Machines et personnalités : Seymour Cray, l’homme aux super-calculateurs (5/10 - année 2019)
Publié par ACONIT (Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique), le 20 mai 2019 3k
Photo de couverture : Seymour Cray présentant le Cray-1 (source : StarTribune)
Par Cyrielle Ruffo et Maurice Geynet, chargés de mission à l’ACONIT
Originaire des Etats-Unis, Seymour Cray a marqué de son empreinte le monde de l’informatique. Travailleur et appliqué, cet homme a dédié sa vie à la conception d’ordinateurs toujours plus puissants. Nous proposons un retour sur sa vie dans ce cinquième article de notre série 2019, consacré cette fois à une personnalité de l’informatique.
La course aux « super calculateurs »
Tout d’abord, parlons un peu de ce qui a fait le succès de ce remarquable électronicien : après ses quelques années de travail pour une entreprise spécialisée en informatique, Cray se retrouva embauché dans une grande entreprise, appelée « Control Data Corporation » , « CDC » en abrégé, au sein de laquelle débuta sa grande ambition : construire l’ordinateur le plus puissant au monde !
Le CDC 6600 (source : Wikipédia)
Au début des années 1960, Cray fabriqua sa première gamme composée de quatre super-calculateurs appelée « CDC », à l’image de cette société. Ainsi est conçu le CDC 1604, première machine de la série. L’appareil qui lui succéda, le CDC 6600, était une nouveauté en matière d’informatique, puisqu’il fut le premier super-calculateur à utiliser un système de refroidissement par gaz frigorifiant, pour certains de ses composants internes. Ce processus de rafraîchissement permettait d’éviter la surchauffe et d’optimiser le bon fonctionnement des circuits de la machine. A force de persévérance, de travail et de recherches, la lignée des ordinateurs CDC atteignit son apothéose avec l’arrivée du CDC 7600, doté de performances imbattables pour l’époque, puisque capable d’effectuer 36 millions d’opérations flottantes en une seule seconde. Cette dernière réalisation plaça Seymour Cray et sa société en première position dans le domaine de l’innovation informatique.
Après un ultime projet, resté en état de prototype, le CDC 8600, Seymour Cray lança une nouvelle société portant son nom, « Cray Research Corporation », et avec elle une nouvelle gamme de super-calculateurs, qui arboraient également son nom. A la fin des années 1960, il commença donc la conception du Cray-1, annoncé comme 2 à 8 fois plus puissant que l’ordinateur considéré comme le fleuron des super-calculateurs, le CDC 7600. Il était doté d’un système d’exploitation très peu sophistiqué, qui consommait peu de temps d’unité centrale pour laisser le plus de temps au calcul lui-même. Mais Cray, qui possédait des ressources et des fonds financiers importants, continua sa remarquable épopée pour obtenir le super-calculateur le plus performant avec l’arrivée du Cray-2, neuf ans après la sortie de son prédécesseur. Cette machine surpuissante était pourvue de presque 2 gigaoctets de mémoire, une révolution pour l’époque.
Ces super-calculateurs, inventés par Cray, ont permis bon nombre d’avancées dans des domaines divers et variés, comme la météorologie ou la biologie. De nombreux géants de la recherche se sont également dotés de ces appareils, comme le CERN ou le CEA, mais aussi de grandes sociétés comme la SNCF et EDF.
Un génie en devenir
Nous l’avons compris, la conception des super-calculateurs a rythmé toute l’existence de Seymour Cray. Sa passion pour l’informatique et l’électronique émergea très tôt dans sa vie, dans un environnement propice au développement de ses compétences.
Seymour Cray naquît le 28 septembre 1925 à Chippewa Falls, une modeste localité du Wisconsin. Encouragé par sa mère et son père, lui-même ingénieur, Cray suivit les traces de ce dernier et se passionna dès l’enfance pour la technologie, en bricolant divers appareils de la vie quotidienne.
Cet engouement ne le quitta pas tout au long de son parcours scolaire et fut mis à profit pendant la Seconde Guerre Mondiale : engagé en tant qu’opérateur radio en 1943, sa mission était de décrypter les messages chiffrés des forces adverses, une aubaine pour exploiter ses grands talents de bidouilleur !
A l’issue du conflit, il reprit ses études et entreprit tout d’abord un cursus au sein de l’université de son état d’origine, avant d’être diplômé en génie électrique à Minneapolis. Par la suite, sa carrière professionnelle commença au sein de l’entreprise Engineering Research Associates (ou ERA), pour ensuite être embauché chez UNIVAC. Travailler dans cette nouvelle société spécialisée en informatique permit à Seymour Cray de créer sa toute première machine en 1953, nommée « UNIVAC 1103 », un imposant modèle commercial conçu sur la base d’un autre ordinateur destiné à un usage militaire. Cette première expérience, ainsi que son départ de la firme, quatre ans plus tard, marqua le début de sa grande épopée, celle de concevoir l’ordinateur le plus rapide et le plus puissant au monde.
Marié deux fois et père de quatre enfants, son travail resta très présent dans la vie personnelle de Cray : entre hobbies et vie familiale, l’ingénieur trouvait toujours du temps pour avancer sur ses projets. Tous ses travaux sur les super-calculateurs laissèrent un héritage non négligeable dans le domaine de l’informatique.
Seymour Cray, sa femme et ses collaborateurs devant le Cray-1 (source : Tardis)
Fin de vie, hommages et héritage
Après le succès triomphal de Cray avec ses dernières productions, sa vie prit un nouveau tournant, puisqu’après la sortie du Cray-2, l’homme d’affaire connut une période difficile. Après la création d’un laboratoire dans l’Ouest des Etats-unis, qui fonctionna trois ans avant d’être contraint à la fermeture, il fonda une nouvelle entreprise baptisée « Cray Computeur Corporation » à la fin des années 1980, avec comme objectif la conception d’un nouveau super-calculateur, plus puissant que les deux précédents « Cray », grâce à l’emploi d’un nouveau composant à l’arséniate de gallium dotant l’appareil d’une rapidité plus importante. Malgré la performance du Cray-3, la vente de cette nouvelle machine fut un échec et sa société fit faillite en 1995. Un an plus tard, l’informaticien fut victime d’un accident de voiture et décéda de ses blessures quelques semaines plus tard. Même après son décès, son entreprise perdura et continua de fabriquer des nouveaux modèles de Cray jusque dans les années 2000.
En hommage à l’ingénieur et à ses travaux remarquables, un prix « Seymour Cray » a été créé par une association américaine dédiée au domaine de l’informatique. Cette distinction est décernée pour récompenser ceux qui se sont illustrés dans leurs projets sur les super-ordinateurs. Il existe également un prix Seymour Cray décerné par le CNRS.
« Je suis censé être un scientifique, mais j’utilise plus l’intuition que la logique pour prendre des décisions fondamentales. »
Telle est la phrase utilisée par Seymour Cray pour qualifier sa manière de travailler. Et quelle intuition, puisque la grande saga de Cray et des super-calculateurs offrit un témoignage exceptionnel et précieux en matière d’informatique. Ses travaux, reconnus au niveau mondial, ont révolutionné cette discipline. Par son travail technique sur les éléments internes de ses machines, de plus en plus performantes, l'homme d’affaire et ingénieur émérite fut considéré, au même titre que Gene Amdahl pour IBM, comme un grand architecte des ordinateurs.
Sources :
- articles en anglais sur Seymour Cray