N'apprends qu'avec réserves !

Publié par Miguel Aubouy, le 3 novembre 2014   2.8k

On a pris l’habitude de se représenter le moment de la découverte comme celui d’une illumination : une erreur.

On a pris l’habitude de se représenter le moment de la découverte comme celui d’une illumination. C’est le fameux « Eureka ! » ("j’ai compris !", en grec). C’est une erreur. L’Histoire nous fournit de nombreux exemples où les ténèbres se sont abattues sur celui qui découvrait. Il n’a rien vu. Il n’a pas compris grand-chose. Il est resté comme bête.

Lorsque Vasco de Gama débarque aux Indes, pour la première fois, il prend le temple hindou qu’il visite pour une église chrétienne. Lorsque Werner Heisenberg découvre le principe qui porte son nom, il écrit que la vitesse d’une particule quantique est incertaine. Il lui faudra du temps pour saisir que la vérité est tout autre : elle est indéterminée.

Ces erreurs ne sont pas banales. De part leur nombre, de part de leur ampleur, de part les conséquences qu’elles ont eues, notamment dans le langage, elles interpellent celui qui se penche sur le processus de la découverte. Dans le livre qui s’intitule « Le syndrome de Vasco de Gama » (le petit traité sur l’innovation n°Z3.1, publié aux éditions nullius in verba), j’ai recueillis un certain nombre de ces erreurs pour les analyser. Ma compréhension, c’est qu’il ne s’agit pas d’erreurs. C’est un défaut de lucidité très singulier qui est un syndrome de la découverte lorsqu’elle est radicale. En face de quelque chose qui est trop profondément nouveau, tellement nouveau qu’il est impensé, nous sommes temporairement aveugles. Cette cécité dure d’autant plus que cette chose que nous voyons comme sans la regarder échappe à nos catégories mentales.

Cette hypothèse n’est pas seulement une jolie manière de décrire quelques bizarreries dans l’histoire du monde. Elle recouvre une réalité bien plus vaste dans le champ de la découverte. Elle admet des conséquences étonnantes pour l’innovation. C’est notamment la raison pour laquelle les inventeurs ne réalisent jamais ce qu’ils imaginaient au départ.

Le mot "découverte" est étrange, si l’on y songe. Il suggère que ce que nous cherchions préexistait au moment où nous le dé-couvrons. A cet instant, nous ne ferions que soulever un voile. L’objet de notre quête était là, sous nos yeux, mais recouvert d’un linge. Soit. Mais le mot « découverte » ne dit rien de ce voile qui empêchait l’esprit de capturer l’objet de notre désir en le rendant invisible à nos yeux ? Quelle est donc cette étoffe que l’on écarte au moment de découvrir ? Qui sont-ils, les fantômes qui nous aveuglent ?

La réponse est simple : ce voile, c’était notre savoir. Ces fantômes, ils étaient nos maîtres anciens. C’est eux qu’il faut écarter pour découvrir.

Le poète Henri Michaux, nous le disait : « N’apprends qu’avec réserves. Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! –, sans songer aux conséquences. »

>> CréditsRishi Bandopadhay (Flickr, licence cc)