Les grands enjeux des petites graines
Publié par Helene Pascal, le 10 décembre 2021 1.6k
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2021. Article écrit par Hélène Pascal, Étudiante M2BEE.
La diversité génétique est cruciale pour permettre aux espèces de s'adapter à leur environnement. Pourtant les grands semenciers ont fortement réduit la diversité plantes cultivés. Quelles sont les initiatives pour lutter contre cette perte ?
La biodiversité génétique, indispensable à l’adaptation des espèces
Généralement, lorsque nous parlons de biodiversité, nous incluons principalement la diversité des espèces. Or depuis la conférence internationale de Rio en 1992, cette notion prend de nouvelles dimensions, et deux autres aspects sont y englobés : la diversité des écosystèmes (les milieux dans lesquels vivent), et probablement la moins connue, la diversité génétique [1]. A quoi sert-elle et donc pourquoi est-il important de la préserver, pourrait-on se demander ? L’aspect le plus important concerne l’adaptation. La diversité des gènes permet aux espèces de s’adapter, en particulier à leur environnement. C’est ainsi que la sélection naturelle peut opérer : les individus les mieux adaptés d’un point de vue de leur comportement ou de leur physiologie grâce à leurs gênes sont avantagés. Les espèces animales et végétales qu’elles soient sauvages ou cultivées qui auraient perdu leur diversité sont ainsi en danger. Ils ne pourront plus s’adapter aux changements à venir. Or le changement climatique, laisse présager de nombreux changements. Ainsi la diversité génétique est un enjeu pour l’avenir alimentaire de l’humanité lorsque nous parlons des espèces cultivées.
Comment l’homme a utilisé la diversité génétique …
L’Homme a depuis toujours utilisé la diversité génétique à sa disposition pour améliorer une espèce animale ou végétale. Les meilleurs individus sur un ou plusieurs critères (qualité de la laine pour les moutons, quantité du lait pour les vaches, rendement pour le blé…) sont croisées entre eux, afin d’améliorer la valeur des descendants par rapport à celle des parents [2]. Si certains individus sont meilleurs que d’autres, c’est par définition qu’une diversité, en l’occurrence génétique, est présente. Cette façon de sélectionner les espèces est très efficace. Le blé par exemple a vu ses rendements triplés en 30ans, même si la sélection n’a pas été le seul facteur de ce progrès[3].
… pour finalement la réduire drastiquement ?
Cependant, ce processus de sélection et d’amélioration des espèces, lorsqu’il repose quasi exclusivement sur les grandes multinationales comme c’est le cas actuellement, conduit à moyen et long terme à une perte de la biodiversité d’un point de vue génétique. En effet, la sélection réalisée par ces entreprises a globalement un seul et même objectif, le rendement ; avec parfois des objectifs secondaires comme l’amélioration de la résistance aux maladies. Ainsi, un grand nombre de gênes inutiles, voire délétères pour ces objectifs ne sont pas sélectionnées, finissant par être perdus au fil des générations. Cette perte de diversité est d’autant plus accélérée que l’agriculture est de plus en plus uniformisée. Cette uniformisation présente un avantage pour les semenciers : si les conditions d’irrigations, les pesticides et les engrais sont les mêmes en Hongrie ou en France, une variété performera aussi bien dans ces deux pays. Ces grandes entreprises sont conscientes du problème lié à la perte de biodiversité génétique, à force de réduire la diversité génétique qu’ils utilisent, plus aucune source de progrès pour le rendement n’est possible, faute de variabilité. Alors ils introduisent quelques nouveaux gènes par croisement avec des anciennes variétés ou des variétés exotiques. Mais ces introductions sont très contrôlées, et tous les gênes qui ne leur sont pas utiles sont de nouveau éliminés.
Ces entreprises surpuissantes ont conquis une très grande partie du marché des semences au niveau mondial, que ce soit dans les pays développé ou les pays en développement. Aujourd’hui 70% du marché des semences mondiales est contrôlé par 10 entreprises [4]. En Thaïlande, le nombre de variétés de riz cultivés est tombé de 16 000 historiquement à 37 [5]. Lorsque les paysans abandonnent leurs pratiques ancestrales pour s’inscrire dans l’agriculture intensive, ils n’ont guère d’autre choix que d’utiliser les semences sélectionnées par les multinationales. Ils perdent ainsi la diversité génétique dont ils ont hérité, et se rendent dépendant d’un système agrochimique. Ainsi selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la biodiversité agricole a été réduite de 75 % entre 1900 et 2000 [4]. Depuis, la tendance ne s’est pas inversée. Cette dépendance aux semences commerciales pose également la question de la souveraineté alimentaire.
Ce tableau est plutôt sombre. Heureusement, des initiatives ont vu le jour pour préserver le patrimoine que représente la diversité génétique des plantes cultivées.
Une prise de conscience internationale
Le Traité International sur les Ressources phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) est un accord adopté en novembre 2001, sous l’égide de la FAO. Son but est « la conservation et l'utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture, ainsi que le partage équitable des avantages dérivant de leur utilisation ». Il concerne plus particulièrement 64 espèces de cultures et de fourrage. Le traité reconnait la contribution des agriculteurs et des communautés locales à la conservation et la mise en valeur des ressources génétiques des semences. Le Protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des avantages, entré en vigueur en 2014, doit fonctionner de pair avec TIRPAA. Adopté dans le cadre de la Convention sur la diversité Biologique, son objectif est « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques ». Son but premier n’est donc pas la préservation de ces ressources, mais il prévoit entre autres d’en améliorer l’accès, et de réglementer leur utilisation à des fins commerciales afin d’éviter le pillage des pays riches en biodiversité.
Banques de graines et mouvements citoyens
Dans le monde de nombreuses banques de semences existent : plus de 17 000 ont été créés à travers le monde. Le but de ces structures : conserver les variétés de semences (traditionnelles ou non). Ainsi, il sera possible de les utiliser en cas de besoin comme le changement climatique ou l’apparition de maladies. L’initiative la plus spectaculaire se situe dans l’archipel du Svalbard, en Norvège. En 2006 un consortium à décide de construire un coffre-fort géant, appelé aussi Arche de Noé végétale. Le but de cette initiative ? Protéger le patrimoine alimentaire de notre planète. Pour cela, les semences de cultures venant du monde entier y sont entreposées, avec l’objectif d’accueillir le plus de diversité possible. En 2020, la barre du million de variétés stockées a été dépassée [6]. Ce bunker géant, a été creusé à 120 mètres de profondeur dans une montagne. Il doit résister à une attaque nucléaire, à une chute d’avion ou encore à l’augmentation du niveau de la mer. Il est réfrigéré à -18°C, température optimale pour la conservation des semences, même si celles-ci sont renouvelées régulièrement. En 2015, il a servi pour reconstituer la banque de graine de la ville d’Alep, détruite par la guerre. C’est dans ce genre de situation, c’est-à-dire dans le cas d’une perte de banque de semence locale, que cette installation sera le plus susceptible d’être utilisée. Mais il n’est pas à exclure qu’il soit une solution en cas de catastrophe mondiale (Anne-Laure Frémont, le Figaro science)
Enfin de nombreux mouvements se sont créés autour des semences paysannes. Ces dernières sont sélectionnées, et multipliées par les paysans eux même, en oppositions aux semences certifiées, vendues par les firmes semencières [7]. Adaptées à chaque terroir, ces graines sont porteuses d’une grande diversité génétique. Elles permettent aussi d’assurer la souveraineté alimentaire. En France, nous pouvons citer le Réseau des semences paysannes, ou Via Campesina au niveau mondial.
La sélection moderne, avec tous les moyens financiers et humains qu’elle implique, a permis d’augmenter fortement les rendements des cultures. Devant les défis alimentaires liés à la démographie et au réchauffement climatique, un nouveau modèle est donc peut-être à inventer, quelque part entre les semences ultra sélectionnées entre les mains de quelques multinationales et les semences paysannes.
Mini glossaire
Gène : une séquence d’ADN et héritable, dont l'expression affecte les caractères d'un organisme.
Phytogénétiques : qui fait référence au matériel génétique des plantes
Sources et compléments d’informations
[1] Les trois niveaux de biodiversité. Laura Fdez Roldán. 25 mars 2021
https://www.projetecolo.com/les-3-niveaux-de-la-biodiversite-13.html
[2] La gestion des semences et de la diversité cultivée. Les greniers d’abondance. 14 août 2020
https://resiliencealimentaire.org/la-gestion-des-semences-et-de-la-diversite-cultivee/
[3] Une course à la performance sur un pas de temps de dix ans. Mathilde Carpentier
[4] La dangereuse concentration du marché. Public eye.
https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/semences/concentration
[5] Biodiversity and agro-ecology - reducing risk in food systems? Phil Tuite
https://www.fao.org/fsnforum/cfs-hlpe/comment/3901
[6] Un million de graines préservées dans une «Arche de Noé» souterraine en Arctique. Anne-Laure Frémont, le Figaro science
[7] Définition des semences paysannes, dictionnaire d’Agroécologie. Marianne Dubrulle, Elodie Pimouguet et Laurent Hazard
https://dicoagroecologie.fr/encyclopedie/semences-paysannes/