Des cerveaux qui se synchronisent en classe
Publié par Laurent Vercueil, le 1 mai 2017 3.3k
Nos cerveaux se parlent. Quoi de plus naturel ? L'être humain est un animal social, comme disait l'autre, et son cerveau est récepteur et émetteur de cette socialité. En somme, nous sommes une assemblée de cerveaux. Ou une petite partie d'un cerveau géant, que chacun des nôtres contribue à fomenter.
Mais, assemblée ou partie d'un tout, il est nécessaire que la communication entre les différents éléments soit assurée. C'est la nature de l'interaction sociale.
Le niveau d'une interaction entre deux individus peut se mesurer à l'aide de marqueurs comportementaux. L'échange soutenu du regard, des mouvements convenus qui accompagnent la circulation de l'information (hochements de tête, attitude corporelle, etc), permettent à chacun de juger si l'interaction sociale est aboutie, qu'elle porte des fruits, qu'elle est à la hauteur du message échangé. Ces marqueurs comportementaux redoublent l'information brute qui est transmise : le contenu nu du message.
Mais peut-on imaginer que les deux cerveaux en relation aient une connexion encore plus directe ? au niveau des signaux cérébraux même ? des signaux électriques ?
L'EEG (Electroencéphalogramme) consiste dans le recueil de l'activité électrique produite par le cortex. Pour cela, il suffit de placer des électrodes sur le cuir chevelu, de s'assurer d'une bonne conductance cutanée, d'amplifier le signal, d'en supprimer les artefacts (nombreux). Chaque signal recueilli sous une électrode est alors dérivé avec celui d'une autre électrode (montage bipolaire), une référence neutre, ou une moyenne établie à partir des signaux de l'ensemble des électrodes (par exemple). De sorte qu'il est possible de recueillir des oscillations rythmiques diverses, classées en fonction de leur bande de fréquence, et qui sont, le plus souvent, superposées de façon complexe ,fluctuant spontanément et avec les tâches qui sont réalisées. Les analyses qui sont réalisées peuvent s'intéresser à leur distribution spatiale (à quel endroit du cerveau elles sont sensées se produire), fréquentielle (quelles bandes de fréquence sont générées) et leur évolution au cours du temps et en rapport avec la tâche. Comme le signal est digitalisé, c'est à dire transformé en une suite de chiffres, il peut faire l'objet d'un traitement complexe, et d'une représentation sous la forme d'images.
Que font deux EEG qui interagissent l'un avec l'autre ? soit deux cerveaux ? ou, dans une classe, ceux des élèves rendus attentifs par l'efficacité pédagogique de leur professeur ?
Une étude réalisée à New York montre que les cerveaux des élèves qui s'engagent dans une activité scolaire en classe (de biologie, bien sûr), ont tendance à se synchroniser. En tout cas, leurs EEG.
Au cours de 11 sessions impliquant 12 élèves d'une "high school" (enseignement secondaire, correspondant au niveau "lycée") pendant un cours de biologie, les auteurs réalisent les mesures, sur les EEG "portables" dont chaque élève est équipé, de la synchronisation des rythmes au cours des activités. Les élèves sont aussi interrogés sur le niveau d'intérêt qu'ils trouvent aux différentes activités (regarder des vidéos, discussions de groupe, cours magistral du professeur, lecture, etc.).
Ce que les auteurs de l'étude observent, c'est que les activités les plus appréciées (discussion, vidéos) sont celles qui génèrent le plus de synchronie au sein du groupe. Le fait que des facteurs individuels contribuent à cet effet suggère que cette synchronie n'est pas induite par la nature du stimulus (on pourrait imaginer par exemple que le visionnage en commun d'une vidéo génère une synchronisation indépendamment des interactions entre les individus). Ainsi, pour les auteurs, la synchronisation témoigne surtout de l'engagement des élèves dans l'activité qui est proposée. Plus l'engagement est élevé, plus les EEG se synchronisent entre eux.
En dehors de la nature propre de la stimulation (qui pourrait exercer une influence (au moins en partie) synchronisante, quoiqu'en disent les auteurs), les autres mécanismes qui pourraient expliquer cette "mutualisation" des cerveaux, sont l'attention conjointe et la motivation. Les élèves concernés baignent dans des milieux similaires, partagent des expériences communes, un bagage culturel, qui limitent les possibilités de divergence. Il aurait été intéressant de répéter cette expérience avec des élèves d'horizon très divers.
La figure et la vidéo sont tirés de l'article "Brain-to-Brain Synchrony Tracks Real-World Dynamic Group Interactions in the Classroom" de Suzanne Dikker, Lu Wan, Ido Davidesco, Lisa Kaggen, Matthias Oostrik, James McClintock, Jess Rowland, Georgios Michalareas, Jay J. Van Bavel, Mingzhou Ding et David Poeppel, à paraitre dans "CURRENT BIOLOGY"