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[Lecture Neuro] Henri Korn - Terres promises de notre temps

Publié par Laurent Vercueil, le 12 août 2016   3k

Les autobiographies neuroscientifiques ne sont pas si fréquentes. L'intérêt pour le lecteur est de découvrir les ferments d'une passion de chercheur à travers le récit d'une formation intellectuelle, des sinuosités déconcertantes d'une carrière et de ses liens avec la vie de tous les jours, des joies d'une découverte ou de la surprise d'une illumination, et surtout, de l'ensemble des petits et grands hasards des rencontres et déconvenues qui pavent la marche de la science. Le livre d'Henri Korn témoigne de ce mariage fascinant entre l'imprévu et la lame de fond de l'obsession personnelle.

Henri Korn est l'un des pionniers de la neurobiologie cellulaire en France. De formation médicale, et spécialiste en neurologie, il va s'éloigner de la clinique et consacrera sa carrière à l'étude de la synapse, le point de connexion qui permet de faire circuler l'information d'un neurone à l'autre. Il sera l'un des premiers à décrire le fonctionnement de la synapse électrique (qui ne passe pas par la libération d'un neurotransmetteur et sa fixation à un récepteur cible), puis se trouvera à la pointe de l'étude de la synapse inhibitrice. La dernière partie de sa recherche se consacre davantage à la modélisation mathématique, notamment en ce qui concerne le bruit synaptique, auquel est appliquée la théorie du chaos déterministe. L'auteur ne cache rien de la complexité de son sujet d'étude, des aléas du travail en équipe de chercheurs, dont certains épisodes lui ont été particulièrement douloureux. Le récit de sa vie, d'homme et de chercheur, parait sous le titre "Terres Promises de Notre temps" aux éditions Odile Jacob, cette année (1).

Synapse entre deux neurones (source : Wikipédia)

Le maniement d'une langue souvent élégante et la sincérité avec laquelle elle s'exprime rendent la lecture à la fois touchante et passionnante. Les doutes, les regrets ne sont pas éludés. Henri Korn revient sur sa vie, ses réflexions, avec une distance compréhensive, qui tient compte de ses travers, avec une lucidité sur lui-même qui est rare chez les grands scientifiques. Impliqué dans de grandes institutions, françaises ou internationales, il n'hésite pas à pointer les dysfonctionnements structurels, les rapports enterrés par des instances politiques poliment indifférentes, etc. Sans langue de bois. Cette honnêteté est pratiquée jusque dans les aspects les plus intimes de sa réflexion, comme son engagement communiste de jeunesse, sa relation à la politique d'Israël, ses amitiés et ses amours ou encore, ses choix professionnels. Il doute avoir été un bon directeur de laboratoire, jugeant avoir été trop direct, sans doute peu diplomate.

Une grande partie de ses travaux a été dévolue à la cellule de Mauthner, un neurone géant du poisson rouge, qui est à l'origine de sa réaction de fuite. Un coup donné au carreau d'un aquarium détermine, en quelques millisecondes, un mouvement caractéristique du poisson, qui se détourne de l'agresseur en s'arquant en "C" avant d'effectuer des mouvements de nage qui vont l'éloigner davantage. Le premier temps de cette réponse est sous la dépendance de cette cellule dont la grande taille présente le considérable avantage de donner la possibilité d'un enregistrement électrophysiologique in vivo. Ce sont ces travaux qui vont permettre à Korn de démontrer l'existence de synapses électriques, alors qu'il travaille chez le prix Nobel John C. Eccles, à Chicago. Revenu à Paris, ses travaux se poursuivront à l'échelle de la neurobiologie cellulaire, et seront à l'origine de nombreux articles de grande importance, publiés dans les revues les plus prestigieuses, pendant les dernières décennies du dernier siècle.

Lecture souvent passionnante, stimulante, éclairante sur l'homme même et sa science, ce livre rejoint d'autres autobiographies neuroscientifiques remarquables, comme celles de Stanley Prusiner (2) et de Marc Jeannerod (3).


>> Notes - Quelques autobiographies neuroscientifiques

  1. Henri Korn. Terres Promises de notre temps. Odile Jacob 2016
  2. Stanley Prusiner. La mémoire et la folie. La découverte des prions. Un nouveau paradigme biologique. Odile Jacob 2015. Au passage, quel titre abominablement mal choisi ! alors qu'il n'est question ni de mémoire ni de folie dans cet ouvrage qui est un passionnant récit d'une carrière mené à contre-courant d'une communauté scientifique arque boutée sur d'anciens modèles, que le prion (et Prusiner !) vient bousculer. Prusiner raconte comment la théorie du "virus lent", alors prégnante, sera balayée par ses découvertes, à la faveur d'un combat qui va durer plus de 25 ans. Un récit vraiment exemplaire de ténacité et de rigueur scientifique, triomphant de l'adversité... qui se lit comme un polar
  3. Marc Jeannerod, La fabrique des idées : une vie de recherches en neurosciences, Paris, Éditions Odile Jacob, 2011. Ouvrage que je conseillerais vivement à toute personne souhaitant s'initier au domaine de la neuropsychologie, tant la vie de Jeannerod a accompagné des progrès extraordinaires dans ce champs au cours de la deuxième partie du XXème siècle. Jeannerod, disparu en 2011, est à l'origine de l'institut de sciences cognitivesde Lyon, un centre de recherche encore très dynamique aujourd'hui.