Les vacances à la neige sont-elles éternelles ?
Publié par Hugues François, le 8 février 2024 1k
Alors que les vacances d’hiver pointent le bout de leur nez dans un contexte quasi printanier, la question de l’avenir des stations de sports d’hiver se pose avec force dans le contexte du changement climatique. Les médias sont nombreux à pointer le manque de neige dans les domaines skiables, notamment en moyenne montagne. Skiera-t-on pour les vacances de février ? Et jusqu’à quand pourra-t-on skier dans nos zones de montagne ? Cette question, la Cour des Comptes se la pose également dans son rapport de 2024 !
Hugues François (INRAE Grenoble - LESSEM), Lucas Bérard-Chenu (INRAE Grenoble - LESSEM /CNRM) et Samuel Morin (CNRM - UMR Météo France/CNRS) proposent un éclairage à l'aune de leurs travaux de recherche
La question de l’enneigement en montagne figure parmi les enjeux identifiés par la communauté scientifique spécialisée dans l’étude du climat, en témoigne par exemple la production d’un rapport spécial sur le sujet produit par le GIEC en 2019. Le manteau neigeux résulte de la combinaison des précipitations et de températures suffisamment basses pour qu’elles se produisent sous forme solide. Il est donc directement concerné par le réchauffement climatique. La présence de la neige est par ailleurs nécessaire à l’activité des stations de sports d’hiver. Avant même de parler de tendance à la baisse de l’enneigement, ce dernier est très variable d’une année sur l’autre alors que les investissements dans les domaines skiables s’inscrivent dans une perspective pluriannuelle. Pour installer des appareils tels que des remontées mécaniques, il faut réaliser des investissements substantiels qui impliquent des charges fixes conséquentes à moyen terme. Ces rigidités économiques des stations de sports d’hiver sont difficilement compatibles avec la variabilité naturelle des conditions d’exploitation. De ce fait, la gestion de l’enneigement des domaines skiables est rapidement devenue une question importante.
Le développement des stations sous leur forme actuelle est relativement récent. Il a pris tout son essor dans les années 60-70. La dynamique d’aménagement fortement soutenue par les pouvoirs publics ne laissait guère de place aux remises en question mais s’est confrontée brutalement au manque de neige dès la fin des années 1980 avec la succession de deux hivers “sans neige” consécutifs lors des saisons 89-90 et 90-91. Au-delà de la critique quant aux choix d’aménagement des stations de montagne, alors que la dynamique de construction originelle s’est fortement ralentie, voire arrêtée en ce qui concerne la création de stations nouvelles, la gestion de l’enneigement a pris un tour nouveau avec le développement des techniques de production de neige, également désignée comme neige artificielle pour les uns ou neige de culture pour les autres.
Ces techniques ont profondément modifié les contraintes d’exploitation des domaines skiables et leur usage est devenu ordinaire dans les stations de sports d’hiver. Pour autant, les premiers travaux sur l’impact du changement climatique sur les conditions d’exploitation des domaines skiables, dans les années 1990 ne tenaient pas explicitement compte de la production de neige. Alors que les conditions climatiques sont devenues de moins en moins favorables, la production de neige conduit à lisser la variabilité naturelle et a contribué à améliorer les conditions d’exploitation. Forts de cette capacité de gestion, les exploitants ont été moins enclins à appréhender un discours perçu comme décalé par rapport à leur vécu sur le terrain, du fait de la différence entre les conditions naturelles et sur les pistes de ski (différence particulièrement marquée dans les Pyrénées à l’aube des vacances d’hiver 2024). En outre, bien que dans le top 3 des destinations mondiales de ski, la communauté scientifique française a abordé relativement tardivement cette question scientifique. Le rapprochement des équipes du LESSEM (INRAE Grenoble) spécialisée dans l’étude des dynamiques territoriales en montagne et du Centre d’Etudes de la Neige (CNRM, Météo-France - CNRS) a permis d’aller plus avant dans la connaissance de l’enneigement en prenant en compte les pratiques de gestion de la neige, non seulement la production de neige mais également le damage.
Mieux comprendre ces pratiques requiert une approche interdisciplinaire mobilisant à la fois la connaissance de l’organisation des domaines skiables, de la physique de la neige et du climat en zones de montagne en les complétant par la compréhension des pratiques de gestion de la neige en domaine skiable. L’assemblage de l’ensemble de ces éléments a permis de constituer une méthode originale d’évaluation des effets du changement climatique appliquée aux stations des Alpes françaises dans un premier temps, puis réplicable dans différents contextes tels que les Pyrénées avant d’être adaptée et étendue à l’ensemble des stations européennes (un résumé en français focalisé sur les massifs métropolitains). Ces travaux ont permis de définir formellement ce qui caractérise une situation de faible enneigement dans un domaine skiable donné, et le risque climatique de faible enneigement, calculé en référence à la récurrence des saisons où les conditions d’exploitation sont défavorables.
Les résultats à l’échelle des Alpes françaises montrent qu’il est projeté que les plus mauvaises conditions connues une saison sur cinq par le passé sont amenées à se reproduire une année sur deux d’ici le milieu du 21ème siècle, avec de grandes différences d’une station à l’autre (voir ci-dessous). La production de neige permet en général d’améliorer les conditions d’exploitation mais la capacité de production dépend elle-même des conditions météorologiques. Les projections indiquent que le besoin est susceptible d’augmenter alors que les possibilités de production diminuent. Ces conclusions restent très dépendantes de la situation individuelle des stations de sports d’hiver. Cette hétérogénéité a été particulièrement soulignée par la comparaison des différents massifs européens. L’intensité et vitesse auxquelles les effets du changement climatique se manifestent sont très contrastées entre les différents massifs.
Cette hétérogénéité se manifeste à toutes échelles, et existe également entre les stations au sein de chaque massif. Ces différences et particularités empêchent de considérer la production de neige comme une solution d’adaptation dont le bénéfice et les enjeux sont similaires pour l’ensemble des stations. Ce constat est renforcé par la multiplicité des facteurs à considérer pour définir une stratégie d’adaptation propre à chaque territoire support de station. Au niveau de la filière neige, la question de la disponibilité de la ressource en eau et de son partage entre différents usages (y compris ceux des écosystèmes) est centrale. Elle l’est d’autant plus que l’adaptation d’autres activités, pouvant potentiellement prendre le relais du tourisme de ski peuvent également dépendre de sa disponibilité. Ainsi, il est difficile de se cantonner à une approche sectorielle sans s’intéresser aux interactions d’une filière avec le tissu social et économique à l’échelle d’un territoire.
Dans le contexte de l’évolution climatique actuelle, la filière neige a répondu par le déploiement de nouvelles technologies et de savoir-faire pour compenser le manque d’enneigement naturel. Pour autant, cette stratégie n’est pas sans risques au regard des perspectives d’évolution climatiques et socio-économiques. Les efforts réalisés pour soutenir la filière risquent de se confronter à des retombées positives de plus en plus contraintes et ouvrant de moins en moins de marge de manœuvre. Pour mieux appréhender les perspectives d’exploitation des domaines skiables dans les stratégies d’adaptation (jusqu’à quel point le soutenir ? Jusqu’à quelle échéance ?) une évaluation au cas par cas est cruciale. Les travaux de recherche présentés ci-dessus ont ainsi débouché sur la mise en place d’un service climatique, ClimSnow, qui apporte certains éléments à cette réflexion (mais pas tous), concernant l’évolution des conditions d’exploitation des domaines skiables dans le climat futur et les besoins en eau associés pour la production de neige. Un des enjeux de ces territoires consiste à identifier un équilibre entre la consolidation des conditions d’exploitation de la filière neige, les enjeux socio-environnementaux des zones de montagne concernées, et l’exploration de nouvelles voies de développement que les moyens fournis par le tourisme de ski peuvent contribuer à soutenir.
Si le tourisme occupe aujourd’hui une place importante dans l’économie des territoires de montagne, il n’en est pas moins une activité récente (cf. ci-dessus). Au-delà de la question de l’accès du plus grand nombre aux loisirs, le tourisme s’inscrit dans le contexte des économies d’échelle du fordisme (standardisation et massification de la production) qui s’est imposé Après-Guerre. Les zones de montagne, pénalisées par le relief et l’enclavement, notamment les zones d’altitude, sont rapidement écartées des dynamiques de modernisation dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrialisation où la compétitivité prévaut. Les pôles touristiques sont apparus en négatif des pôles de production avec un rôle dans la répartition des richesses créées dans ces derniers comme une forme de péréquation entre territoires. Ce rôle s’est prolongé et renforcé avec la mondialisation des échanges et la mobilité généralisée des biens et des personnes. Cette circulation repose sur des modes de transport carbonés fortement émetteurs qui influencent l’évolution du climat, elle-même menaçant l’économie actuelle des destinations de montagne. Au-delà des controverses souvent clivantes au sujet de l’avenir des sports d’hiver, ces constats soulignent la nécessité de penser conjointement les démarches d’adaptation et de décarbonation, à toutes les échelles de décision sectorielle et territoriale.
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