Machines & personnalités : Quelques icônes de l’Histoire du calcul (2/10 année 2019)
Publié par ACONIT (Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique), le 19 février 2019 4.1k
Photo d'en-tête : maquette du mécanisme interne de la Pascaline, photo ACONIT.
Par Cyrielle Ruffo, Chargée de mission Valorisation du patrimoine, ACONIT.
Le calcul tient une place très importante au sein des civilisations : utilisé quotidiennement, il est la base de toute société et sert dans de nombreux domaines, notamment dans le commerce, vivier de chaque communauté humaine depuis les premiers temps des êtres humains sur Terre.
l’Homme a tout d’abord appris à compter sur ses doigts pour ensuite utiliser des moyens plus élaborés : bâtons, cailloux, petites boules de terre cuite pour favoriser la mémorisation des nombres. Le mot « calcul » vient du latin « calculus » qui signifie « petits cailloux », utilisés chez les Romains et d’autres peuples pour effectuer plus facilement des opérations.
Avec l'évolution des chiffres, des domaines ainsi que des métiers nécessitant de bien savoir calculer, ces systèmes de bâtons et de boules devinrent obsolètes. Au fil des siècles, quelques hommes ont par la suite inventé des appareils plus complexes, élaborés et performants, capables de résoudre des opérations plus difficiles. Cet article s’attèlera à présenter rapidement l'évolution des machines à calculer à travers l’étude de trois objets : la Pascaline, la calculatrice Brunsviga ZK 13 ainsi que la calculatrice Monroe LA-105, trois témoignages sur l’évolution des machines à calculer entre le XVIIe siècle et le XXe siècle.
La Pascaline : première machine à calculer opérationnelle
Cette machine, totalement mécanique, fonctionnant grâce à la main de l'homme, se présente sous la forme d’un boîtier rectangulaire en laiton, agrémenté de roues d’inscriptions et de deux rangées de lucarnes permettant d’afficher les chiffres. Le nombre de roues sur la face avant de la machine dépendait du type d’unité avec laquelle l’opérateur souhaitait calculer (les toises, les livres ou les deniers). Le mécanisme interne de la machine, composé d'engrenages, était inspiré des systèmes mécaniques présents dans les moulins à eau de l'époque.
Pour réaliser son calcul, l’utilisateur faisait tourner les roues à l'aide de ses doigts comme sur un cadran téléphonique. Chaque roue, de droite à gauche, représentait les unités, les dizaines, les centaines jusqu’aux dizaines de millions. Si une opération nécessitait un changement de dizaines (comme par exemple pour calculer 7+5+8), la roue en mouvement, après un tour complet, faisait bouger celle de gauche pour le passage de la retenue, à l'aide d'un petit sautoir installé dans le mécanisme intérieur. Le résultat de l'addition obtenue était affiché dans les petites encoches situées au-dessus des roues d'inscription.
Pour retracer les différentes améliorations des machines à calculer, il est important d’évoquer cette Pascaline, toute première machine à calculer fonctionnelle. Avant le XIIe siècle, les connaissances sur les nombres n’étaient pas assez suffisantes pour concevoir un appareil de calcul, il faut attendre la première moitié du XVIIe siècle pour voir apparaître l'oeuvre de Blaise Pascal.
C’est donc en 1642 que le jeune homme, alors âgé de 19 ans, invente ce qui est considéré comme l'une des ancêtres des calculatrices. L’idée de la création d’une telle machine s’imposa grâce au contexte familial dans lequel vivait le mathématicien : son père Etienne, alors surintendant de la Haute-Normandie, devait gérer les rentrées d’argent de cette circonscription. Désireux d’aider son père dans cette mission fastidieuse, Pascal imagina alors une machine rendant possible la résolution d’opération, la fameuse Pascaline.
Un des exemplaires de la Pascaline, conservé au Musée des Arts et Métiers (source : http://www.savoirs.essonne.fr/...)
Malgré son caractère exceptionnel pour l’époque, les possibilités d’utilisation de la Pascaline restaient limitées. Tout d'abord, la machine ne permettait que la résolution d’additions et de soustractions. De plus, sa précision a également été remise en cause : ne disposant pas d'un mécanisme parfaitement au point, les calculs pouvaient parfois être erronés. Machine novatrice mais pensée avec un système qui pouvait parfois se montrer défectueux, elle montre les premiers tâtonnements dans la conception des machines à calculer. Pourtant, cela ne l'a pas empêchée de devenir une réelle source d’inspiration pour les inventeurs suivants qui ont apporté leur contribution dans le domaine.
Dureté et solidité : l'exemple de la calculatrice Brunsviga 13 ZK
La Brunsviga 13 ZK témoigne des progrès et changements des appareils de calcul, avec son esthétique différente des machines du XVIIe et du XVIIIe ainsi que ses caractéristiques techniques. Elle est composée d’un coffre en fonte noir très solide, agrémenté d’un clavier avec des roues dentées, de plusieurs manivelles, d'un chariot mobile, d'un compteur et d'un totalisateur à dix chiffres. Quelques éléments, comme les manivelles, ne sont pas utilisés sur les instruments des siècles précédents. Contrairement aux appareils plus anciens comme la Pascaline, elle est capable d’effectuer les quatre types d’opérations : additions, soustractions multiplications et divisions. Cette machine proposait également d'autres nouvelles fonctionnalités absentes sur les calculatrices moins récentes, comme l'ajout d'une manivelle pour remettre les chiffres à zéro.
Effectuer un calcul sur la Brunsviga demandait quelques manipulations, la machine étant plus élaborée : l'opérateur inscrivait les chiffres à l'aide des roues du clavier et tournait la grande manivelle de gauche pour lancer la résolution de l'opération, en avant pour une addition et en arrière pour une soustraction. Le résultat obtenu pour ces deux types d'opérations s'affichait directement dans les petites encoches en bas du clavier, sur le chariot, qui permettait d'éviter à celui qui l'utilisait de faire trop de tours de manivelles. Pour résoudre une division ou une multiplication, l'utilisateur devait transcrire les chiffres à la fois dans l'inscripteur et le totalisateur.
Calculatrice Brunsviga 13 ZK (source : http://www.schneemann.de/Bruns...)
Depuis le XVIIe siècle, les appareils prédécesseurs des vraies calculatrices, comme nous les connaissons aujourd’hui, n’auront de cesse de s’améliorer : en 1694, soit cinquante-deux ans après l’invention de la Pascaline, Leibniz créa une machine capable de réaliser n’importe quelle opération de calcul simple en s’inspirant de celle-ci. Deux siècles plus tard, Charles-Xavier Thomas invente son arithmomètre, vendu en masse. Mais c’est seulement à la fin du XIXe siècle, en partie grâce à l'essor des industries, que les calculatrices vont se développer avec l’invention des appareils doté d'un système particulier, mis au point par l’ingénieur suédois Odhner en 1878, comme la calculatrice Brunsviga 13 ZK présentée ci-dessus, conçue en 1925.
La Brunsviga atteste des transformations dans la conception des machines à calculer au XIXe siècle, de par son apparence et les progrès mécaniques apportés visibles sur ce modèle. Fiables, fonctionnelles et très populaires dans les années 1880, ces appareils, comme celui présenté ci-dessus, faisaient partie des premières machines utilisées dans les bureaux des comptables jusque dans la première moitié du XXe siècle, avec d’autres marques comme Burroughs et Marchant. Ces instruments furent également les premiers à être utilisés au sein des entreprises à Grenoble. Malgré l'arrivée d'appareils bien plus performants, les Brunsviga étaient parfois même toujours employées à la fin des années 1960. Comme la Pascaline, son utilisation se fait manuellement, mais le XXe siècle va voir apparaître les premiers systèmes de machines semi-automatisés.
Vers une automatisation progressive : étude de la calculatrice Monroe LA5-160
Visuellement, la calculatrice Monroe montre une évolution notable : l’ensemble est composé d’un caisson noir, gris et vert, agrémenté non plus d'un clavier mécanique mais de touches blanches, fraîchement intégrées dans certains nouveaux appareils électro-mécaniques. La calculatrice comporte également un chariot placé au-dessus du caisson, qui permettait de bloquer un nombre pour réaliser divisions et multiplications. Cet appareil, produit durant la première moitié du XXe siècle, témoigne d'une grande avancée importante, qui le démarque des deux premiers instruments présentés : l'intégration du courant électrique dans les machines. En effet, la calculatrice Monroe était alimentée en électricité via un câble, inséré dans une prise à l’arrière de du caisson.
Effectuer une opération sur cet instrument était plus simple que sur les deux machines précédentes. Outre les quelques manipulations à faire pour les multiplications par mouvement du chariot, l'utilisateur tapait sur les touches et inscrivait les nombres qui apparaissaient dans le compteur tout en haut. Le résultat était affiché sur le totalisateur, qui pouvait afficher un nombre à seize chiffres, soit 6 de plus que la Brunsviga ! De plus, grâce au courant électrique, la division se faisait même de manière totalement automatique.
Peu à peu, les calculatrices avec un système entièrement mécanique sont supplantées par des machines dotées d’un moteur, dans le but de faciliter la saisie des opérations, comme le montre ce modèle de Monroe. Les nouvelles machines devenaient alors plus ergonomiques, faciles à utiliser, et se rapprochaient de plus en plus des machines totalement automatiques telles que nous les connaissons actuellement.
Calculatrice Monroe LA-105, sauvegardée à l'ACONIT (photo ACONIT)
Cet appareil est une vraie constatation des améliorations apportées aux calculatrices : avec le passage d’un mécanisme purement manuel à électro-mécanique, les nouvelles calculatrices comme la Monroe étaient plus pratiques et évitent à l’utilisateur toutes les manipulations nécessaires à effectuer sur une calculatrice mécanique. Les derniers modèles, plus évolués que la Monroe, assuraient même une automatisation des divisions et multiplications, ce qui permettait plus de possibilités de calculs.
La Pascaline, la Brunsviga ZK 13 ainsi que la Monroe LA5-160 illustrent bien les développement successifs apportés par les inventeurs au fil des siècles, avec un passage progressif des machines à calculer mécaniques entièrement manuelles, gourmandes en manipulations, à des calculatrices de plus en plus automatisées, performantes, fiables et surtout plus faciles d’utilisation, avec la réduction du nombre de touches sur les claviers pour les modèles conçus à la fin du XXe siècle. Mais c’est uniquement à partir de la fin des années 40 que les premières calculatrices entièrement électroniques sont apparues sur le marché, avec une miniaturisation de plus en plus croissante des composants et par conséquent des appareils, ressemblants de plus en plus à nos calculettes de poches, sur lesquelles il suffit juste d'appuyer sur quelques touches pour réaliser même les opérations les plus complexes !
A ce jour, quelques-uns de ces appareils sont conservés au sein de diverses institutions, associations ou musées. L'ACONIT sauvegarde dans ses réserves un exemplaire de ces machines à calculer, dans une salle dédiée à l'Histoire du Calcul. Contrairement au Musée des Arts et Métiers et au Musée Henri-Lecoq, l'association ne possède pas de Pascaline originale, mais une reproduction du système interne pour montrer le fonctionnement de la machine (voir la photo de couverture). Entretenir le souvenir de ces appareil précurseurs est essentiel car les différents changements permettent de nous rendre compte de l'avancement de quelques progrès techniques au cours de l'Histoire, progrès qui se transposent sur ces trois modèles de machines à calculer.
Pour en savoir plus sur les trois objets présentés :
Fiche inventaire ACONIT de la maquette de la Pascaline : http://db.aconit.org/dbaconit/...
Fiche inventaire ACONIT de la calculatrice Brunsviga 13 ZK : http://db.aconit.org/dbaconit/...
Fiche inventaire ACONIT de la calculatrice Monroe LA-105 : http://db.aconit.org/dbaconit/...