Les plantes souffrent aussi ?
Publié par Eugenia Brun Hernández, le 16 avril 2019 29k
Le règne végétal est composé d’êtres vivants absolument extraordinaires. Les plantes, représentantes d'une forme de vie tout à fait indépendante de nous, sont douées de facultés d’adaptation sophistiquées qui leur ont permis de peupler la terre. Environ 80% de la biomasse de la planète sont constitués de plantes (Bar-on, Phillips & Milo, 2018). La vie sur terre est donc essentiellement végétale.
Longtemps les plantes ont été considérées comme une forme de vie statique et passive, mais les découvertes scientifiques de ces dernières années bouleversent notre imaginaire collectif sur celles-ci. Les plantes ne sont certainement pas des êtres vivants qui réagiraient uniquement de façon stéréotypée. Je vous propose dans les prochains paragraphes, d’effleurer le sujet des compétences des plantes ainsi que leur manière d’évaluer leur environnement.
Qui sont les plantes ?
Elles sont tout d’abord des êtres de lumière, façonnées pour percevoir l’énergie lumineuse. À titre comparatif, on compte 14 types différents de photorécepteurs chez la plante alors que nous en possédons seulement 4 (Chamowitz, 2012). Les plantes sont aussi sensibles aux odeurs, elles peuvent émettre des substances chimiques volatiles lors d’une attaque par des insectes, ce qui a une répercussion sur les plantes environnantes. Cette perception de substances volatiles permet même à certaines plantes d’orienter leur croissance. L'émission de composés volatils joue aussi un rôle crucial dans l’interaction des plantes à fleurs avec des pollinisateurs, notamment pour les attirer et augmenter ainsi leurs chances de disperser leur pollen (Labandeira Kvacek & Mostovski, 2007). Le son est également perçu par les végétaux. Mais attention, ce n'est pas le style de musique écoutée qui leur fait de l’effet mais les fréquences sonores dont la musique est formée. Ces fréquences peuvent favoriser la germination de leurs graines, leur croissance, ou l'allongement de leurs racines, mais aussi avoir des effets inhibiteurs (Hassanien et al., 2004). Pour les plantes le son n'a qu'une dimension vibratoire.
En tout, il a été démontré que les plantes peuvent percevoir au moins 20 paramètres physiques et chimiques dont, entre autres, le taux d'humidité, les champs électromagnétiques, des gradients électriques, des gradients chimiques, la pesanteur (Morot-Gaudry & Prat, 2012). On pourrait dire que ce qu’elles perdent en mobilité à ne pas avoir de jambes ou de pattes, elles le gagnent en souplesse génétique. En d’autres termes, puisqu’elles sont des organismes sessiles, c’est-à-dire des organismes fixés au sol, elles doivent percevoir les signaux environnants avec une sensibilité et discrimination accrues en comparaison avec les animaux (Trewavas, 2009).
Les incroyables capacités des plantes
Nous pourrions penser que quand une plante est attaquée par un insecte elle n’a pas d’autre choix que de se laisser manger de façon passive. Pourtant, elles se défendent de leurs prédateurs grâce à des stratégies sophistiquées qui impliquent souvent l'intervention d'autres espèces. Elles savent chasser ou séduire des animaux. Poelman et al., (2012) ont montré que des guêpes trouvent leurs victimes, dans ce cas-là des chenilles, grâce aux substances volatiles émises par le chou en réponse à une attaque de ces dernières. Les guêpes pondent leurs larves dans le corps des chenilles. Quand les larves éclosent, elles dévorent les chenilles de l’intérieur. Désormais, il n’y a plus grand monde pour attaquer le chou. Mais la séduction peut prendre d’autres formes bien différentes. Un des exemples le plus frappant est celui de l’orchidée Ophrys bombyliflora. Elle produit un gros pétale qui mime un bourdon et elle produit également des molécules équivalentes à des phéromones, afin d’attirer des vrais bourdons. Trompés, ils vont essayer de s’accoupler avec le pétale et au passage, transporter le pollen de la fleur. Cela ne marche pas bien pour la reproduction du bourdon mais très bien pour la reproduction de l’orchidée (Francisco & Ascensão, 2013).
Passons maintenant à d’autres expressions de leur sensibilité et de leur adaptation à l’ environnement. Tout d’abord, Dudley et File (2007) ont démontré de façon élégante la capacité des plantes à évaluer les liens de parenté, à reconnaître et à distinguer les parents et les non-parents à la fois au-dessus et au-dessous du sol, et à présenter des traitements différenciés des congénères selon ces critères. Certaines plantes sont également capables de se camoufler dans le paysage. C’est le cas de Boquilia trifoliolata, une vigne grimpante des forêts tropicales tempérées, qui imite les feuilles de ses hôtes de support en termes, par exemple, de taille, forme, couleur, orientation, longueur du pétiole, réduisant ainsi ses chances de se faire manger (Trewavas, 2016).
D’autres découvertes fascinantes ont été faites par la chercheuse Monica Gagliano. Aussi connue pour ses qualités de leader, elle est engagée dans la lutte contre le changement climatique, végane, et également active dans le discours sur le statut éthique et juridique des plantes. En 2014, elle et ses collègues ont montré que la plante Mimosa pudica peut se désensibiliser à des fausses agressions. Une autre étude en 2016, a montré un comportement surprenant des petits pois. Un courant d’air envoyé par un ventilateur qui prédisait l’emplacement d’une source de lumière, dirigeait la croissance du petit pois dans la bonne direction. Un comportement qui pourrait être qualifié d’apprentissage associatif. Ces découvertes ont de quoi nous laisser époustouflés, mais encore plus important que connaître les capacités extraordinaires des plantes serait à mes yeux de comprendre leurs différentes manières de fonctionner, ainsi que leur spécificités.
Les plantes se comportent différemment des animaux et c’est là que réside leur beauté.
La réalité du monde végétal résiste très mal à la notion d’individualité. Le mot individu vient du latin individuum qui désigne « ce qui est indivisible ». Les plantes sont bien capables d’être divisées de par leurs corps modulaires privés d’organes vitaux. Chez la plante chaque partie est importante sans qu'aucune ne soit indispensable. Cette structure est naturellement différente de celle des animaux tout simplement parce qu’elle répond à des besoins autres que ceux du règne animal.
Les plantes sont dépourvues de nerfs, cela veut dire qu’elles ne possèdent pas les organes dédiés à la transmission des signaux électriques que les animaux utilisent pour la conduction de ces signaux. Malgré les ressemblances, l'architecture générale des voies de communication internes d'un végétal se distingue nettement de celle qui caractérise le corps des animaux. Ces derniers sont dotés d'un cerveau vers lequel convergent tous les signaux. Les plantes quant à elles disposent de structures en modules répétés, notamment de nombreux méristèmes ou « centres d'élaboration de données » comme les appellent Stefano et Viola (2013). Ceux-ci permettent un traitement des signaux très différent du nôtre.
Même si effectivement des mouvements d'ions calcium appelés « des ondes de calcium » apparaissent chez tous les êtres multicellulaires dont les plantes, qui ont aussi des potentiels électriques similaires à ceux du règne animal, seuls les animaux présentent une activité neuronale. Cette activité est responsable des fonctions cognitives telles que la pensée ou la capacité à avoir l’expérience subjective de la souffrance (Pereira & Alves, 2019). Il est clair qu’il existe des mécanismes communs à tout le vivant. Néanmoins, la physiologie des végétaux repose sur d'autres principes que celle des animaux et cette différence essentielle a aussi été jusqu'à aujourd'hui un des principaux obstacles à une compréhension approfondie des plantes et à la reconnaissance de leurs capacités.
La souffrance des plantes, aussi hypothétique qu’inexistante.
Il n’y a tout simplement aucune étude scientifique qui trouve la moindre trace de douleur chez les plantes ni même des études qui le suggéreraient. Nous ne pouvons donc pas dire aujourd’hui que les plantes souffrent. Il arrive que suite à des publications scientifiques sur les dernières découvertes à propos des plantes, notamment sur leurs mécanismes de défense, des médias transforment les conclusions et génèrent des titres sensationnalistes qui laissent penser que les plantes souffrent. Trop souvent, des personnes et même des personnalités politiques utilisent ce faux argument pour décrédibiliser en quelque sorte la préoccupation d’une partie croissante de la population pour éviter la mort et la souffrance animale. Mais je pense que nous sommes tous capables de reconnaître le problème qu’il y a à s’appuyer sur la possibilité totalement hypothétique et que rien ne vient soutenir, que les plantes souffriraient pour ne pas se soucier d’éviter au maximum la souffrance prouvée des animaux.
Il n‘y a aucun doute, les cellules réagissent à des signaux associés à une blessure, mais être sensible à une blessure ne prouve en rien qu’il y ait une souffrance qui en découle. Par exemple, Antoine Larrieu a observé lors d’une étude sur la réponse des plantes aux agressions en 2014 qu’il suffisait «de déposer un broyat de plante sur une feuille pour déclencher une réponse à la blessure. Cela permet notamment à la plante de se préparer à d’éventuels dommages supplémentaires».
Nous, vertébrés, nous sommes construits d’une manière très différente de celle des plantes. Les premiers organismes capables de réaliser la photosynthèse sont apparus il y a 3,2 milliards (3.200 millions) d’années. On estime la date d’apparition des premiers animaux à environ 570 millions d’années (Yoon et al., 2004). Notre histoire évolutive et celle des plantes se sont séparées il y a longtemps, beaucoup plus longtemps que de tous les autres vertébrés et même invertébrés (Baldauf et al., 2008).
La souffrance est une expérience consciente. Elle représente une cascade d'effets physiologiques, immunologiques, cognitifs et comportementaux (National Research Council, 2009). Pour pouvoir ressentir de la douleur il faut avoir des nocicepteurs. Ces structures font partie d’un système nerveux qui existe chez les vertébrés. La nociception est un premier stade nécessaire mais pas suffisant pour éprouver de la douleur (Balcombe, 2018). Le prochain stade nécessaire pour éprouver de la douleur est, d’après la IASP (Association international pour l’étude de la douleur), l'expérience de la "douleur" elle-même, ou de la souffrance, qui est définie comme l'interprétation interne et émotionnelle de l'expérience nociceptive. Comme le chercheur Jacques Tassin l’a très bien exprimé : la réaction d’une plante à un stimulus négatif « ce n’est ni de l’automatisme ni de la douleur, mais une forme de complexité du vivant ». Essayons de reconnaître les plantes pour ce qu’elles sont, des êtres omniprésents sur la Terre et bien plus sophistiquées qu'on ne le croyait.
Conclusion
L’idée que les plantes seraient des êtres moins intelligents et moins évolués que les animaux est totalement obsolète aujourd’hui. Tous les êtres vivants qui habitent aujourd'hui la Terre, que ce soit des plantes, des champignons, des animaux ou des bactéries, ont atteint l'apogée de leur processus évolutif sans quoi ils se seraient éteints (Stefano & Viola 2013). Ce nouveau récit nous place comme étant une partie parmi toutes les autres qui composent le vivant. Cela bouleverse notre imaginaire collectif d’espèce « supérieure » et plus aboutie que toutes les autres. C’est une blessure narcissique. Une nouvelle chute de notre piédestal. Puisque toutes les espèces ont été façonnées pendant le même nombre de millénaires, toutes sont des aboutissements et en même temps toutes continuent leur processus évolutif.
À mon avis, penser que les plantes souffrent ou qu’elles aiment écouter du Mozart relève d’une mauvaise utilisation de l'anthropomorphisme. Celui-ci peut être décrit comme la tendance à attribuer aux animaux et aux choses des réactions humaines. Il n’est pas en soi bon ou mauvais mais un outil dont nous nous servons. Plus l’espèce étudiée est proche de nous en termes phylogénétiques, plus l'anthropomorphisme est pertinent. Au contraire, moins une espèce est proche de nous, moins l'anthropomorphisme va nous aider à la comprendre. Nos hypothèses doivent tenir compte des connexions évolutives.
Nous avons aujourd’hui plus que jamais, l'opportunité d’étudier le règne végétal en profondeur. Nous pouvons le faire en ayant une approche qui part du point de vue du sujet que l’on étudie. Cette opération est une ouverture sur l’altérité, la reconnaissance de l’autre. C’est un exercice qui demande l’effort de sortir des préjugés passés mais c’est le prix à payer pour mieux connaître les plantes.
Références
Balcombe, J. (2018). À quoi pensent les poissons ? La plage. ISBN : 978-2-84221-612-2
Baldauf, S. L. (2008). An overview of the phylogeny and diversity of eukaryotes. International Journal of Systematic and Evolutionary Microbiology. 46, 3, 263-273.
Bar-On, Y. M., Phillips, R., Miloa, R., (2018) The biomass distribution on Earth. PNAS. 115, 25, 6506-6511. www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.
Chamowitz, D. (2012). What a plant knows : a field guide to the senses. Scientific American. ISBN13: 9780374288730.
Dudley, S. A. & File, A. L. (2007). Kin recognition in an annual plant. Biology Letters. 3, 435-438.
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Hassanien, R., Hou, T., Li, Y., Li,B. Advances in Effects of Sound Waves on Plants. Journal of Integrative Agriculture. (2014). 13, 2, 335-348. https://doi.org/10.1016/S2095-...
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Pereira, J. A. & Alves, V. (2019). Cognition and Sentience in Plants: a Lesson from the Astrocyte. doi : 10.13140/RG.2.2.25826.58569.
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