Le corps dans tous ses états : la collection d'anatomie de l'Université Grenoble Alpes
Publié par L'Ouvre-Boîte - Université Grenoble Alpes, le 22 juillet 2021 3k
Le Laboratoire d’anatomie des Alpes françaises (LADAF) conserve une collection témoignant de deux siècles d’enseignement et d’innovation en anatomie. Si quelques pièces sont exposées au sein du laboratoire, la plupart se dégradaient lentement dans des cartons. Le recrutement d’une stagiaire a permis d’identifier, trier, inventorier, documenter et reconditionner ces centaines de pièces, ce qu’on appelle dans les musées un « chantier des collections ». Une action préalable à la revalorisation de cette incroyable collection.
L’émergence d’une école d’anatomie grenobloise
L’enseignement de l’anatomie est depuis longtemps très fortement lié à celui de la médecine et de la chirurgie, à Grenoble comme ailleurs. Dès 1608, le collège des médecins de Grenoble dispensait des cours d’anatomie aux chirurgiens et apothicaires de la ville. Après diverses restructurations de l’enseignement médical, un laboratoire d’anatomie pathologique, rattaché à l’École de médecine et de pharmacie fondée au XIXe siècle, est créé dans les années 1930.
D’abord situé rue Lesdiguières à Grenoble, le laboratoire d’anatomie est transféré en 1967 à la faculté de médecine nouvellement constituée, à La Tronche. À proximité directe de l’hôpital, l’anatomie grenobloise a ainsi pu se développer en lien avec celui-ci, développant d’importantes techniques anatomiques pour la recherche et l’enseignement.
Aujourd’hui, les techniques modernes d’imagerie ont supplanté ces pièces d’études anatomiques dans l’enseignement. Mais le laboratoire d’anatomie des Alpes françaises conserve, aux côtés des pièces historiques, des centaines de pièces anatomiques créées au XXe siècle.
Les cires anatomiques
Le LADAF détient une dizaine de cires anatomiques. Les premières cires anatomiques sont créées à la fin du XVIIe siècle, offrant un nouveau moyen de représentation du corps humain. Auparavant, on réalisait des planches illustrées ou l’on séchait des fragments anatomiques, mais ces supports se conservaient mal et ne permettaient pas de représenter correctement les volumes. La création de modèles en cire, produits par moulage et sculpture, a permis de pallier ces problèmes. Cette technique est appelée céroplastie.
La présence de petites étiquettes imprimées, de médailles en cuivre ou de la signature à l’encre de Chine caractéristique de la maison parisienne Tramond permet de dater certaines des pièces du LADAF de la fin du XIXe siècle. La Maison Tramond proposait également des montages ostéologiques à destination des lycées, des facultés et des écoles de médecine.
Les modèles en papier-mâché
À la fin du XIXe siècle, la céroplastie est critiquée : ces modèles sont chers, lourds, fragiles et surtout, peu manipulables. Le docteur Louis Auzoux (1797-1880) crée alors un alliage de carton et de liège pour obtenir une pâte qui prend l’empreinte exacte du moule dans laquelle elle est pressée. Une fois sèche, elle est à la fois légère et solide et peut être facilement peinte pour imiter la chair humaine. Rapidement, le Dr Auzoux met en place une production de masse telle que l’invention des modèles dits clastiques (démontables) lui est souvent attribuée à tort. La création de moules lui permet de développer cette production en série à moindre coût. Son entreprise connaît un grand succès entre 1820 et 1850, qui s’explique par l’activité croissante des écoles de médecine, la rareté des corps dissécables et la grande qualité de ses modèles.
Les injections-corrosions
Le LADAF conserve également un grand nombre de pièces fabriquées en interne, témoignages de l’importance de l’école d’anatomie grenobloise. La technique d’injection-corrosion, inventée par les anatomistes hollandais au XVIIe siècle consistait en l’injection à chaud d’une matière (plâtre, mercure, cire…) dans le système circulatoire d’un organe, puis de la corrosion de ce dernier dans un bain d’acide. Cette technique permet de restituer le moulage des arbres vasculaires d’un organe. Les anatomistes grenoblois ont produit un très grand nombre de moulages par cette technique, avec des résines plastiques colorées. Ils ont ainsi contribué au développement des connaissances sur la vascularisation, particulièrement importantes pour les progrès des techniques de transplantation d’organes.
Les inclusions
L’inclusion de pièces anatomiques dans des blocs de résine est une technique développée par les anatomistes grenoblois, en particulier Roger Sarrazin (1932-2018). D’abord déshydratée dans des bains d’alcool puis essorée, chaque pièce était déposée dans un moule et recouverte de résine. Une fois la résine polymérisée, la pièce était démoulée, puis polie et lustrée. Chaque pièce demandait une dizaine de jours de travail, mais cette technique a permis de conserver des pièces utilisées pour l’enseignement, palliant ainsi les périodes durant lesquelles le nombre de cadavres était trop faible. Ces pièces apprenaient en effet aux étudiants à réfléchir en trois dimensions sur l’anatomie, avant l’invention et le développement de l’imagerie en coupes (scanner et IRM).
Quelques pièces du LADAF sont visibles jusqu’au 15 décembre 2021 à la Bibliothèque universitaire Joseph Fourier, dans le cadre de l’exposition Indémodables ! Les collections de l’UGA s’exposent. Pour découvrir les autres collections de l’Université Grenoble Alpes, rendez-vous sur le site de l’Ouvre-Boîte.
Le chantier des collections du LADAF et cet article ont été réalisés par Charlotte Billon (Université Bordeaux Montaigne, master régie des œuvres), stagiaire au sein de la Direction de la culture et de la culture scientifique de l’UGA de mars à novembre 2020.