Le sol, une ressource essentielle et si fragile
Publié par Encyclopédie Environnement, le 18 juin 2019 5.8k
Le sol est un milieu très hétérogène constitué de gaz, d’eau et de particules solides imbriquées de tailles variables. Il s'élabore à partir d'une phase solide, déterminée par les matériaux géologiques issus de l'altération climatique des roches, pénétrée par l'eau et les gaz atmosphériques, associée à la biosphère et à ses constituants, principalement des éléments végétaux et microbiens. La diversité des processus impliqués dans leur longue élaboration explique pourquoi le sol est si divers à la surface des continents (Figure 1).
Le sol, un milieu très variable
Pour un site donné les caractéristiques du sol varient de la surface vers la profondeur. Le sol s’organise en couches appelées horizons (Figure 2), qui se différencient par la couleur, la texture, la microstructure spatiale (Figure 3), la teneur en matières organiques (MO), la quantité de cailloux, etc. Chaque horizon est caractérisé par des processus dominants : Horizon O : Litière, Accumulation de débris végétaux ; Horizon A – Humification, Minéralisation, Appauvrissement ; Horizon B : Structuration, Accumulation, Néoformation ; Horizon C : Décarbonatation, Altération ; Roche mère : Altération, Désagrégation.
Ses caractéristiques varient aussi avec le temps, à cause de fluctuations microclimatiques et de l'évolution due à l'altération des constituants, aux processus de lessivage et aux changements de la biosphère.
Le sol est ainsi un milieu naturel en constante évolution, dont la formation s’étale sur des durées de quelques siècles à quelques millénaires. Il est donc précieux car dégradable en quelques années, notamment à cause des activités humaines, par une exploitation agricole intensive ou une mauvaise gestion (érosion), ou encore par des pollutions (Lire Pesticides : ce que nous enseigne le passé) ou par l’artificialisation et l’urbanisation.
Le sol présente des propriétés relativement constantes : la texture (teneurs en sable - Lire Le sable : fluide ou solide ?), limon et argile, via le triangle des textures), le pH, la capacité d’échange cationique (CEC) ou anionique (CEA). Il en présente d’autres qui sont variables dans l’espace et le temps : les propriétés hydriques (humidité et rétention de l’eau), l’aération, l’organisation spatiale des constituants solides du sol en agrégats emboités (structure spatiale, Figure 3), la réactivité des surfaces, les interactions organo-minérales, la macroporosité (fentes de retrait, racines, bioturbation par des vers, Figure 4), la biodiversité, les teneurs en matières organiques et éléments assimilables, la dynamique des populations microbiennes...
Le sol, un milieu vivant
Sa structuration spatiale en agrégats emboités, ainsi que les macrostructures et la macroporosité font du sol une mosaïque d’habitats hétérogènes qui rend possible la cohabitation, sous forme d’un réseau trophique extrêmement complexe, de très nombreux et très divers organismes. Ces nombreux organismes présentent des tailles très diverses allant de quelques nm ou µm, les virus, Bactéries et Archées (les plus nombreux : 1 à 10 milliards de cellules par gramme de sol) à quelques cm ou dm, les vers ou lombrics (les plus grands) en passant par les champignons (la plus grande biomasse) dont les mycéliums peuvent s’étaler sur plusieurs dizaines à centaines de mètres.
Cette spécificité encore très mal comprise, fait du sol un réservoir unique de biodiversité microbienne, animale et végétale (Lire Qu'est-ce que la biodiversité ?). Tous les acteurs de cette biodiversité sont indispensables au fonctionnement global du sol en lien avec tous les services écosystémiques qu’il rend. C’est notamment le cas pour les cycles du carbone (Lire Des plantes qui vivent de l'ai du temps) et de l’azote, la dégradation des polluants ou le recyclage des matières organiques. Les plus petits organismes sont les plus nombreux et les plus diversifiés. Il existerait ainsi plus de 2 millions d'espèces de Bactéries, Archées et Champignons dont environ 1% seulement sont connus, ce qui montre l’immense potentiel du sol en termes de ressources biologiques, biochimiques, biotechnologiques, voire pharmaceutiques. La plupart de ces espèces se retrouvent dans les premiers 20 cm du sol où les concentrations en matières organiques et en racines sont les plus élevées. Leur abondance diminue ensuite avec la profondeur.
Le sol est ainsi un compartiment physique complexe qui comprend de nombreux espaces, eux aussi de tailles variables (micro à macroporosité) et où de nombreuses formes de ressources nutritives et donc de métabolismes (aérobie ou anaérobie) peuvent coexister à seulement quelques mm de distance. L’hétérogénéité spatiale de cet habitat (distribution du carbone de l’O2, N2, CO2…) entraîne naturellement une structuration spatiale complexe des communautés de champignons, de bactéries ou d’animaux (Lire Les Collemboles : acteurs de la vie du sol).
Réciproquement, la biodiversité agit sur les propres propriétés physicochimiques du sol, par exemple via la nature des matières organiques présentes qui contrôlent les interactions organo-minérales responsables de l’agrégation du sol et donc sa capacité à retenir et à laisser circuler l’eau. Ainsi, deux parcelles d’un même sol soumises à des pratiques différentes, telles qu’une monoculture ou une prairie (Figure 4) auront des trajectoires écologiques et physicochimiques très différentes car elles hébergeront des biodiversités distinctes. C’est donc la stabilité physicochimique du sol qui permet le maintien de sa biodiversité sur le long terme. Cette stabilité peut être remise en question par l’altération physique ou chimique du sol.
Le sol, un milieu rapidement altérable
L'impact de nos choix de société sur notre environnement naturel constitue un important défi qui présente trois facettes liées et généralisées : la dégradation des sols, la perte de biodiversité et le changement climatique. L’altération des sols causée, entre autres, par des pratiques agricoles non durables, par des pollutions généralisées ou par l’expansion urbaine, nuit déjà à 3,2 milliards d'êtres humains, soit 40% de la population mondiale et pourrait contraindre 50 à 700 millions de personnes à l’exode.
Les sols sont aujourd’hui dans un état critique car nous avons transformé une grande partie de nos forêts, de nos prairies et nous avons perdu 87% de nos zones humides (Lire Tourbières et Marais, des zones humides remarquables). L'espèce humaine utilise en effet les fonctions écologiques du sol de manière parfois irraisonnée ou excessive, ce qui le modifie en quelques années : diminution de la quantité et la diversité des formes de vie qu'il abrite et de sa fertilité (stocks d’azote et de carbone, aussi liés au climat).
L’altération du sol a donc pour conséquence principale la limitation croissante des services écosystémiques qu’il rend et qui sont chiffrés chaque année à plusieurs milliers de milliards de dollars à l’échelle planétaire : régulations de la qualité de l’air, du climat global et local, des aléas naturels (inondations et érosions), décomposition des déchets et des pollutions, stockage et purification de l’eau, productions animales et végétales alimentaires ou ornementales, approvisionnement en énergie (géothermie), habitat pour la biodiversité, support de routes, stockage de déchets… Au-delà de l’aspect humain et de la biodiversité, l’altération du sol est donc aussi un problème économique mondial majeur.
L'accroissement de la population humaine est fortement impliqué dans l’altération du sol via l'aménagement des terres (activités industrielles, urbaines ou touristiques), et la déforestation. Toutefois, la démographie n’est pas toujours seule en cause. Ainsi, en France, par exemple, l’artificialisation des sols augmente d’environ 15% par an, alors que la population n'augmente que de 5% par an... L'artificialisation du sol a donc aussi des causes financières qui accélèrent l’étalement des villes en grignotant forcément sur les terre arables (Figure 5).
Quelle leçon en tirer ?
Le sol est un compartiment essentiel de notre habitat qui permet notre survie et nous rend d’innombrables services. C’est un patrimoine fragile qu’il faut conserver car sa formation est très lente, ce qui en fait une ressource altérable non renouvelable, qu’il faut respecter car il contribue à notre alimentation, et qu’il faut préserver car il rend de très nombreux services écosystémiques. Le sol est très sensible aux altérations liées aux pollutions, à la surexploitation ou au changement climatique. Son altération influence directement la qualité de l'eau et de l'air, le rendement des cultures, la biodiversité, le climat et peut altérer la santé des populations humaines, l'accès à l'alimentation et aggraver la pauvreté. Dégrader les sols peut également impliquer l'apparition d'inondations, d'éboulements, de coulées de boues, d'une désertification...
Mieux comprendre le fonctionnement biophysicochimique du sol est donc une nécessité pour le futur, pour mieux le protéger au travers de mesures de préservation (agriculture respectueuse, chimie verte…) et de remédiation (augmentation et amélioration de la biodiversité…), car il a encore de nombreux services à rendre à l’Homme ainsi qu’à toute la biodiversité qu’il héberge.
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Ce billet a été proposé par Jean Martins, Directeur de recherches au CNRS, Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE), Université Grenoble-Alpes (UGA), éditeur de l'Encyclopédie de l'Environnement. Il sera complété par plusieurs articles en préparation, qui paraîtront prochainement dans la rubrique Sol de l’Encyclopédie de l’Environnement.
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier d'UGA Éditions dans le cadre du programme "Investissement d'avenir", géré par l'Agence nationale de la Recherche.
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