Les Savanturiers du Cerveau (S02EP01) : Exploration de la curiosité en classe de 4ème
Publié par Laurent Vercueil, le 16 décembre 2020 2k
Les Savanturiers - Ecole de la recherche, est un programme éducatif émanant du CRI, qui met en lien enseignants et chercheurs, afin d'introduire des classes à la logique de la recherche et aux principes de la méthode scientifique (une présentation vidéo est intégrée à la fin de ce billet). A partir d'une thématique proposée par les enseignants, la classe est amenée à formuler des questions, émettre des hypothèses, et envisager un moyen de les tester. Il y a deux ans, avec Romance Cornet et sa classe de CM1-CM2, nous avions exploré les mécanismes cérébraux des apprentissages et une série de 9 épisodes (débutant ici) avait été publié sur Echosciences.
L'an dernier, un nouveau projet était tombé à l'eau du fait de l'arrivée de la pandémie. Mais cette année, disposés à affronter les vents contraires, Aude, Professeure de Physique-Chimie, et sa classe de 4ème dans un collège de Bruz, sont volontaires pour se frotter à l'école de la recherche. ET c'est parti !
(Si j'ai déjà une expérience des interventions en classe de primaire, de lycée et, même, de maternelle (toujours sur le sujet du cerveau), je suis curieux de voir comment les collégiens vont s'investir dans les activités et les réflexions que nous allons mener. A cet âge charnière, le développement rapide des compétences sociales rend les enfants sensibles à bien d'autres facteurs que ceux qui opèrent plus tôt (ou plus tard, lorsqu'ils gagnent en indépendance par rapport au groupe) : Ainsi, l'attrait pour la nouveauté (ou néophilie, caractéristique des sujets juvéniles (1)), est-il tempéré par le besoin de marqueurs stables au sein d'un groupe (2). Est-ce que le poids de ces conventions tacides va étouffer leur curiosité naturelle ? Peut-on titiller leur curiosité au sujet de la curiosité ? )
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La première séance, préparée avec Aude, consiste à présenter l'intervenant, et à effleurer le sujet (qu'ils ne connaissent pas encore). Qui mieux que Naruto, la macaque nègre (Macaca nigra) dont le portrait est visible en tête de cet article, pour introduire le sujet ? Il se trouve que les enfants n'avaient pas entendu parler de cette histoire, ce qui tombait très bien pour nous.
Naruto est le nom qui a été donné à la macaque femelle qui a pris ce cliché d'elle-même (un selfie). Le photographe animalier David Slater, alors sur l'ile de Sulawesi en Indonésie, avait laissé son appareil à disposition des singes pour qu'ils le manipulent (3). Parmi les clichés, dont la plupart ne sont pas cadrés, on trouve les pépites que sont ces rares selfies extraordinaires.
Bien sûr, cette histoire a tous les ingrédients pour intéresser les collégiens, à commencer par le nom qui a été donné au singe : Naruto. Mais pourquoi ce nom d'un personnage de Manga et d'animé ? Voilà qui attise déjà la curiosité des enfants.
L'attrait du singe pour l'appareil, et qui va l'amener à manipuler l'engin, témoigne de sa curiosité. Des chercheurs ont d'ailleurs évalué quantitativement cette attirance pour l'objet nouveau, en développant ce même dispositif : Placer une caméra à disposition et observer le comportement des singes (en l'occurrence, des bonobos, chimpanzés et gorilles) vis-à-vis de l'objet (4). Avec des différences selon les espèces, les singes s'approchent de la caméra et s'intéressent à cet objet incongru, nouveau dans leur environnement. D'autres sont effrayés, et restent à distance, poussent des cris d'alerte.
A nouveau, les jeunes sont plus intéressés que les vieux. Comme c'est curieux (non : voir ici).
Quels sont les mécanismes de cette curiosité ? Pourquoi le nouveau peut-il effrayer et/ou attirer ? Comment susciter la curiosité pour l'information ? Quels sont les outils qui peuvent venir la titiller ? L'attiser, comme le fait un "teaser" ? Les enfants découvrent le cerveau et son organisation en lobes fonctionnels.
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Avec Aude, nous proposons alors aux collégiens une série de neuf énigmes portant sur le cerveau et nous leur demandons de voter pour celle dont ils souhaitent connaitre la réponse : une et une seule. Quelle est l'énigme qui mobilise le plus leur envie de savoir ? Et surtout, pourquoi ?
Voici leurs réponses concernant la raison du choix de l'énigme :
Nous récupérons désormais quelques pistes pour la suite de la discussion et tenter de cerner un peu mieux le sujet. La prochaine session sera l'occasion d'approfondir la thématique, et de commencer à élaborer des hypothèses plus précises. A partir de trois histoires dont la chute ne sera pas dévoilée, nous essaierons de comprendre ce qui peut mobiliser leur curiosité.
A suivre....(c'est ici)
Notes
(1) Sans aller (encore) très loin dans le sujet, notons que les jeunes corvidés s'intéressent beaucoup plus aux nouveaux objets qui sont placés dans leur environnement qu'à ceux qui sont déjà connus (Heinrich B., (1995) Neophilia and exploration in juvenile common ravens, Corvus corax. Animal Behav 50(3): 695-704).
(2) Je caricature ici une importante littérature sur le sujet. Un papier déjà ancien, mais qui élabore sur cette opposition entre début et fin de l'adolescence est : Newman, P. R., & Newman, B. M. (1976). Early adolescence and its conflict: Group identity versus alienation. Adolescence, 11(42), 261-274.
(3) Il s'agit d'un point débattu et qui a eu toute son importance lorsqu'il s'est agit de savoir qui détenait les droits de la photographie : Naruto, qui avait pris la photo ? ou David Slater, qui avait fait le voyage en Indonésie pour photographier les singes, et, selon ses dire, avait pris toutes les dispositions nécessaires pour que le selfie soit possible. La justice a tranché en faveur de David Slater qui a recouvré ses droits sur le selfie.
(4) S. Forss et al. (2019)Dispatch Animal Behavior : Ape curosity on Camera. Current Biol 29(7):R255-R257
Copyright photographique : David Slater & Naruto, 2008