Mettre la nature en tableau : les données naturalistes dans la fabrication de la biodiversité européenne

Publié par Célia Grandadam, le 22 juin 2023   610

Intervenante : Camille RIVIERE

 

Afin de clôturer la série de séminaires « Sciences, Société et Controverses » 2022, nous accueillons la chercheuse Camille RIVIERE. Chercheuse au sein du LabEx TEPSIS (Transformation de l’État, Politisation des Sociétés, Institution du Social), Camille RIVIERE s’est intéressée au cours de sa thèse à “La fabrique de la biodiversité européenne : expertise, contractualisation et infrastructure de financement. Natura 2000 en France (1992-2020)”.

Pour cette séance, la chercheuse choisi de faire dialoguer entre elles, deux parties de sa thèse. Dans un contexte où la notion de biodiversité est soumise à controverse, comment la valoriser à différentes échelles, tant locales qu’européennes ?

 


Les zones Natura 2000

 

Dans cette étude, nous nous intéressons à la mise en place des zones Natura 2000 suite à l’établissement de la directive « Habitats » en 1992. La construction de cette directive naît d’un constat général : une perte de biodiversité. Face à ces enjeux environnementaux et scientifiques, l’Union Européenne (UE) réagi en voulant allier savoirs scientifiques et outils administratifs afin de donner naissance aux zones Natura 2000. En résumé, Natura 2000 ce sont :

 


Une directive de l’échec ?

La directive va reposer sur l’établissement de savoirs scientifiques afin de déterminer les zones à protéger, mais surtout les critères qui permettront de cibler les espèces à protéger en priorité. La définition de la biodiversité s’étend. Elle n’est plus considérée sous le seul angle de la génétique, décrivant la variété de gènes et d’espèces, mais aussi sous l’angle d’un ensemble d’interactions, d’espaces, d’habitats, bref, on y intègre une dimension territoriale.

Suite à la proposition de l’établissement d’une liste d’espèces et d’habitats dits “d’intérêt communautaire”, une forte opposition à la directive se manifeste. Les États membres refusent de voter cette directive avant que la liste ne soit constituée. Ils appuient sur l’importance de la prise en compte des échelles territoriales. Une espèce peut être définie sensible à l’échelle européenne mais être très présente à une échelle plus locale. Il convient donc de ne pas imposer la même réglementation pour tous les territoires, même s’ils suivent tous la même directive. Cela va poser de nouvelles questions, de l’ordre administratif cette fois-ci. Les zones doivent être délimitées mais il est parfois difficile de savoir qui est propriétaire d’un espace, ou même, une zone peut être composée d’espaces appartenant à différents acteurs. De nombreux outils ont alors été développés afin de tenter de déterminer et classer des zones d’intérêt selon des critères précis. Algorithmes et modélisations n’y feront rien… Le traitement des données est trop complexe et cette tentative de délimitation échoue. Ce sont finalement les États eux-mêmes qui proposeront des zones et les soumettront à la discussion.

Source : Natura 2000 : un réseau européen d'espaces naturels | Beaune Côté Nature - Sites Natura 2000 de la Communauté d'Agglomération de Beaune (n2000.fr)

 

En 1992, l’acceptation de la directive ne fait pas disparaître ses détracteurs. En France, ce sont le Ministère de l’environnement et le Muséum National d’Histoire Naturelle qui ont défini les

zones prioritaires grâces aux inventaires et données déjà existantes. Les acteurs locaux vont cependant critiquer cette démarche en questionnant la rigueur des inventaires et l’invisibilisation des métiers liés à l’environnement. Des discussions et la constitution d’un document d’objectifs (DOCOB) voient le jour. Les données sont standardisées grâce au développement de cahiers d’habitats et de Systèmes d’Information Géographique (SIG) qui permettent de cartographier un territoire en plusieurs couches, analysables de manières simultanée ou individuelle. Cette dernière technique permet également d’observer et traiter des données locales, à distance. Les bases de données ainsi formées permettent de comparer les sites entre eux mais aussi de marginaliser les experts locaux. La biodiversité européenne est formalisée.

 


La nature en tableaux

 

Des tableaux de données basés sur des critères précis sont proposés. Leur renseignement et actualisation entrent dans les prérogatives des acteurs locaux. Le but premier de cette initiative est de rendre visible les données écologiques et fonctionnelles afin d’adapter les mesures de gestion à l’état de conservation de chaque espèce ou habitat. Dans les faits, la pérennité de ces tableaux est questionnée. Les acteurs chargés de recueillir et d’actualiser les données sont, de manière générale, plutôt éloignés de cette pratique très bureaucratique et la complexité de la tâche va nuire à son utilisation.

 

Finalement, les outils mis en place restent très controversés. Les gestionnaires des données dénoncent la complexité excessive et inutile et le manque de lisibilité des bases de données. La bureaucratisation des tâches des acteurs locaux entraîne certaines réticences puisque ce corps de métiers tend plutôt à être sur le terrain que dans un bureau. On critique aussi l’impossibilité d’actualisation des données, trop complexe en termes de coordination, de critères, de temporalité, etc. Cependant, cette directive aura permis de mettre en exergue l’importance de la considération des échelles de territoires, la dichotomie entre les savoirs scientifiques et les décisions politiques, mais aussi la diversité des d’acteurs et métiers liés à la protection de la biodiversité.

 

Retrouvez le live tweet de ce séminaire : https://twitter.com/Matthieu_dem/status/1600129917479370752

 

Pour aller plus loin :