Le questionnaire AUDIT, vous connaissez ?
Publié par Philippe Arvers, le 31 janvier 2024 640
Alcool : et si vous faisiez le point ?
Philippe Arvers, Université Grenoble Alpes (UGA)
Que l’on ait, ou pas, relevé le #DefiDeJanvier (adaptation en français du terme anglo-saxon « Dry January ») également appelé « Mois sans alcool », cet évènement aura été l’occasion de faire le point sur sa consommation d’alcool.
En pratique, tout au long de l’année, on peut continuer à télécharger l’application Try Dry de #DryJanuaryFrance soutenue, entre autres, par la Fédération Addiction, un réseau d’associations et de professionnels de l’addictologie.
Cette application permet d’évaluer sa consommation d’alcool de manière simple, en répondant au questionnaire AUDIT pour Alcohol Use Disorder Inventory T (en français, « test pour faire l’inventaire des troubles liés à l’usage d’alcool »). Le questionnaire est également mis à disposition en ligne par le Fonds Addict’AIDE.
En fonction des résultats, il conviendra de se tourner vers son médecin traitant ou un autre professionnel de santé.
Évaluer sa consommation d’alcool en 10 questions
Simple et court – puisqu’il ne comprend que dix questions –, le questionnaire AUDIT est validé internationalement. Comme son nom l’indique, ce test évalue votre consommation d’alcool mais aussi votre de risque de présenter un trouble associé à cette consommation, via un score qui vous est attribué une fois que vous avez répondu à toutes les questions.
Les trois premières questions traitent de la consommation du patient : sa fréquence, le nombre de verres d’alcool par occasion de boire, etc.
Les questions de 4 à 6 s’intéressent à la dépendance à l’alcool : la perte de contrôle, l’impossibilité de remplir ses obligations et le besoin d’alcool dès le matin ;
Enfin, les questions de 7 à 10 ciblent les problèmes liés à l’alcool : le sentiment de culpabilité, les regrets après avoir bu, les trous noirs ou « black-out » (quand on ne se souvient pas des évènements de la veille), le fait de s’être blessé ou avoir blessé quelqu’un (du fait de sa consommation) et d’avoir reçu des conseils pour réduire sa consommation.
Si le score est supérieur ou égal à 7 chez l’homme, et supérieur ou égal à 6 chez la femme, cela signifie qu’il y a un risque que la personne soit concernée par ce que l’on appelle « un trouble lié à l’usage de l’alcool ». Ce risque sera d’autant plus important que le score sera élevé.
Trop de personnes dépendantes à l’alcool dans le déni
Quand on aborde la question de l’alcool, l’image de l’ivrogne, de l’alcoolique décrit par l’écrivain Émile Zola reste bien ancrée en France. Et du fait de l’évolution des modes de consommation d’alcool – moins d’alcool régulier au cours des repas, plus d’alcoolisations ponctuelles importantes un à deux jours par semaine – de nombreux patients sont dépendants de l’alcool sans en avoir conscience et rejettent cette idée.
Ceci est particulièrement vrai pour les jeunes adultes qui présentent plusieurs critères de dépendance à l’alcool et sont dans le déni. Cette façon de consommer de l’alcool semble également en augmentation chez les femmes de plus de 35 ans.
Le phénomène n’épargne pas non plus les adolescents et ce, dès le collège. Selon une enquête qui vient d’être publiée en 2024, les épisodes d’alcoolisation ponctuelle importante concerneraient une part non négligeable des adolescents, dès les classes de 4e et de 3e au collège et un nombre important de lycéens.
Dans tous les cas, considérer les alcoolisations ponctuelles massives (terme préféré à l’anglicisme « binge drinking »), répétées deux à trois fois par semaine, comme une forme de dépendance à l’alcool pourra inciter certaines personnes concernées à modifier leur comportement et à réduire leur consommation.
La maladie alcoolique englobe la dépendance à l’alcool et les conséquences sur le plan physique et psychiatrique à moyen et à long terme. Considérer un alcoolique – le terme est, et reste, péjoratif – comme un malade à part entière est indispensable.
Le trouble lié à l’usage de l’alcool (TUA)
Dans la Ve version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM V-TR), la notion d’abus et dépendance a été supprimée. Aujourd’hui, on considère qu’ il existe un continuum avec un trouble léger, modéré, puis sévère lié à l’usage de l’alcool ou TUA, selon le nombre de critères de dépendance présents (au cours des 12 derniers mois).
En pratique, certains signes doivent alerter : une consommation quotidienne importante d’alcool, un comportement violent, des retentissements sur la vie familiale, sociale, professionnelle… Sur le plan physique, des sueurs ou tremblements le matin, des troubles du sommeil ou encore une hypertension artérielle peuvent être évocateurs d’un troublé lié à l’usage de l’alcool.
Malheureusement, la consommation d’alcool est rarement abordée lors des consultations de médecine générale, alors que cela devrait être systématique, comme pour le tabac. On rappellera que le tabac et l’alcool représentent deux facteurs de risque responsables, respectivement, de 75 000 et 41 000 morts évitables chaque année en France.
Il est essentiel de procéder à un repérage précoce suivi d’une intervention brève (notamment une évaluation des risques). Il est également primordial d’assurer un accompagnement durable afin de favoriser la réduction ou l’arrêt de la consommation d’alcool !
Un TUA associé à des complications médicales et psychosociales
La consommation chronique d’alcool est à l’origine de nombreuses pathologies associées au TUA : cancers, maladies de l’appareil digestif, du cœur et des vaisseaux, du système nerveux, des poumons, etc.
Les conséquences sanitaires, sociales et économiques liées à la consommation d’alcool sont également majeures. Elle est à l’origine de violences et d’accidents, sachant qu’un accident mortel sur quatre sur la route est attribué à l’alcool. Quant au coût économique, il est estimé à 102 milliards d’euros.
Un accompagnement anonyme, gratuit et dans la durée en centres de soins
Il est important de faire le point avec un professionnel du champ sanitaire et social, afin d’assurer une prise en charge médico-psycho-sociale adaptée à chacun.
L’accompagnement par un médecin (généraliste, spécialiste), une structure de soins spécialisée en alcoologie ou une association d’entraide va permettre de prendre conscience de cette pathologie et de mettre en place un objectif d’abstinence ou de réduction de la consommation d’alcool.
Les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) présentent plusieurs spécificités : pluridisciplinarité des équipes (médecins, infirmiers, psychologues, professionnels socio-éducatifs, patients experts), accompagnement dans la durée, gratuité et possibilité d’anonymat. Ils sont financés par l’Assurance maladie et gérés soit par des associations, soit par des établissements publics de santé.
Ces centres s’adressent aux personnes ayant un TUA, ainsi qu’à leur entourage, qui peuvent les contacter directement. Mais la personne concernée peut aussi être orientée par son médecin. En charge de l’accueil, de l’information et de la prévention, les équipes pluridisciplinaires assurent aussi la prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative ainsi qu’un rôle d’orientation.
On peut trouver une liste de centres de soins proches de chez soi via Drogues-Info-Service en indiquant son adresse, sa ville ou son département. Également par l’intermédiaire de l’annuaire du portail Addict’AIDE.
Des consultations d’addictologie et séjours à l’hôpital
En fonction de l’intensité du TUA et de l’existence de complications sur le plan physique, psychologique ou psychiatrique, une hospitalisation pourra être nécessaire dans des structures hospitalières spécialisées.
Selon les territoires, les compétences d’addictologie sont présentes dans différents types d’établissements et le patient peut y recourir spontanément ou dans le cadre de son parcours de soins,en passant par son médecin traitant.
Il est également possible de se rendre à des consultations d’addictologie. On peut aussi se rapprocher de ce que l’on appelle les équipes de liaison et de soin en addictologie (ELSA). Elles interviennent auprès des patients, aux urgences et pendant une hospitalisation, en soutien aux équipes soignantes, quand un problème avec l’alcool est mis en évidence.
Une hospitalisation de jour – la personne vient le jour à l’hôpital et rentre chez elle le soir – dans un service hospitaliser d’addictologie peut être envisagée. Cela permet de mener une évaluation pluridisciplinaire de la situation des patients, d’élaborer des projets thérapeutiques individualisés et de proposer des prises en charge adaptées.
L’hospitalisation de jour peut survenir de prime intention ou au décours d’une hospitalisation, également en situation de crise pour des patients connus. L’accompagnement proposé favorise le lien environnemental et familial.
Quant à l’hospitalisation complète en addictologie, elle peut être mise en place, en urgence ou de manière programmée, pour un sevrage, une évaluation ou pour des complications et/ou d’autres pathologies associées sur le plan physique ou psychiatrique.
Enfin, il existe des services de soins de suite et de réadaptation en addictologie. Ils accueillent les personnes, en relais d’une hospitalisation ou en accès direct, afin de réduire ou de prévenir les conséquences fonctionnelles, physiques, cognitives, psychologiques et sociales, et faciliter la réadaptation pour les patients.
Le traitement du trouble lié à l’usage de l’alcool
L’objectif du traitement du trouble lié à l’usage de l’alcool est soit l’abstinence (arrêt total de la consommation d’alcool), le sevrage alcoolique (sachant qu’un sevrage complet conduit à l’abstinence), soit la réduction de la consommation (fréquence et quantité d’alcool consommé). Il dépendra de la sévérité du trouble et de l’existence de complications qui peuvent nécessiter l’arrêt de toute consommation d’alcool.
Des médicaments peuvent aussi aider au maintien de l’abstinence, à la prévention de la rechute ou à la réduction de la consommation, en complément d’un accompagnement psychothérapeutique.
En 2023, la Société française d’alcoologie a mis à jour ses recommandations concernant le mésusage d’alcool. Elle y détaille l’accompagnement psychothérapeutique, qui va des interventions brèves à l’entretien motivationnel, en passant par les thérapies cognitives et comportementales (TCC) et les psychothérapies d’inspiration analytique, familiale ou basées sur les compétences psychosociales.
Nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie alcoolique, qui est complexe et multifactorielle : les facteurs de vulnérabilité sont nombreux, et la prise en charge sera adaptée à chacun.
Philippe Arvers, Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.