Les stations de ski forcées de repenser leur modèle

Publié par Echosciences Grenoble, le 17 juillet 2023   1.2k

Emmanuelle George, Chercheur en économie et gouvernance des stations de montagne, Inrae; Charles Hatier, Doctorant, Inrae; Coralie Achin, Post-doctorante sur l'adaptation du tourisme de montagne, Inrae; Hugues François, Ingénieur de recherche tourisme et système d'information, Inrae; Laura Rouch, Doctorante en géographie et aménagement, Inrae et Lucas Berard-Chenu, Doctorant en géographie du tourisme, à l’Inrae et Météo-France, Université Grenoble Alpes (UGA) - Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


En février 2020, le transport de neige par hélicoptère pour pallier l’absence de « l’or blanc » dans une station pyrénéenne faisait scandale, mettant en exergue la fragilité des stations et leur très forte dépendance au ski.

Parallèlement, la traduction citoyenne du résumé pour décideurs issu des derniers travaux du GIEC souligne bien l’accent mis sur les impacts du changement climatique dans les zones de montagne, réaffirmant notamment la vulnérabilité de ces territoires en matière d’enneigement.

Les stations de ski cherchent en premier lieu des solutions pour pallier le manque de neige (canons à neige, principalement…), et pour cause : le poids économique des stations en matière d’emplois locaux mais aussi à l’échelle de la filière touristique (équipementiers des stations, bureau d’étude, etc.) est colossal.

Mais les « canons à neige » ne suffiront pas à chasser un débat récurrent sur le devenir des stations et de l’économie montagnarde qui y est associée. Les évolutions qu’elles connaissent ne s’arrêtent d’ailleurs pas aux transformations climatiques. Les séjours « tout-ski » ont désormais moins la côte, et les touristes souhaitent également profiter d’offres de bien-être, de ressourcement ou d’autres activités ludiques.

La fusion des intercommunalités ainsi que la consécration de leur rôle en matière touristique, conséquences de la loi Notre, ont par ailleurs bouleversé les équilibres territoriaux.

Parfois noyées dans des intercommunalités allant de la plaine à la montagne, les préoccupations particulières des communes peuvent se retrouver à la fois diluées par des considérations plus ordinaires de planification foncière (zones d’activité ou urbanisation résidentielle par exemple), et isolées pour assumer leurs responsabilités en matière de gestion des remontées mécaniques, de sécurité sur les domaines skiables ainsi que leur rôle de chef d’orchestre des aménagements touristiques.

Le ski ne disparaîtra pas partout

Avec le changement climatique, les incertitudes d’enneigement que connaissent les stations s’intensifient et le niveau de vulnérabilité économique augmente.

Face à de telles évolutions, les stations françaises répondent essentiellement par l’amélioration des techniques de damage du domaine skiable et dans la production de neige de culture. En 2015, le taux de couverture en neige de culture des domaines skiables français s’élevait à 32 %.

Ayant fait d’autres choix technologiques et organisationnels, les stations autrichiennes peuvent en moyenne couvrir potentiellement 66 % de leur domaine skiable et ce taux peut monter jusqu’à près de 100 % dans certaines régions italiennes. Il avoisine les 40 % aujourd’hui dans le massif des Alpes.

D’ici à 2050, la neige de culture pourra ainsi compenser globalement le manque de neige naturelle. Cette perspective positive ne doit cependant pas occulter la diversité des situations (topographie, climat), ainsi que les grandes disparités de situations quant à la disponibilité de la ressource en eau, en coûts énergétiques et encore plus en capacités financières des stations et des communes concernées pour assurer l’investissement et le fonctionnement de ces équipements en neige de culture. Dès lors, d’autres voies d’adaptation doivent être imaginées.

Une offre touristique « quatre saisons »

Devant les incertitudes liées à l’enneigement naturel comme artificiel des stations, se tourner vers d’autres activités contribue à améliorer leur résilience. Elles redécouvrent aujourd’hui l’enjeu de diversification de l’offre touristique des stations et l’élargissement de l’offre proposée à des produits sans lien avec le ski voire la neige.

C’est oublier toutefois que la diversification a été initiée dès les années 1990, dans les plus grandes stations, et ce pour proposer une offre « après-ski » aux touristes. Par la suite, l’attention portée à cette stratégie s’est démultipliée, du fait des attentes croissantes des clients et de la mise en place de politiques publiques destinées à valoriser une offre touristique « quatre-saisons ». Pour le moment, ces prestations demeurent néanmoins des compléments à l’offre ski, sans réelle substitution.

En pratique, cette tendance conduit à passer d’une logique de station à une logique de destination touristique de montagne plus globale, favorisant la découverte du territoire, dans ses dimensions environnementales, agricoles et culturelles.

C’est l’ambition de la politique des Espaces Valléens, menée par le massif des Alpes : ces territoires de projets, dépassant l’échelle station, développent une stratégie touristique durable, fondée sur la mise en valeur du patrimoine environnemental et culturel, bâti (églises, fortifications…) comme non bâti (patrimoines gastronomique, paysager), de manière à spécifier l’offre touristique que proposent les territoires et s’extraire d’une forme de tourisme générique.

La définition d’une telle stratégie ouvre la porte à une vision plus globale (et systémique) des territoires de montagne et met en lumière la capacité des acteurs locaux à apprendre et à construire de nouveaux modèles.

Vivre à la montagne

Au-delà des évolutions touristiques, les stations seront appelées à composer avec l’urbanisation des zones de montagne, qui connaissent parfois une forte attractivité pour différentes raisons : niveaux de services, recherche d’une qualité de vie, d’espaces moins contaminés. Cette tendance pourrait profiter aux stations proches de grandes agglomérations, telles que celle de Grenoble, réputée chaude et polluée en été.

Dans cette hypothèse, la nature de l’hébergement touristique présent sur le site pourrait jouer un rôle stratégique, selon sa capacité ou non à se convertir en logement dédié à des populations permanentes. De même, les évolutions territoriales, marquées par le phénomène d’intercommunalité, appellent à raisonner à des échelles plus vastes et donc à identifier des formes de développement et de complémentarité articulant l’ensemble des ressources territoriales et des secteurs d’activités (tourisme, artisanat, agriculture et industrie), selon l’histoire du lieu et de son économie.

Certaines stations, implantées sur des territoires où le tourisme constitue l’unique secteur économique poursuivront probablement une trajectoire économique centrée sur les sports d’hiver, mais elles seront moins nombreuses à le faire. Celles qui parviennent à maintenir l’offre de ski pourraient alors profiter des reports de clientèles des stations dans lesquelles cela n’est plus possible.

En filigrane de ce diagnostic, c’est la fin du modèle unique qui est pointée. Il a fait ses preuves pour la création et l’expansion d’une filière des sports d’hiver de renommée internationale en France dans les années 1960, mais a depuis cédé le pas à une diversité de trajectoires des stations et ne peut plus constituer une référence face aux défis actuels.

Dans ce contexte changeant où les certitudes ne sont plus de mise, l’enjeu à court ou moyen terme est d’accompagner la transition des stations. En pratique, il s’agit de co-construire avec les acteurs des territoires une nouvelle définition des stations et de leurs rôles pour préserver une montagne vivante.The Conversation

Emmanuelle George, Chercheur en économie et gouvernance des stations de montagne, Inrae; Charles Hatier, Doctorant, Inrae; Coralie Achin, Post-doctorante sur l'adaptation du tourisme de montagne, Inrae; Hugues François, Ingénieur de recherche tourisme et système d'information, Inrae; Laura Rouch, Doctorante en géographie et aménagement, Inrae et Lucas Berard-Chenu, Doctorant en géographie du tourisme, à l’Inrae et Météo-France, Université Grenoble Alpes (UGA)