Les fictions climatiques : Enjeux et nouveaux récits - retour sur la séance #3 du séminaire #SFMgre 2022 !

Publié par Julien Dang, le 29 avril 2022   2.1k

Un article écrit par Julien Dang, Mathis Ben Ali, Nolane Langlois, Sébastien Rival et Loïs Cuilla


Ce mercredi 13 avril 2022, se tenait la troisième et dernière séance du Séminaire « Climat déréglé & fictions engagées » à la Maison des Sciences de l'Homme Alpes, avec pour thème les fictions climatiques ou cli-fi

Retrouvez la captation de la séance dans la vidéo ci-dessous :

Cette séance fut animée, comme pour les deux précédentes, par Marion Sabourdy et Guylaine Guéraud-Pinet. Les étudiant.e.s du Master CCST étaient également au rendez-vous, avec Mathis Ben Ali et Nolane Langlois en co-animation, Sébastien Rival et Loïs Cuilla en rédaction d’un live-tweet et Julien Dang en modération du tchat YouTube.

Deux intervenants pour un défi

Les deux intervenants lors de cette séance étaient Natacha Vas-Deyres, chercheuse en science-fiction littéraire et cinématographique au laboratoire Plurielles (Université Bordeaux Montaigne) et Mathieu Bablet, scénariste et dessinateur de BD, maintenant spécialisé en SF.

Natacha Vas-Deyres

Mathieu Bablet

L’objectif de cette séance était de regarder directement du côté de la SF et de s’interroger sur sa pertinence et son efficacité pour évoquer les altérations de la nature et l’adaptation des populations.

Loin d’évoquer uniquement les scénarios les plus pessimistes, cette séance a également permis de mettre en lumière des nouvelles visions porteuses d’espoir, notamment avec le sous-genre du solarpunk.

Nature, énergies, solarpunk… les ramifications des fictions climatiques

Alors que les problématiques liées au climat se font de plus en plus insistantes et deviennent des véritables problèmes de sociétés, des œuvres de science-fiction ont décidé de s’inspirer des débats que ces thèmes engendrent. Ce sont les fictions climatiques.

Selon Natacha Vas-Deyres ce genre de littérature existe depuis le XXème siècle chez nos voisins anglo-saxons, pourtant le terme de fiction climatique n’est pas si ancien. En effet, ce dernier a été inventé en 2008 par l’auteur Dan Bloom. Selon la chercheuse, cette dénomination récente peut-être associée à la prise de conscience au début des années 2000 de l’urgence climatique.

Les fictions climatiques sont nées au sein du sous genre du "post-apocalyptique", ces deux genres mettent avant l’idée que « l’Humanité est une espèce comme une autre et peut être amenée à disparaître.». Tandis que les œuvres post-apo vont se focaliser sur les progrès néfastes de la science, les fictions climatiques, elles, vont être caractérisées par la mise en avant de la nature et de sa protection vers le début des années 1970.

Ce sous genre va inspirer de nombreux auteurs tels que James Graham Ballard avec “Sécheresse” en 1964 ou encore Brian Aldiss avec “Le Monde Vert” en 1962 en Angleterre. Pour la France un auteur important de ce mouvement durant les années 70 fut Jean Pierre Andrevon. Aux travers de ses nombreuses œuvres, il critiquait déjà les effets de l’industrialisation sur la faune et flore française  en mettant en scène les effets du réchauffement climatique.

Cette vision de  remise en place de l’Humanité est en réalité très occidentale selon Mathieu Bablet. La notion d’équilibre avec la nature étant déjà bien plus normalisée en Asie par exemple avec beaucoup de mouvements de pensée comme le shintoïsme, l’animisme ou encore le Bouddhisme.

“The Day After Tomorrow” de Roland Emmerich

Les fictions climatiques ne sont pas uniquement centrées sur l’écologie et la nature et abordent de nombreux thèmes. Au cinéma, particulièrement à Hollywood, au début des années 2000, des films mettent en scène des catastrophes naturelles à l’échelle planétaire comme une glaciation dans “The Day After Tomorrow” de Roland Emmerich. Le but ici est cathartique “on montre le pire pour ne plus en avoir peur” comme dit Mathieu Bablet. Cependant il souligne que le modèle américain n’y est pas remis en cause et que le but est de faire perdurer “the american way of life” au delà de la catastrophe.

Le genre du solarpunk est également cité. Il s'intéresse aux modes de production d’énergie, plus particulièrement à la disparition de celle utilisée actuellement, comme le nucléaire ou le charbon.

Une part importante des fictions climatiques est consacrée à l’imagination de nouveaux types de sociétés, un plus par rapport au genre Post Apo et Cyberpunk qui critiquent la société à un instant T sans chercher à imaginer une société future, précise Mathieu.

Selon Natacha, on a une projection dans une nature futurologique, ce qui entraîne une projection dans toutes les conséquences du réchauffement climatique.

Projection qui reste paradoxale d’après Mathieu. En effet, les auteurs de fictions se retrouvent très vite confrontés à la réalité. Ce paradoxe les a poussés à se focaliser sur un univers post-apocalyptique sans technologie futuriste, qui serait inventé sur de nouveaux modèles. Technologies futuristes qui n’ont pas leur place dans ces fictions d’après Mathieu, qui affirme que l’urgence climatique nous empêchera de les atteindre.

De nombreuses fictions décrivent alors une utopie régressive, c'est-à-dire une société qui régresse technologiquement et qui se concentre sur le localisme. Cela décrit une critique du capitalisme.

Vers une évolution des imaginaires

Quelle est l’influence de la science-fiction dans les sciences ? Si la question peut paraître à première vue assez simpliste, nous avons vu que les réponses étaient bien plus compliquées et nuancées. 

Selon Mathieu Bablet, il y a une forme de limitation intellectuelle face aux questions climatiques interprétées et mises en scène dans les œuvres fictionnelles (notamment avec le modèle américain). Il faudrait proposer une vision mondiale plutôt que tribale des enjeux climatiques.

Natacha Vas-Deyres, elle, a une approche différente. Bien qu’il soit difficile de déterminer la part de réel des œuvres de fiction qui va influencer le spectateur, nous pouvons observer les débuts d’une mutation des imaginaires, telle que la place de la femme dans ce monde de créativité.

Ainsi, de part leur nature plurielle de modèles et leurs mutations qui progressent lentement mais sûrement, il faut bien comprendre que jamais une œuvre ne va pouvoir influencer le monde entier. Il faut alors être dans une forme d’avant-gardisme, c’est-à-dire une approche où sont entreprises des actions nouvelles ou expérimentales. C’est un processus très lent, mais primordial, explique Mathieu.

Aussi, une question importante est à se poser lorsque l’on développe une fiction climatique, afin de produire une œuvre pertinente qui puisse parler aux spectateurs, lecteurs, etc. : De quelles manières faut-il aborder les questions climatiques ?

Ce à quoi Natacha Vas-Deyres, répond qu’il faut se situer dans un contexte historique et à la fois utopique. Il faut pouvoir s’inspirer du réel, de ce qui est arrivé, mais aussi se projeter dans l'avenir, par exemple à l'échelle d'une région, afin d’imaginer un futur réaliste.

Cependant, comme l’a rappelé Mathieu Bablet, tout le monde n'a pas le même avis sur l'évolution climatique, elle est alors difficile à représenter. De plus, l'égoïsme du profit provoque des crises sociales, détournant des enjeux climatiques, selon Natacha Vas-Deyres. Nous avons ainsi un système économique qui arrive à bout de souffle, à cause, en partie, d'un non partage des ressources.

Malgré ces notes désolantes et alarmantes, l’espoir est toujours là. Énergie partagée, open source, ou encore ouverture du savoir gratuit, voilà pour Natacha Vas-Deyres des enjeux et des outils afin d'imaginer un avenir désirable. Ajouté à cela la « masse » (humaine, comme l’entend Mathieu Bablet) qui est indispensable dans les changements sociétaux, et dans notre cas, dans la prise de conscience du changement climatique, la prise de conscience collective est toujours possible.

On peut s’en rendre compte avec l’émergence de nombreux auteurs du monde entier, qui apportent un vent de fraîcheur dans les questions environnementales, explique Natacha Vas-Deyres. Une émergence qui est aujourd’hui possible grâce aux communautés et à la rémunération participative, indépendamment des grands éditeurs, renchérit Mathieu Bablet.

Ainsi, la lutte n'est pas perdue, elle ne fait que commencer.


Pour aller plus loin

Les intervenants :

Threads Twitter de la séance :

  • Sébastien (ici)
  • Loïs (ici)

Articles des autres séances du séminaire :

Sites web :

Mangas, Animes et Films :

  • « Nausicaä de la Vallée du Vent » dessiné par Hayao Miyazaki
  • Goldorak”, réalisé par Tomoharu Katsumata et produit par le studio Tōei Animation
  • Astro Boy”, réalisé par Osamu Tezuka et produit par le studio Mushi Production
  • Princesse Mononoké”, réalisé par Hayao Miyazaki et produit par le studio Ghibli
  • The Day After Tomorrow” et “2012” réalisé par Roland Emmerich

Livres :

  • Ravage”, écrit par René Barjavel
  • 2030 : le krach écologique” écrit par Geneviève Ferone en 2008
  • Le Talon de fer” (1908)  et “La Peste écarlate” (1912) écrit par Jack London
  • Effondrement comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie” écrit par Jared Diamond paru en 2005 (traduit en français en 2006)
  • “Le monde vert” (1962) écrit par Brian Aldiss
  • “Sécheresse”  de James Graham Ballarden
  • “Carbone et Silicium” de Mathieu Bablet, Carla De Almeida et Cathy Fernandez , Ankama Éditions
  • “Ces Français qui ont écrit demain. Utopie, anticipation et science-fiction au XXe siècle” de Natacha Vas-Deyres

Crédits

Lionel Allorge (Wikimedia commons), Babelio, Folio SF, 20th Century Fox, Thomas Chamberlain-Keen, Grist / CSA-Printstock / Getty Images, Festival Hypermondes