Les politiques énergétiques locales : les réels leviers de la transition énergétique ?
Publié par Encyclopédie Énergie, le 13 septembre 2021 77k
Face aux conséquences de plus en plus présentes, intenses et néfastes du changement climatique dans notre quotidien (canicules, inondations, incendies, sécheresses, etc.) et du fait des trop longs délais et horizons de temps définis dans les coopérations étatiques et internationales, de plus en plus d’acteurs locaux comme les villes ou les régions tentent d’insuffler une transition et des changements plus rapides. Ces initiatives locales permettent une offre inédite d’outils pour accélérer la mise en place des actions pour la transition énergétique.
1. Une territorialisation progressive des politiques énergétiques de transition climatique
A l’international, il y a une prise de conscience croissante du problème climatique grâce aux travaux du GIEC, dont le working group I vient de sortir en août 2021 son tout dernier rapport « Les bases scientifiques physiques du changement climatique[1] ». Les Etats essaient de répondre aux enjeux identifiés, notamment à travers les Conférences des Parties (COP). Des accords internationaux sont produits entre les pays et sont devenus de plus en plus ambitieux depuis 1992 avec, entre autres, le sommet de la Terre à Rio, le protocole de Kyoto, la COP de Copenhague (2009) et les accords de Paris (2015). Désormais, des Intended Nationally Determined Contribution (INDC) sont produits par chaque pays pour dessiner leurs propres trajectoires de décarbonation. Elles seront révisées et, on l’espère, seront plus ambitieuses en fin d’année 2021 à la COP26 de Glasgow.
Figure 1. La COP26 en 2021 à Glasgow – [Source : COP26 - GOV.UK (www.gov.uk)]
Pour répondre à ces objectifs, les Etats déclinent au niveau national des objectifs en termes de consommation d’énergie, d’émission de gaz à effet de serre, etc. En France, différentes lois ont progressivement structuré et fait évoluer les objectifs de préservation de l’environnement : lois Grenelle 1 et 2 (en 2009 et 2010), loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TEPCV) de 2015, loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016, loi énergie-climat 2019, loi climat et résilience de 2021. Notamment, la dernière législation met en place des outils nationaux tels que la création du Haut Conseil pour le climat, une instance consultative indépendante placée auprès du Premier ministre, chargé d'évaluer la stratégie climatique de la France et l’efficacité des politiques climatique, ainsi que la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour piloter les actions d'atténuation du changement climatique, révisable tous les cinq ans.
Néanmoins, ces outils restent des objectifs généraux à suivre, tels que les ambitions de rénovation de logements (500000 logements par an), diviser par deux l'artificialisation des sols, avoir 40% d’énergies renouvelables dans notre électricité domestique en 2030, créer des voies réservées au covoiturage pour encourager à prendre sa voiture à plusieurs, ou encore affirmer du rôle fondamental de l’éducation au développement durable du primaire au lycée[2]. Nécessaires pour avoir un cap à suivre et pour évaluer les résultats en fin de période, ces objectifs nécessitent alors une déclinaison locale pour pouvoir être concrètement mis en place localement.
Ainsi, à l’échelle territoriale, des outils structurants sont mis en place pour rendre effectif les changements nécessaires à la transition climatique. Par exemple, les plans climat air énergie territoriaux (PCAET) et les schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) sont intégrés au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDETT). Ces déclinaisons locales, au contenu différent d’un lieu à l’autre, permettent de s’adapter aux spécificités à chaque territoire, et d’utiliser leurs propres ressources dans la mise en place concrète de la transition énergétique dans notre quotidien.
Voyons désormais un panorama des outils à disposition des collectivités locales[3] dans différents aspects de la consommation d’énergie.
2. Un rôle d’appui pour les mesures liées au bâtiment
Les objectifs à l’échelle nationale sur ce volet « bâtiment » concernent notamment le type et la quantité d’énergie consommée, en particulier par le chauffage, ce qui induit des objectifs en termes d’émissions de CO2 et de rénovation du bâti existant.
Ainsi, en plus des aides nationales disponibles pour aider aux rénovations énergétiques comme les éco prêt à taux 0 de l’Etat ou les subventions de l’Agence Nationale pour l’Habitat (ANAH), les territoires peuvent compléter les aides. Par exemple, Grenoble Alpes Métropole propose une prime air/bois de 2000€ pour le remplacement d’un appareil de chauffage au bois antérieur à 2002 par un équipement performant. Elle propose également des aides ou « primes-énergies »[4] aux travaux d'isolation jusqu'à 60% du montant des travaux en cas de rénovation globale dans le cadre du programme Mur/Mur (figure 2), avec un dispositif lancé à l’origine par l’Agence Locale de l’Energie et du Climat (ALEC), un autre acteur local. Ce dernier type de rénovation permet aussi d’avoir une autre aide d’une collectivité avec une contribution de la part du département de l’Isère[5].
Figure 2. Dispositif Mur/Mur 2 de Grenoble Alpes Métropole – [Source : https://www.grenoblealpesmetropole.fr/946-le-calculateur-prime-energie-pour-les-coproprietes.htm]
Dans cet exemple, ces aides locales, en plus de renforcer les dispositifs à l’échelle nationale, ici, pour changer les combustibles utilisés afin de réduire les émissions et pour atteindre les objectifs de rénovation permettent également de traiter des problèmes plus localisés. En effet, ici, la pollution de l’air induite par les transports et le chauffage est forte dans la métropole grenobloise et ces mesures permettent de traiter ces problèmes connexes.
3. La main ouvrière pour (re)structurer l’offre pour les transports
Les collectivités locales sont aussi très importantes dans l’offre de transport. Elles peuvent réorganiser les déplacements en privilégiant les modes doux et collaboratifs comme le vélo, les transports en commun ou le covoiturage. Dans ce souci de développer des moyens de transport écologiques, différents leviers d’actions sont possibles.
La structuration des réseaux dans les plans d’urbanisme est clef pour inciter les personnes à utiliser ces transports plus respectueux de l’environnement. Donnant une place prépondérante à la voiture après la seconde guerre mondiale, les villes et régions peuvent, par de nouveaux plans, redonner une part plus importante à d’autres modes de transports. Par exemple, le maillage renforcé en pistes cyclables et voies sécurisées, réservées aux vélos, de même que la mise en place de parkings suffisants dédiés inciterait à l’usage de la bicyclette au détriment du véhicule motorisé individuel. L’expérimentation, à l’été 2020, juste après le premier déconfinement dû à la COVID-19, pour mettre en place très rapidement des aménagements cyclables, appelés « coronapistes » (figure 3), a permis une accélération de la transition vers ces modes de déplacements plus doux avec certaines de ces pistes qui sont restées pérennes. De même, d’autres types d’aménagements, comme des voies réservées aux transports en commun ou aux covoiturages avec un temps de trajet fiable ou des zones de circulation restreintes (ZCR) dans les villes bannissant les véhicules les plus polluants incitent également à se passer d’un usage solitaire et polluants de véhicules thermiques.
Figure 3. Une « coronapiste » à Paris – [Source : Les « coronapistes », ces pistes cyclables aménagées durant la crise du Covid-19 deviennent définitives dans de nombreux endroits. Bonne ou mauvaise nouvelle? (bfmtv.com)]
De l’autre côté, la mise en place d’aides pour l’achat des titres de transports en commun, ou une prime pour acquérir des transports plus propres ou doux comme les vélos ou vélos électriques complètent cette offre incitative. Par exemple, la ville de Paris subventionne l’achat d’un vélo électrique à hauteur de 33% plafonné à 400€[6], pour tous les habitants de la ville. Dans d’autres territoires, ces aides peuvent être soumises à certains critères sociaux[7]. Cela permet, après avoir structuré l’espace, de lever les blocages financiers pour l’acquisition de nouveaux équipements pour les utilisateurs.
4. Définir la production d’énergie de son propre territoire
La territorialisation a permis de développer les productions locales d’énergie et peu émettrices de GES.
Par exemple, des labels « territoires à énergie positive (TEPOS) » ont pour objectif d’avoir un équilibre avant 2050 entre la consommation d’énergie du territoire et sa production avec des sources d’énergies renouvelables. Cela permet par un état des lieux du territoire de donner les potentiels de production d’énergie renouvelable par type d’énergie et de mobiliser les acteurs, si possible locaux, pour implanter ces nouvelles productions propres. Cela peut se traduire en actions par la mise en place de communautés locales d’énergies qui s’impliquent dans la production décentralisée d’énergie comme des centrales villageoises qui sont des sociétés locales ayant pour but de développer les énergies renouvelables sur un territoire en associant citoyens, collectivités et entreprises locales. Également, certains acteurs comme des énergéticiens, des compagnies de chauffage, ont la possibilité de favoriser l’utilisation de certains types d’énergies par rapport à d’autres en traduisant de façon concrète les plans air climat énergie par des appels à projets sur le territoire (figure 4), par exemple via des réseaux de chaleur à combustible renouvelable (bois, déchets, etc.).
Figure 4. Chaufferie BIOMAX sur la presqu’île grenobloise alimentée au bois – [Source : Grenoble Alpes Métropole]
Au cœur des villes, la mise en place d’écoquartiers mêlant bâtiments performants, transports durables et production d’énergie renouvelable, comme le peut être le quartier de Bonne à Grenoble (Figure 5), permettent d’avoir des applications concrètes de tous les concepts et les objectifs du développement durable et de la transition climatique et énergétique.
Figure 5. L’éco-quartier de Bonne. [Source : Maud38C, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons]
5. Une structuration des dispositifs et une lisibilité à améliorer
Nous l’avons vu, il existe pléthore d’outils, d’aides et d’acteurs permettant d’accélérer la transition énergétique et la réalisation de projets. Néanmoins, il peut être difficile de s’y retrouver dans tout cela et de faire appel aux bons interlocuteurs au cas par cas.
Il ne faut pas hésiter à contacter les mairies et différents organismes qui s’occupent de cette thématique. En Isère, par exemple, Territoire d’énergie 38, l’AURG, le CAUE, SOLIHA, l’EPFL, Isère Aménagement, l’AEPI, l’ADIL38, l’ALEC et l’AGEDEN peuvent être sollicités pour répondre aux questions sur la mise en place de projets en conseillant et orientant sur les actions à faire et les acteurs à solliciter.
En effet, outre une offre proposée pour des aides à la réalisation de projets de transition énergétique et une stratégie de politique publique sur la thématique climat énergie, les collectivités jouent un rôle majeur de sensibilisation et de mobilisation des acteurs du territoire pour accélérer la transition écologique, grâce aux différents retours d’expériences qu’elles peuvent avoir des différents acteurs locaux, et ne demandent donc qu’à être sollicités pour accélérer la transition climatique dans les territoires.
Gabin MANTULET, ingénieur - docteur dans la transition énergétique et les gaz renouvelables
Pour aller plus loin :
- Politique énergétique et collectivités locales : le témoignage d’un élu | Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
- Décentralisation énergétique en France 1980-2010 : les collectivités locales entrent en scène | Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
- Décentralisation énergétique en France 2010-2020 : la loi de transition énergétique | Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
- Les territoires à énergie positive (TEPOS) : l'exemple du Trièves | Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
- Communauté locale d’énergie | Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
- L’action locale en faveur de la sobriété et de l’efficacité énergétique en Rhône Alpes | Encyclopédie de l'énergie (encyclopedie-energie.org)
- Sébastien Chailleux, Renaud Hourcade - Introduction. Politiques locales de l’énergie : un renouveau sous contraintes - Natures Sciences Sociétés 2021/1 (Vol. 29), pages 3 à 12
- Camille Chanard, Marie-Hélène de Sède-Marceau et Micael Robert - Politique énergétique et facteur 4 : instruments et outils de régulation à disposition des collectivités - https://doi.org/10.4000/developpementdurable.8776
[1] Source : Climate Change 2021: The Physical Science Basis, Sixth Assessment Report — IPCC
[2] Source : Loi climat et résilience : l’écologie dans nos vies | Ministère de la Transition écologique (ecologie.gouv.fr)
[3] Sous le terme collectivité locale sont communément regroupés les collectivités territoriales (Conseils régionaux, Conseils généraux, communes) et intercommunalités (communautés urbaines, communautés d’agglomération, communautés de communes, syndicats mixtes), ainsi que les territoires de projets (parcs naturels, etc.)
[4] Source : Le calculateur "Prime énergie" pour les copropriétés - Grenoble Alpes Métropole (grenoblealpesmetropole.fr)
[5] Source : Aides à l'environnement - Département de l'Isère (isere.fr)
[6] Source : Les subventions vélo électrique de la mairie de Paris - Paris en Selle
[7] Source : Prime vélo électrique 2021 : Comment obtenir une aide pour financer votre achat ? (aide-sociale.fr)
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