Mettre en discours la situation écologique : du stream politique sur Twitch aux bouquins collapso, retour sur le séminaire “Sciences, sociétés, communications”
Publié par Anaëlle Gateau, le 7 décembre 2023 590
La quatrième séance du séminaire “Sciences, sociétés, communications” organisé à la Maison des Sciences de l’Homme Alpes et le laboratoire GRESEC a eu lieu ce mercredi 29 novembre. Joseph Gotte, doctorant contractuel au sein du Centre d’étude des discours, images, textes écrits et communication (Céditec) de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC) est venu nous présenter la “mise en discours de la situation écologique, entre Twitch et bouquins collapso”.
Analyse de discours et champ lexical
Joseph Gotte nous explique en premier lieu l’importance de l’analyse du discours comme champ de recherche ainsi que l’utilisation des différents champs lexicaux, notamment dans le cadre écologiste. L’analyse de discours comme champ de recherche s’intéresse essentiellement aux formulations et au contexte, au contraire de l’analyse de contenu, qui s’intéresse plutôt aux thèmes des discours. On oppose ainsi l’étude du fond et de la forme.
Ces discours reposent sur la réflexivité langagière, c’est-à-dire la capacité du langage à faire retour sur lui-même. La langue et le langage portent des enjeux autour de la dénomination, notamment dans le cadre de la situation écologique ; parler d’écologie c’est utiliser des termes qui permettent d’en parler mieux, ou mal. Par exemple, Camille Etienne, militante écologiste, recommande de parler “d’action délibérée de destruction du vivant” plutôt que “d’inaction climatique” afin de ne pas occulter le caractère actif de la force politique qui serait écocidaire.
Ce terme fait d’ailleurs partie de la stratégie de création de nouveaux mots, ou néologisme. L’écocide est une tentative juridique et langagière visant à désigner des comportements destructeurs sur les écosystèmes naturels et pointer vers une pénalisation concrète de ces comportements. Cette volonté de mettre des mots sur la situation écologique aboutit à un nouveau champ lexical.
Ces nouveaux lexiques posent la question des effets de cadrage, théorie bien connue en information-communication. Cette théorie postule que selon les mots et expressions utilisés dans un discours, une même question peut être envisagée sous différents angles. Le cadrage réel peut ainsi être influencé par les mots utilisés, qui participent aux enjeux de visibilité et invisibilité.
Face à l’importance du choix des termes, Joseph Gotte souhaite mettre en avant deux manières de présenter la situation écologique : l’urgence et l’effondrement.
L’urgence écologique comme outil de réaction
Le 13 mars 2022, s’est déroulée l’émission “Le débat du siècle” en direct sur la plateforme Twitch, dans le contexte de la campagne à l’élection présidentielle, présentée par Jean Massiet, streamer politique et Paloma Moritz, journaliste pour le média Blast. Cette émission était organisée par le collectif “L’affaire du siècle” (Greenpeace, Notre affaire à tous, Oxfam et Fondation pour la nature et l’Homme).
Cette émission est un exemple du tournant politique que prend la plateforme Twitch. Initialement connue et utilisée dans le domaine des jeux vidéos et du divertissement, la plateforme voit une arrivée croissante de médias d’information, de journalistes, de politiques… etc. Elle offre une série de promesses autour de l’image authentique, du parler vrai et du chat en temps réel, pouvant être vu comme un outil de revivification démocratique via l’interpellation en temps réel. On aperçoit alors le renouveau du “régime de proximité” à même de retenir l’attention de politiques désireux de séduire un électorat rajeuni.
L’émission “Le débat du siècle” cherche à mettre les candidats “face à l’urgence” climatique ou écologique. Dans le cadre de la campagne présidentielle, un baromètre est créé sur le temps d’antenne consacré à ces sujets. Il y a un enjeu autour de la mise à l’agenda politique et médiatique des questions écologiques. Face aux refus de certaines chaînes de télévision de diffuser l’émission, Twitch apparaît comme une alternative médiatique qui permet d’outrepasser le “gatekeeping” et le conservatisme des médias traditionnels. Ainsi, ce ne sont plus les journalistes qui décident de ce qui est une information pertinente à médiatiser. L’urgence écologique ou climatique n’est alors plus seulement un slogan, elle conditionne les choix éditoriaux et médiatiques. On assiste alors à un processus d’intrication et d’interdépendance des pratiques langagières et militantes.
Joseph Gotte s’interroge sur le cadre qui est donné à “l’urgence” climatique. Cela permet une lecture temporelle de la situation écologique qui instaure un délai. Il existe une perspective plutôt catastrophique de la situation écologique, mais on a un délai à disposition pour inverser la courbe ou au moins en amoindrir les effets. Cette vision est en opposition avec la pensée politique qui dit que le temps est permanent et est une éternelle courbe vers le progrès. Cette rupture dans le temps est qualifiée par un retour au présent. L'urgence est une perspective dans laquelle le présent devient le moment où il faut agir. Dans une perspective de modernité, le futur était jusqu’ici plutôt dominant. Aujourd’hui, le présent devient une catégorie dominante : c’est ce que l’on appelle le présentisme.
Le champ lexical autour du délai, de l’urgence, pose la certitude de la catastrophe à venir sauf si un changement de trajectoire est amorcé sans tarder. Mettre ainsi en avant la catastrophe et la préfigurer dans le présent est une manière de mobiliser tous les moyens à notre disposition pour éviter ce scénario.
L’effondrement écologique dans la lutte collapsologiste
Joseph Gotte nous explique que la notion d’effondrement a été mise en avant par la collapsologie. L’analyse du discours reprend alors toute son importance, notamment dans la contextualisation des circonstances sociales dans lesquelles ce discours se produit et circule. Joseph Gotte travaille sur des ouvrages, des vidéos, fait des entretiens et des observations afin d’étudier ce discours.
Ce qu’il ressort de cette analyse sont notamment les nuances apportées dans ce discours. L’effondrement est-il un événement majeur ou une série de petits effondrements qui vont se succéder ? Une question se pose également sur l’imminence de l’effondrement, est-il déjà engagé ? La plupart des adhérents à ce discours s’accordent sur le fait qu’il est imminent mais aussi déjà engagé, la colonisation serait déjà un effondrement pour certains, d’autres parlent de 2030 comme date de l’effondrement, de la fin du siècle, ou la fin du millénaire…etc. Pour certains il serait évitable, pour d’autres il serait déjà acté mais nécessiterait encore de savoir son ampleur et sa temporalité. Certaines personnes l'envisagent de manière catastrophique, pour d’autres il sera progressif dans le temps.
Lorsque l’on parle de l’effondrement, il est nécessaire de préciser de qui l’on parle ? De quoi ? S’agit-il d’une civilisation, notamment thermo-industrielle ? De l’extinction du genre humain ? Du monde vivant dans son ensemble ? Cela pose ainsi une question sur la responsabilité ? L’humanité dans son ensemble est-elle responsable de ce phénomène ? Faudrait-il cibler des responsables plus spécifiques ? L”anthropos”, le capitalisme, le productivisme…etc ?
Enfin, l’une des questions qui divisent le plus les adhérents de ce discours est de savoir si l’effondrement est désirable ou à redouter. Le désir serait expliqué par le fait qu’un système mortifère, détruisant le vivant, devrait s’effondrer.
Joseph Gotte finit par discuter du cadre donné à cet “effondrement”. Il pourrait fournir une lecture discontinuiste de la situation écologique. Dans certains discours, une dimension apocalyptique est donnée à la situation écologique, il faudrait alors étudier les bases sociologiques et discursives de cette vision.
Conclusion
L’urgence et l’effondrement abordent tous les deux la situation écologique, notamment via de probables ruptures et d’inévitables changements structurels. Il reste tout de même une question à se poser : sont-ils pour autant protégés d’une forme de récupération par un système qui saurait s’approprier les critiques qui lui sont adressées ? En effet, le système capitaliste a cette faculté à intégrer les critiques et à les diluer, les discours écologistes peuvent-ils tomber dans ce piège ?
D’après Aurélien Barrau, le vocabulaire serait constamment dévié de son sens et il faudrait sans cesse changer de termes. L’utilisation systémique et médiatique qui est faite du vocabulaire altère son propre sens. Ainsi, chaque groupe d’intérêt, chaque acteur politique, chaque organisation devrait donc faire un travail de réinvention de son propre discours.
Retrouvez d’autres articles portant sur le séminaire “Sciences, sociétés, communications” 2023 de la MSH Alpes dans le dossier Echosciences suivant : https://www.echosciences-grenoble.fr/dossiers/seminaires-sciences-societes-communications-msh-alpes-edition-2023
Article rédigé par Noé Bastard et Anaëlle Gateau, dans le cadre du master Communication et Culture Scientifiques et Techniques de l’Université Grenoble Alpes.