup, une deuxième partie de ma recherche a consisté à réaliser des entretiens. J'ai décidé d'aller sur le terrain pour rencontrer : les exploitants de domaines skiables, les directeurs d'exploitation, les maires de stations de montagne afin de comprendre comment ils se sont équipés, quelles étaient leur stratégie pour produire de la neige et comment ils financent cette production.
Il y a-t-il des stations qui ne veulent ou ne peuvent pas investir dans la production de neige artificielle ? Ont-elles mis en place d’autres aménagements ?
Il y a eu des stations qui ont tardé à s'équiper parce que la production de neige semblait à l'origine réservée aux stations de basse ou moyenne altitude, comme celles des Vosges. Certaines stations ont donc eu du retard en matière d'équipement. Ce qu'on observe aujourd'hui c'est qu’il y a un effet modèle : toutes les stations s’équipent.
Il existe aussi, cependant, des stations qui n'ont pas adopté la production de neige et il est peu probable qu'elles le fassent à l'avenir en raison de leur retard. Ces stations sont généralement de petite taille, avec des remontées mécaniques vieillissantes, et ont cherché à diversifier leur offre touristique pour compenser leur dépendance à la saison hivernale en développant un tourisme deux saisons. Cette tendance a été initialement observée dans les stations de basse et moyenne altitude, mais elle est maintenant présente dans toutes les stations.
La production de neige artificielle semble faire débat aujourd’hui, dans un contexte où on parle beaucoup de réchauffement climatique et de transition écologique, pouvez-vous nous expliquer quels sont les enjeux et les acteurs du débat ?
Un débat qui revient régulièrement concerne l’utilisation de l'eau et les termes de production de neige. Dans la recherche, on est plusieurs à parler de production de neige. On entend également le terme de neige artificielle. Généralement ce sont des personnes qui sont plutôt dans le grand public, soit contre. La profession des domaines skiables va plutôt parler de neige de culture. Les associations environnementales vont plutôt privilégier le terme de consommation en eau alors que les professionnels des sports d'hiver insistent pour parler de prélèvements en eau, considérant que l’eau n’est pas consommée et seulement prélevée.
Forcément les fabricants d'enneigeurs défendent et revendiquent l'utilisation de la production de neige, et puis tout un autre bloc plutôt d'associations de défense de l'environnement la dénigrent. Les maires non impliqués dans les stations de ski peuvent également plus facilement critiquer la production de neige puisqu'ils n'en ont pas besoin sur leur territoire.
Le 12 février 2023, Eric Piolle, Maire de Grenoble a qualifié la neige “d’or blanc”. Pouvez-vous nous expliquer plus précisément le terme?
Le terme d’or blanc fait référence à l’or noir qui est le pétrole. La neige est en effet devenue une ressource extrêmement précieuse de nos jours. En comparaison, avant, elle avait une connotation négative dans les territoires de montagnes. Tout ça parce que l'hiver n’était pas la meilleure saison pour nos anciennes sociétés agricoles, faisant baisser leur production. Surtout que le tourisme en montagne n’existait pas encore.
Et depuis, en quelques années avec le développement de l’alpinisme et des stations de ski, le fonctionnement des économies de montagne est modifié. La neige devenant un outil indispensable de ce tourisme d'hiver.
Une première critique est faite dans les années 70 contre cet or blanc qui n’a pas profité à la population locale parce que le changement a été brutal.
Lucas Berard-Chenu
De plus, on va se rendre compte qu’il y a une forte dépendance à une ressource. Sachant que les quantités de neige produites vont probablement augmenter à cause d’hiver de moins en moins fréquents. Sachant en plus que, comme le COVID l’a montré, même en diversifiant son économie, rester tributaire du déplacement des touristes est complexe.
Pouvez-vous nous donner quelques chiffres clefs autour de cette question de la neige artificielle ?
On considère qu’il y a en moyenne 37 % de superficie couverte en production domaine par domaine skiable. Dans un article scientifique de 2022, on a montré qu'il y avait une forte hétérogénéité entre les domaines skiables. Certains ont 70% de leur domaine recouverte, d’autre 14%. Pour le coût, on estime qu'équiper une piste avec de la production de neige coûte un peu moins de 120 000€ par hectare, sans tenir compte des travaux qui peuvent être nécessaires. Enfin, à peu près 20% des capacités d’investissement vont en moyenne vers la production de neige.
Article rédigé par Henry De Craene & Kylian Gautier
Cet article a été rédigé par les étudiant·e·s suivant l'enseignement transversal "Vulgarisation scientifique et écriture journalistique" proposé à l'Université Grenoble Alpes (UGA). Cet enseignement est encadré par Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l'UGA et Laura Schlenker, professeure associée au Master CCST de l'UGA et co-fondatrice de La Fabrique Média.