Les cabinets de curiosités
Publié par Alicia Perino, le 22 mars 2020 1.5k
Brocantes, braderies, vide-greniers, marchés aux puces, nous nous sommes tous déjà promenés dans les allées de ces manifestations, durant lesquelles professionnels et particuliers peuvent se débarrasser de leurs objets obsolètes, afin de peut-être leur redonner une seconde vie. Vieux tissus froissés, services à thé fissurés, collections de timbres, et tant d'autres objets incongrues cohabitent ensemble sur des stands dont on peinerait à définir la ligne éditoriale si on le devait.
Ces rassemblements archaïques de bibelots nous ramènent 500 ans dans le passé pendant la Renaissance. Les XVe et XVIe siècle en Europe ont été marqués par de nombreuses grandes découvertes et explorations vers des terres étrangères. Plusieurs expéditions scientifiques ont été menées par des botanistes et naturalistes, à l'issue desquelles les voyageurs rapportaient des outils, des condiments, des fruits et des légumes, des espèces animales et végétales ou encore des minéraux inconnus. Ces différents objets provenaient de continents jusqu'alors inaccessibles, peuplés de communautés aux cultures différentes et représentaient, d'un point de vue colonialiste et européano-centré, des choses bien "curieuses". Les aristocrates et universités collectionnaient ces curiosités, et les rassemblaient dans des pièces ou bien des meubles : les cabinets de curiosités.
Le siècle des lumières a été propice à l'accumulation d'objets pour remplir ces fameux cabinets.
Ces objets étaient très hétéroclites, et classés en fonction de leur nature en quatre catégories : Artificialia (les objets créés ou modifiés par l'humain), Naturalia (provenant des 3 règnes : animal, végétal et fossile), Scientifica (des instruments scientifiques) et Exotica (des plantes ou animaux exotiques). Dans la plupart des cabinets de curiosités, on trouve aussi des d'articles insolites et incongrus, de part leur origine et leurs attributs, mais également grâce à l'histoire qui leur était rattachée. Le but était d'attiser la curiosité et d'émerveiller. Par exemple, les dents de narval obtenues par les collectionneurs étaient présentées comme des cornes de licornes.
Tous ces objets étaient rassemblés côte à côte de façon anarchique, peu importe leur provenance ou leur nature. Posés les uns à côtés des autres sans organisation apparente, leur disposition arbitraire découlait de l'imagination du collectionneur.
Les cabinets de curiosités ont eu un grand rôle dans la compréhension du monde. Ils ont permis de rassembler de nombreuses espèces végétales et animales qui ont pu être par la suite classées, inventoriées et étudiées par les scientifiques, puis utilisées pour former des jardins botaniques et d'acclimatations. Ils représentent de ce fait les prémices des musées des sciences d'aujourd'hui. C'est d'ailleurs suite à des dons de collectionneurs que les premiers musées ont vu le jour, comme par exemple l'Ashmolean Museum qui a ouvert ses portes à Oxford en 1683 à partir de la collection de l'antiquaire britannique Elias Ashmole.
Le principe de cabinet de curiosité en tant que tel a disparu pendant le XIXe siècle pour laisser place à des institutions et des collections privées. Cependant, ce concept représente une esthétique toujours très inspirante de nos jours pour les collectionneurs et les artistes. Les cabinets de curiosités se sont réincarnés et se trouvent partout autour de nous, depuis les caves de nos grands-parents jusqu'au site web Leboncoin, qui regorge d'objets plus insolites les uns que les autres.
Également, Twitter peut-être appréhendé comme un cabinet de curiosité numérique. A la manière d'un collectionneur, nous choisissons des profils de diverses horizons, parfois sans liaison apparente entre eux, qui cohabitent dans notre fil d'actualité pour nous délivrer un enchainement de pensées, sur des sujets pouvant être complètement disparates d'un tweet à l'autre.
Internet dans son entièreté est un cabinet de curiosité. Tout comme un collectionneur de la Renaissance pouvait attribuer à un objet une histoire qui ne lui correspond pas pour émerveiller son public, il est aujourd'hui aisé de véhiculer des fake news et de produire de la désinformation, que ce soit en sciences ou dans tout autre domaine. Prenez donc garde aux animaux fantastiques que vous rencontrerez sur la toile !
Alicia Perino
Crédit Photo : Jacqueline Macou