Et coule la rivière…mais quel est son débit?

Publié par Encyclopédie Environnement, le 16 mars 2020   7.4k

L’hydrométrie est la science qui cherche à mesurer le débit des rivières. Chaque cours d’eau suit un régime particulier, déterminé par le rythme des précipitations et les conditions locales du bassin de la rivière... Ainsi, tout oppose l’Amazone (fleuve le plus alimenté du monde, au cours extrêmement régulier), au Chari, fleuve africain très fantasque, dont le débit moyen d’une année sur l’autre varie du simple au double. Mais comment mesure-t-on ces débits ? Depuis l’Antiquité, dès qu’il est devenu dépendant de l’agriculture, l’Homme s’y est intéressé. Mais c’est un problème beaucoup plus difficile que sa familiarité pourrait laisser croire…

Pourquoi mesure-t-on le débit des rivières ? 

Mesurer les débits d’une rivière satisfait plusieurs objectifs :

  • annoncer les crues, pour protéger les biens et les personnes ;
  • dimensionner puis gérer les barrages (pour produire de l’électricité, irriguer les cultures, amortir les crues ou les sécheresses…) ;
  • mener des contrôles réglementaires, pour identifier les états de calamités (sécheresses, inondations), déterminer puis contrôler les règles de partage de l’eau entre usagers ;
  • accumuler des observations sur plusieurs dizaines d’années, tâche indispensable pour connaitre les évolutions du climat, sensibiliser les populations aux inondations, mieux connaître les sécheresses.  

On compte en France Métropolitaine environ 3000 stations mesurant les débits de rivière. Principalement exploitées par le Ministère de l’Environnement et des exploitants d’ouvrages hydroélectriques ou d’irrigation, plus de 80% sont télétransmises en temps réel.

 

L’Ouvèze à Vaison la Romaine ; le débit de cette rivière provençale peut passer de 0,1 m3/s (photo de gauche, été 1990) à près de 1200 m3/s (photo de droite, 22 septembre 1992). Le débit moyen annuel est proche de 6 m3/s. (crédit photo MJ Tricart, EDF)

 

Comment mesure-t-on le débit des rivières ?

Mesurer un débit est une opération complexe, ne pouvant être menée qu’en des points particuliers d’une rivière. Sauf cas très particulier, on ne peut pas réaliser un suivi direct du débit. C’est la hauteur d’eau que l’on mesure en continu, et il faudra ensuite la transformer en débit par une courbe de tarage. L’hydrométrie est une démarche en 4 étapes :

  • Mesurer en continu des hauteurs d’eau en un endroit où l’on peut construire une relation entre hauteur et débit dans la rivière,
  • Réaliser des jaugeages pour construire cette relation (courbe de tarage), qui permettra de convertir les hauteurs en débits,
  • Tracer cette courbe de tarage et suivre ses évolutions au cours du temps,
  • Convertir les hauteurs en débit, contrôler, puis mettre à disposition les débits ainsi calculés.

La mesure des hauteurs a pendant longtemps consisté en des lectures visuelles réalisées quotidiennement sur des échelles graduées. Le processus s’est aujourd’hui automatisé avec l’installation —en complément de ces échelles de référence— d’appareils enregistrant en continu les hauteurs d’eau. Ces dispositifs sont placés dans ou au contact avec l’eau. On privilégie désormais des capteurs fonctionnant hors de l’eau, moins fragiles car non soumis aux agressions directes de l’eau, des sédiments et autres que la rivière transporte.

 

Échelle sur le Niger à Mopti (crédit photo LTHE)

 

Des jaugeages sont menés sur toute la gamme des débits que peut atteindre la rivière (tant en sécheresse, moyennes eaux, que crues). Deux méthodes sont utilisées : l’exploration du champ des vitesses ou la dilution d’un traceur.

La première consiste à établir une carte la plus complète possible du champ des vitesses. Depuis le 18ème siècle, on a principalement utilisé des moulinets hydrométriques—une hélice tournant proportionnellement à la vitesse locale du courant. Depuis le milieu des années 1990, ces cartes de vitesses sont fréquemment établies par des sonars acoustiques, basés sur l’effet Doppler, outils venus de l’océanographie.


À gauche, moulinet hydrométrique ; la carte de vitesses est tracée par des mises en station de 30 à 40 secondes à plusieurs profondeurs et sur plusieurs verticales (crédit photo LTHE). À droite, mesure par sonar acoustique ADCP. Aujourd’hui, plus de 60 % des jaugeages sont effectués en France avec cette seconde technologie (crédit photo EDF).

Un jaugeage par dilution consiste à injecter dans la rivière un traceur et à suivre l’évolution de sa concentration. Lorsque le traceur s’est complétement mélangé dans l’eau, moins on retrouve de traceur en aval, plus le débit est important. Plusieurs générations de traceurs ont été historiquement utilisées, on privilégie actuellement les traceurs fluorescents (rhodamine) ou le sel de cuisine. Les jaugeages réalisés permettent de construire une relation entre hauteurs et débits, la courbe de tarage. Néanmoins la relation hauteur-débit, si elle est stable pour un temps donné, ne l’est pas forcément dans la durée. La végétation, l’intervention humaine, les crues peuvent modifier le profil d’écoulement de la rivière. Le suivi de la courbe de tarage conditionne ainsi une véritable stratégie de jaugeage, adaptée temporellement (fréquence annuelle des jaugeages ; selon les sites, elle peut varier de 4 à plus de 12) et en fonction des états d’eau (étiage, moyennes eaux, crues). Le suivi et le tracé de la courbe de tarage constituent le cœur de métier de l’hydrométrie.


À gauche : dispositif d’injection. À droite : la rhodamine entre dans le torrent. Le traceur (inoffensif vis-à-vis de la faune et la flore) ne colore pas l’eau. Sa dilution s’analyse ensuite par un fluorimètre (crédit photo EDF)


La technique a récemment évolué avec des dispositifs à demeure qui mesurent en continu la vitesse, soit en surface (radar de vitesse), soit dans l’écoulement (ultrasons).  Les principes de l’hydrométrie ne s’en trouvent pas fondamentalement changés : une relation associant hauteur, vitesse(s), débit reste à calibrer tout au long de l’exploitation du site de mesure.  

La conversion des hauteurs en débit, la critique des résultats, l’archivage en base de données constituent le dernier volet du métier de l’hydrométrie.  

Des tests de cohérence sont menés sur les enregistrements à la station :

  •  avec les autres sites de mesure en amont et en aval,
  • avec les historiques d’ores et déjà constitués à la station, par comparaison avec les années précédentes.
  •  

Tout le processus est itératif, et peut conduire à remettre en cause la courbe de tarage et donc redéfinir son tracé, voire la stratégie de jaugeage. Des informations obtenues longtemps après l’occurrence de l’évènement hydrologique (nouvelles observations et contrôles) peuvent amener à largement modifier les résultats publiés à une station.  On admet un délai de dix huit mois à deux ans pour que l’information soit fiable.  

Déterminer la précision des mesures effectuées reste un important champ d’investigations. On considère que sur les meilleures stations (celles où l’étalonnage peut être bien suivi avec moins de 4 ou 5 jaugeages par an), les débits courants —rencontrés 80 % du temps— sont mesurés à mieux que 5% près.

Quels enjeux aujourd’hui pour l’hydrométrie ?

L’hydrométrie est un processus peu automatisable, qui nécessite des déplacements sur le terrain et constitue une vraie tâche d’artisan associant technique de mesure, physique des écoulements, connaissance du cycle de l’eau. Le coût d’exploitation annuel d’une station de mesure est ainsi toujours supérieur au coût d’investissement pour création du point de mesure. L’hydrométrie est donc une tâche de longue haleine, où les à-coups budgétaires pèsent fortement sur la qualité des données produites.  

L’hydrométrie est également un processus complexe, car intervenant sur le milieu naturel, exposé aux intempéries, et où les temps de production d’un résultat peuvent être longs. Ainsi, entre une information donnée à chaud (voire ayant servi à prendre une décision) et une donnée fiabilisée après critique, découverte d’éléments nouveaux, des différences significatives peuvent apparaître (du simple au double pour une valeur atteinte en crue ou sécheresse) et ceci plusieurs années après sa survenue.  

Enfin, l’hydrométrie est un processus en devenir : les nouvelles technologies d’imagerie et de communication vont augmenter les flux de données collectées. Rapidement vont se poser les questions du traitement de ces observations, de leur contrôle, de leur conservation, et des compétences accompagnant cette massification d’informations. Tout ceci répondant à une véritable demande sociale de meilleure connaissance des milieux, de réduction de la vulnérabilité aux aléas, dans les défis actuels de dérèglement climatique et de préservation de la biodiversité.

 



Ce billet, tiré de l’article https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/hydrometrie-mesurer-debits-dune-riviere/,

a été proposé par Christian Lallement, ancien Directeur à l'Unité de Production Hydraulique Alpes d’EDF, ancien président de la Commission Française de Normalisation de mesures de débits en rivière.