Loi sécurité globale : ruine progressive des libertés publiques.

Publié par Yannick Chatelain, le 23 avril 2021   1.2k

Cette loi de sécurité globale, supposée garantir plus de sécurité en préservant les libertés, porte naturellement atteinte aux libertés publiques.

Par Yannick Chatelain. Professeur Associé à Grenoble École de Management, GEMinsights Disseminator.

Le Parlement a définitivement adopté le jeudi 15 avril la proposition de loi très controversée sur la « sécurité globale ».

Comme la majorité s’y était engagée, l’article 24, vivement critiqué  jusqu’au Conseil de l’Europe, a été réécrit. Dans sa mouture originelle ce dernier prévoyait  de pénaliser la diffusion de certaines images de policiers, il avait été alors  « accusé de porter atteinte à la liberté de la presse, mais aussi d’être une tentative d’invisibilisation des vidéos de violences policières. »

En lieu et place est né un nouveau délit intitulé  «provocation à l’identification». Ce nouveau délit de « provocation à l’identification », inscrit dans le Code pénal, punira de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende le fait de provoquer, « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification » d’un policier, gendarme, douanier ou policier sanctionné.

Nous passons ainsi dans cette nouvelle rédaction d’un article très flou à… flou.

Comme le souligne à juste titre Élise Letouzey, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Amiens :

Si le droit pénal connaît la provocation, il réprime généralement la provocation à commettre des infractions. Or, ici n’est réprimée que la provocation à l’identification, fait qui, en soi, n’est pas punissable. Le seul autre exemple analogue en droit pénal est la provocation au suicide […] on peine à imaginer concrètement quels seront les agissements qui pourront correspondre au délit.

Sécurité globale et usage des drones : des garde-fous fragiles

En outre, la loi de sécurité globale intègre dans son article 22 l’usage de la vidéo surveillance et des drones.

Pour rappel, en 2020, le Conseil d’État avait dû par deux fois ordonner à l’État de cesser la surveillance de Paris via des drones, utilisés – entre autres –  pour surveiller les manifestations en toute illégalité !

Dans la même dynamique de transgression décomplexée de la loi, le 12 janvier 2021 la formation restreinte de la CNIL avait sanctionné le ministère de l’Intérieur pour avoir utilisé de manière illicite des drones équipés de caméras, notamment pour surveiller le respect des mesures de confinement.

En février 2021 elle avait appelé les législateurs à plus de précision sur l’utilisation de drones de vidéosurveillance, actant « du changement de paradigme, en matière de captation d’images par les autorités publiques, lequel ne doit pas en effet être sous-estimées dans le contexte de la montée de la mise en place d’une société dite de surveillance« .

Force est de constater que raison a, in fine, été donnée à l’obstination de l’exécutif, puisque l’article 22 de la proposition de loi définit le régime juridique de l’usage des drones par les forces de l’ordre.

Le Sénat a limité les cas et les situations de recours par les acteurs autorisés (forces de l’ordre, sapeurs-pompiers, personnels de la sécurité publique) en interdisant un recours systématique, le recours à la reconnaissance faciale, le croisement de données et en imposant avant tout usage (pour une opération de police) une autorisation auprès du préfet, du procureur ou du juge d’instruction. Ces garde-fous m’apparaissent bien fragiles.

Sauf erreur ou omission, dans la situation actuelle un simple décret est nécessaire et suffisant pour ne pas en tenir compte. Au demeurant, même en l’état, un nouveau pas a été franchi dans les modalités de surveillance de la population. Au rythme effréné de la mise en place d’une société de surveillance qui semble être engagée (nonobstant la période particulière où ces lois sont votées), il n’apparaît malheureusement pas utopique de penser que tous les interdits actés dans cette loi feront un jour prochain l’objet de nouveaux débats, pour tenter d’être abrogés au motif d’une plus grande efficacité.

Rappelons à ce titre que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’était opposé au régime d’autorisation que les sénateurs avaient introduit en commission y voyant une procédure qui irait « alourdir le travail de la police ». Il est vraisemblable que ce dernier n’a pas changé d’avis.

Ainsi, cette loi pour la sécurité globale supposée garantir davantage de sécurité en préservant les libertés, porte une nouvelle fois atteinte aux libertés publiques. En stipulant les garde-fous – qui auront été contestés – inutiles d’être grand clerc pour prédire que ces derniers seront demain remis en cause au motif d’une plus grande efficacité.

La liberté de manifester menacée

Comme s’en inquiétait la présidente de la CNIL Marie-Laure Denis lors du débat autour de cet article :

La surveillance des rassemblements des personnes est particulièrement délicate puisqu’elle intervient dans le champ de l’exercice de la liberté de manifester.

À noter par ailleurs, que sur amendement du gouvernement, à titre expérimental pour cinq ans, les policiers municipaux pourront également recourir à des drones pour « assurer l’exécution des arrêtés de police du maire« .

Quant à la durée de stockage des images, elles ne peuvent être conservées que pour une durée de 30 jours sauf si elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire.

Petit pas à petits pas, la société de surveillance gagne du terrain en France, le quadrillage de l’espace public pour notre sécurité à tous se fait de plus en plus oppressant, le droit à la vie privée est ipso facto attaqué, pour la bonne cause, avec des garde-fous aux pieds d’argile !

Quelle sera l’étape suivante ? C’est un secret de polichinelle que de dire que la sécurité sera l’un des enjeux majeurs des présidentielles en approche, le risque de la surenchère en matière de surveillance et de nouvelles atteintes à la vie privée est prévisible. Cette surenchère se fera sous les applaudissements de ceux qui affirmeront que « cela ne les dérange pas parce qu’ils n’ont rien à cacher », un argument qui n’a rien à envier à ceux qui diraient que « la censure et les atteintes à la liberté d’expression ne les dérangent nullement parce qu’ils n’ont rien à dire. »

Une semaine avant l’adoption de la Loi de Sécurité globale, le 7 avril 2021, Agnès Callamard la secrétaire générale d’Amnesty International, alertait sur la situation française : 

L’espace de débat public, l’espace pour la réalisation des droits civiques et politiques est en train d’être réduit.

L’association décernait un carton rouge à la France, estimant cette dernière engagée dans une politique « extrêmement nocive, problématique, et possiblement même dangereuse pour l’ensemble des droits et libertés en France. »

Loi sécurité globale : l’encre n’a pas fini de couler !

Depuis son vote, par-delà les difficultés à manifester inhérente à la période, les opposants à cette loi demeurent mobilisés, des recours sont en approche, des élus de gauche ont annoncé qu’ils allaient saisir le Conseil constitutionnel.

Dans le même temps plusieurs associations décidaient d’envoyer des mémoires (appelés portes étroites) au Conseil constitutionnel : la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, la Quadrature du net, Droit au logement…

Du côté de l’exécutif –  et pour ce qui concerne l’article 24 – le Premier ministre avait annoncé devant les députés en novembre 2020 qu’il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel au terme du processus législatif et avant sa promulgation… Il reste dès lors à attendre, et que parole soit tenue.

Deux choses sont cependant établies :

  • Si cette loi a déjà fait couler beaucoup d’encre, celle-ci n’a pas encore cessé de couler.
  • Si un cadre juridique fragile et flou a été posé, il est extrêmement préoccupant de constater que l’exécutif a, en amont de ce cadre, régulièrement transgressé le droit.

"L’endoctrinement n’est nullement incompatible avec la démocratie. Il est plutôt, comme certains l’ont remarqué, son essence même. C’est que, dans un État militaire, ce que les gens pensent importe peu. Une matraque est là pour les contrôler. Si l’État perd son bâton et si la force n’opère plus et si le peuple lève la voix, alors apparaît ce problème. Les gens deviennent si arrogants qu’ils refusent l’autorité civile. Il faut alors contrôler leurs pensées. Pour se faire, on a recours à la propagande, à la fabrication du consensus d’illusions nécessaires."

Noam Chomsky


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